24.2

328 30 0
                                    




Sans réfléchir plus longtemps, je me redresse, toque à la porte de son bureau. Inès me fait entrer, sourcils levés. Elle ferme derrière moi et déroule les stores sur les baies vitrées. Je la regarde faire, attends qu'elle se retourne vers moi pour lui demander :

— Pourquoi baisser les rideaux ?

    Elle cherche ses mots mais ne se laisse pas déstabiliser plus longtemps.

— Et bien vous avez l'ai plus en verve que tout à l'heure, se contente-t-elle de souffler. Je peux vous aider ?

    Son ton nonchalant me hérisse le poil. Comment peut-elle faire aussi bien semblant de n'avoir aucune idée de pourquoi je viens la voir ?

    Je respire lentement pour rester calme.

— Pourquoi m'avoir confiée ce projet ?

    Droit au but, exactement comme elle fait d'habitude. Pas question de passer par quatre chemins, adieu les formules de politesse. Posture raide et ton froid, je feins l'assurance.

    Inès s'assoit sur sa chaise, passe sa langue sur sa lèvre et ricane.

— C'est pour ça que vous êtes venue ? Vous ne pouviez pas m'envoyer un mail ou alors me téléphoner ?

— Ne tournez pas autour du pot s'il-vous-plaît.

    Elle pose sa main sous son menton, demande d'une voix calme :

— Vous n'aimez pas le spectacle vivant ?

    Je souffle, perds patience.

    Elle se moque de moi ?

    Voyant que je ne réponds pas, elle reprend :

— J'ai lu dans votre dossier que le théâtre vous intéressait alors j'ai voulu vous faire plaisir. Je ne pensais pas déclencher vos foudres.

    Inès arque un sourcil, retire ses lunettes et se redresse pour se mettre face à moi. Je recule d'un pas mais je reprends vite contenance.

— Ecoutez, on sait toutes les deux que tout ce que vous voulez en vérité c'est m'écraser comme un moustique. Vous me l'avez encore bien fait comprendre tout à l'heure. Je ne crois en aucune fausse bonté de votre part et je refuse d'être ridi...

    Le bruit de ses dextres qui se posent sur le bureau m'interrompt. Les traits de son visage sont tirés et j'imagine que la colère grimpe en elle aussi.

— De quelle fausse bonté est-ce que vous parlez ? Je ne comprends rien de ce que vous me reprochez.

    Je ne me laisse pas intimider et pose mes propres mains face aux siennes.

— Ecoutez Inès, je n'ai plus de temps à perdre avec vous. Ce petit combat, c'était rigolo au début, mais maintenant j'en ai assez. Vous allez jouer toute seule. Je ne veux plus que quiconque me traite comme vous le faites. Donc je refuse de m'occuper de ce projet. Vous allez trouver quelqu'un d'autre à torturer et à humilier. Moi je passe mon tour, c'est terminé.

    La bombe est sortie et je respire enfin. Inès ouvre la bouche mais ne dit rien.

— Comment est-ce que je vous traite ?, finit-elle par demander. Vous êtes vexée parce que je ne vous ai pas envoyé de message en première hier ? Ou parce que je ne vous ai pas embrassée langoureusement en arrivant ce matin ? Qu'auriez-vous voulu que je vous dise ? « Merci Jessica Evans de m'avoir sautée dans le couloir, grâce à vous j'ai passé les cinq minutes les plus incroyables de ces deux dernières années et j'en ai complètement oublié que je suis mariée ? ».

    Les doigts crispés et les traits déformés par la colère, Inès cogne ses yeux contre les miens et le coup s'écrase comme une chape sur mon ventre. Elle prend un longue inspiration puis m'envoie le coup de grâce :

— Que je vous envoie le premier message ou non n'a aucune importance puisque le résultat sera le même. Vous m'avez eue, vous avez pu inscrire mon nom dans votre collection alors qu'est-ce que vous voulez de plus ? N'utilisez pas ce projet que j'aie choisi pour vous faire plaisir afin de passer vos nerfs. Vous valez mieux que ça, et moi aussi.

    La chape écrase un peu plus mes entrailles. Comment peut-elle penser ça de moi ?

— Ça n'a rien à voir, je ne suis pas vexée pour ça !

    Je prends une longue inspiration, continue :

— Je n'ai aucune collection Inès, je n'ai pas couché avec vous pour inscrire votre nom sur je ne sais quelle liste, je n'ai plus dix-huit ans.

— Ne vous justifiez pas, ce n'est pas la peine, me coupe-t-elle. D'une certaine façon, je vous connaissais déjà avant même de vous rencontrer alors inutile de faire semblant. Je sais que vous avez la séduction facile et que rien n'a d'importance pour vous mais je ne veux plus jouer non plus c'est terminé. Ça n'aurait jamais du commencer de toute manière et je refuse de continuer de mettre en danger ce que je construis depuis des années.

— Jonatan n'aurait jamais dit ça de moi mais puisque vous voulez retourner vous voiler la face à tenter de sauver un mariage que vous ne voulez même plus, allez-y, je ne vous retiens pas. Retournez dormir à l'hôtel avec je-ne-sais-qui pendant que votre mari vous attend à la maison puisque c'est ça que vous construisez depuis des années mais ne dites pas que je joue avec vous.

    Inès fulmine, s'appuie sur le rebord de la fenêtre. Sa respiration s'accélère, ses joues s'empourprent et sa mâchoire se crispe.

— Vous ne savez absolument rien de ma vie, et je refuse de vous écouter plus longtemps. Je refuse de parler à nouveau de quoi que ce soit avec vous à l'avenir. Je refuse que nous soyons dans la même pièce et je refuse de vous entendre à nouveau vous plaindre.

    Elle me tourne le dos, attend probablement que je parte mais je ne parviens pas à bouger, soufflée par la puissance de ses mots.

— Vous n'êtes quand même pas en train de retourner la situation pour vous placer vous en victime ?, demandé-je.

    Cerbère pivote à la vitesse de l'éclair et me toise de ses saphirs.

— Vous êtes sérieuse ?

    Je ne réponds pas.

— De mieux en mieux !, s'écrie-t-elle. Décidément vous auriez mieux fait de ne jamais entrer dans ce bureau. Je voulais simplement être agréable et vous faire plaisir avec ce dossier et je me retrouve à entendre vos critiques sur la façon de je mène ma vie. Est-ce que je me permets de critiquer la votre moi ?

    J'ouvre la bouche mais Inès ne me laisse pas parler.

— J'ai trompé Mathias, c'est vrai et croyez moi je m'en veux assez comme ça mais vous n'êtes pas toute blanche dans cette histoire alors cessez de me faire culpabiliser.

— Vous avez raison, soufflé-je en levant les bras. Je ne critiquerai plus, vous faites vos propres choix, tant que vous ne me pourrissez pas l'existence.

— Mais je n'ai jamais voulu vous pourrir l'existence ! Ce projet c'était une façon de vous remercier mais puisque vous refusez de travailler dessus, je vous le retire. Fin du débat. A présent sortez s'il vous plaît.

    Je sais que je devrais lui obéir mais mon corps ne bouge pas. Je reste figée au milieu de son bureau, les bras croisés devant moi.

— Me faire travailler seule sur ce projet ressemble bien trop à une de vos manigances pour que je puisse vous croire.

— Seule ?, renchérit Inès.

L'ivresse de notre haine - gxgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant