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Un quart d'heure plus tard, Inès se tient effectivement devant moi. Vêtue d'un simple pull-over et d'un pantalon de survêtement, je devine qu'elle est sortie dès que nous avons raccroché.

    Elle s'assoit à mes côtés sur les rochers et je pose ma tête sur son épaule. Inès embrasse le haut de mon crâne puis glisse sa main le long de mon dos. Je ferme les yeux, laisse ses caresses et sa présence apaiser mon corps entier.

    Le silence règne mais ne me gêne pas le moins du monde. Au contraire. Elle est là et c'est tout ce que je demande. Au bout d'un long moment, je lui murmure :

— Je suis désolée d'avoir appelée, je voulais pas te faire peur.

— Je suis contente que tu l'aies fait, répond Inès sur le même ton. Tu veux en parler ?

    Je hausse les épaules, elle accentue la prise de sa main dans mon dos.

— J'en sais rien. Tout ce que je veux, c'est que ça s'arrête. Je crois que je ne suis plus capable d'être ici. Je veux rentrer chez moi.

    Sous la lumière du lampadaire au-dessus de nous, je peux voir Cerbère arquer un sourcil.

— A Paris ?, s'enquiert-elle.

    Je hoche la tête, expire longuement.

— Oui à Paris. Au moins là-bas tout est simple, il n'y a personne pour me rappeler que je suis lâche et que j'ai perdu la personne que j'aimais le plus au monde.

— Je comprends, souffle Inès. Si c'est ce que tu veux je respecterai ton choix, mais je ne pense pas que ce soit la bonne solution. J'imagine que partir fait du bien mais c'est un soulagement éphémère.

    Elle laisse s'installer un silence pendant quelques secondes avant de le briser :

— C'est toi qui me parlais de l'importance du pardon, et tu avais raison. Pardonne toi. Et puis pardonne à ta famille. Je te vois mal sonner à la porte de ta mère sans raison, alors ce diner c'est peut-être l'occasion que tu attendais pour pouvoir y arriver.

— Ma mère est une espèce de fantôme depuis que mon père l'a quittée, expliqué-je. Elle est incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Discuter avec elle c'est peine perdue.

    Inès abandonne mon dos pour prendre ma main dans la sienne. Elle la serre fort, comme pour me signifier qu'elle était là, qu'elle ne me laissait pas tomber.

— Et puis il y aura sûrement mon frère qui ne manquera de me rappeler à quel point je suis une sombre merde et bien sûr mon père qui me déteste depuis qu'il sait que je suis gay. Un tableau familial idéal finalement pour partager une blanquette de veau comme si de rien n'était.

    Inès ne relève pas mon sarcasme, appuie son menton contre le haut de mon crâne. Hormis les moments où nous couchons ensemble, nous n'avons jamais été aussi physiquement proches et c'est la première fois que je sens son corps contre le mien dans un contexte qui n'est pas intime. Je respire son odeur et la chaleur de sa peau contre la mienne m'interdisent de bouger, voudraient que je reste ici pour toujours.

— Jonatan sera là ?, demande-t-elle.

    Je souffle.

— Oui.

— Alors tu ne seras pas seule face à eux, chuchote Inès. Jonatan est un idiot mais il t'aime plus que tout. Il ne te laissera pas tomber.

— Franchement avec la façon dont je lui ai parlé je n'en suis pas sûre. Je comprendrais qu'il m'en veuille à mort.

    Cerbère s'empare de mon visage en coupe et l'approche du sien. Face à ses saphirs, je perds le fil de mes pensées.

— Eh, lance-t-elle. On arrête de se flageller d'accord ? Jonatan ne t'en voudra jamais de rien. C'est normal que tu aies réagi à chaud, on aurait tous fait pareil.

L'ivresse de notre haine - gxgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant