Chapitre 19

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C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
- De Antoine de Saint-Exupéry, Le petit Prince -

Loïs

Deux prunelles vertes pailletées de brun me dévisagèrent avec surprise avant qu'un voile de colère et de tristesse ne vienne gâcher leur éclat.

Revoir son visage me secouait. Qu'il se tienne en face de moi avec ce regard si expressif. Je n'avais rien oublié de lui, ni ses belles boucles blond vénitien, ni le timbre de sa voix ou son parfum sucré.

La dernière fois que mes yeux s'étaient posés sur lui, j'étais installé à Grenoble depuis plus d'un an. Plusieurs choses m'avaient empêché d'aller vers lui. Son éclat qui criait le bonheur, mes ressentiments et une gêne profonde. Nos vies s'étaient séparées et j'avais accepté son départ, son rejet, sa douleur. Sans jamais rien oublié d'Eliott. 

Alors les années s'étaient simplement écoulées et c'était plutôt banal de perdre de vues les gens qu'on avait aimé au collège ou au lycée. La vie était ainsi.

—    Tu vas bien ? demandai-je pour combler le silence pesant.

—    Quoi ? répliqua-t-il, le souffle court et les sourcils froncés.

—    Est-ce que ça-

—    Trois ans, me coupa-t-il.

Son état de choc était compréhensible.

Pour ma part, j'étais secoué également, mais je savais qu'Eliott vivait proche moi, je savais que je risquais de le croiser à n'importe quel moment. Pour lui, j'étais comme une apparition fantomatique.

Pourtant, il aurait dû se douter de ma présence à Grenoble. C'était que j'avais toujours prévu. Mon bac en poche et ma majorité obtenus tous les deux en juillet, je m'étais empressé de déménager à Grenoble afin de faire ma rentrée en septembre à l'université qui me permettrait d'être éducateur spécialisé.

Alors que j'intégrais ma première année en Licence, Eliott entamait déjà sa deuxième année dans cette ville, dans sa nouvelle vie.

Aujourd'hui, j'avais obtenu un diplôme DEES et je prenais des cours optionnels de psychologie tout en complétant ma formation d'éducateur par des stages dans diverses structures, tels que l'association.

Ses paupières se plissèrent et sa bouche imita une grimace que je reconnaissais. Il luttait avec ses émotions pour savoir quoi en faire. Visiblement, la colère le gagnait, mais la laisser s'exprimer n'était pas dans sa nature.

—    Trois ans, répéta-t-il. Trois ans que t'es là et tu n'as pas...

Il ne termina pas sa phrase, ni sa pensée. Toutefois, je comprenais où il voulait en venir. Mon cœur se serra douloureusement dans ma poitrine et j'eus beaucoup de mal à refluer les souvenirs.

—    J'y ai pensé, répondis-je.

—    Ah oui ? J'ai dû rater tes appels ou tes messages alors, répliqua-t-il avec sarcasme.

Cette répartie me hérissa le poil et je me redressai, le dos droit.

—    Moi aussi, balançai-je, dissimulant très mal mon amertume. J'en ai raté beaucoup.

Son expression changea pour devenir blême et il pinça ses belles lèvres.

Évidemment que j'avais gardé le silence en aménageant ici, je n'avais aucune légitimité à le rappeler après ce qui s'était passé. Après qu'il soit parti et qu'on se soit éloigné au point de ne plus communiquer du tout. J'avais ma part de responsabilité, j'avais moi aussi cessé de répondre, je m'étais éloigné et il en avait fait de même jusqu'à ce qu'il ne réponde plus jamais. Et je n'avais jamais cherché à reprendre contact non plus.

Entre NousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant