Chapitre 5

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Fils des hommes, jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ?
- Psaume 4 :3 -

Le prochain arrêt de bus était pour moi, je descendais à la Mairie, tandis que Loïs continuait pour s'arrêter Route de la Buisse. Ce n'était pas très loin, mais ça nous divisait plus tôt. Nous le savions tous les deux et notre proximité s'était donc accentuée dans le véhicule, si bien que je m'appuyai sur son torse tandis que son bras droit m'entourait les épaules. Nous parlions tout bas, assis à l'arrière, isolés des autres passagers. Dans notre bulle. Notre rapprochement n'avait fait que grandir ces trois dernières semaines.

L'officialisation de notre couple avait entraîné un enthousiasme auprès de nos amis, mais également entre nous. C'était délirant, nous ne pouvions plus nous passer l'un de l'autre !

Loïs n'était pas dans ma classe, il n'était même pas en terminale puisqu'il avait un an de moins. Cependant, il gravitait autour de mon groupe d'amis depuis déjà un an. Il avait intégré l'équipe de foot du village et s'était ainsi lié d'amitié avec Arnaud, mon meilleur ami, qui était gardien. De fil en aiguille, Loïs avait multiplié les sorties avec nous jusqu'à ce qu'il soit notre ami.

Arnaud était jusque-là le seul sportif de notre groupe, composé davantage de geeks, de timides et d'artistes en tout genre. Avec l'arrivée de Loïs, l'équilibre était sympa. Je soupçonnais Arnaud d'avoir intégré Loïs à la fois pour moi et pour lui.

— J'ai pas envie de te laisser, grogna Loïs près de mes cheveux emmêlés.

— Moi non plus.

— T'es sûr que tu pourras pas sortir ce week-end ?

— Je pense pas, répétai-je pour la énième fois.

Sur ces mots, je me redressai pour pouvoir regarder Loïs dans les yeux.

— On se parlera par messages et on s'appellera, temporisai-je.

— Ouais, mais c'est pas pareil.

— Je peux rien y faire.

Agacé par la situation, je tournai la tête vers la fenêtre. Plus que cinq minutes et je serais à mon arrêt.

J'en avais marre. Depuis quelques jours, la perspective de ne pas se voir pendant les vacances de Noël plombait le moral de Loïs, il n'arrêtait pas de me demander si je ne pouvais pas trouver une solution pour qu'on se voit tout de même. Visiblement, il ne comprenait pas.

Mes parents me surveillaient. Ils s'assuraient à chaque retour du lycée que j'étais toujours... moi. Ou plutôt le Eliott sorti de thérapie de conversation.

J'avais alors réalisé que dans leur tête, cette expérience atroce avait dû porter ses fruits. Peut-être pensaient-ils, sans oser l'exprimer, que j'avais réellement refoulé mon homosexualité. Ils m'épiaient à la recherche d'un signe qui me trahirait. Et si jamais ils le décelaient ? Si jamais ils se rendaient compte que rien n'avait changé ?

Je pensais pourtant qu'ils avaient saisi. J'avais été clair, j'étais et resterai homosexuel. C'était ainsi, c'était moi.

Ils ne l'avaient pas compris ? Le déni était-il aussi profond ?

La terreur me broyait chaque jour un peu plus, parce que cela signifiait qu'à tout moment, leur rappeler cet état de fait me ramènerait au point de départ. Leur incompréhension, leur colère, leur peur, leur ignorance, leur intolérance. Père Vincent. Effrayé à cette idée, je restais silencieux, sage, maître de mes émotions et de mes paroles.

Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple.
- Psaume 21 :7 -

Je me faisais le plus petit possible, je relatais chaque soir au dîner des détails insignifiants sans jamais parler de Loïs ou d'un quelconque autre garçon. Jamais. Et jamais, je ne demandais à sortir le week-end parce que j'avais peur des questions. Cela allait donc de soi que je n'oserais pas pour les vacances non plus...

Entre NousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant