Chapitre 32

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Le cœur le plus sensible à la beauté des fleurs est toujours le premier blessé par les épines.
- Thomas Moore -

Loïs

Cette conversation avec père Emmanuel avait fait naître une lueur d'espoir. Il avait écouté, sans jamais remettre en doute notre parole. À plusieurs reprises, j'avais vu l'incrédulité sur ses traits tirés et à la fin de mes explications, il avait fait mine de nous croire. Au moment de nous quitter, il avait promis de se renseigner, de tirer cette histoire au clair et, le cas échéant, d'en référer à leurs supérieurs.

C'était un accord implicite.

Je n'y comprenais pas grand-chose en hiérarchie religieuse, tout ce que je connaissais était ce qui avait une importance pour ma foi. L'institution religieuse était complexe, même en faisant des recherches, je me retrouvais perdu ; je faisais donc simplement confiance à père Emmanuel.

— Ça s'est bien passé, non ? dis-je pour briser le silence pesant.

Eliott ne répondit pas, il se contenta de hausser les épaules. Nous marchions à travers les rues que nous connaissions bien pour y avoir passé des journées entières à flâner avec nos camarades de lycée. D'un commun accord, nous décidâmes de passer la matinée au Jardin de ville de Voiron.

Le silence de mon petit-ami me rongeait les sangs, je l'observais du coin de l'œil, attentif à tout signe extérieur qui trahirait une émotion quelconque. Néanmoins, je ne trouvais rien. Son visage aux joues rosies par le vent était lisse, exempt de colère ou de tristesse.

Une fois arrivés au parc, Eliott se dirigea naturellement vers un coin particulièrement occupé dans notre jeunesse. Il traversa l'aire de jeu, contourna quelques arbres pour se rapprocher de l'étendue d'eau et s'asseoir sur l'herbe. Je pris place à ses côtés, grimaçant violemment lorsque la fraicheur du sol – pour ne pas dire l'humidité – imprégna mon jean pour geler mon corps en quelques secondes.

À cette période de l'année, le jardin était toujours plus ou moins peuplé de familles et de groupes d'amis venus se détendre. Le printemps avait sonné sans pour autant délivrer toute sa chaleur, bien au contraire, le vent restait vif et le ciel partiellement nuageux.

— Tu penses qu'il nous a crus ? intervint Eliott, le regard dans le vide.

— Je pense, oui, même s'il se doit de vérifier nos dires avant d'agir.

Nouveau silence. Son profil était figé, ses yeux fixaient les canards, insensibles au froid, qui nageaient au milieu d'une surface recouverte d'une mousse verdâtre. Cette portion d'eau était toujours habillée par les élodées, qui rendaient l'étang presque vivant.

— Donc tu penses qu'il va faire quelque chose, laissa-t-il tomber dans un souffle.

— C'est ce qu'il a dit.

— Pas vraiment.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Il a dit qu'il se renseignerait, précisa Eliott en tournant enfin son regard vers moi. Il veut des preuves de ce qu'on a dit, parce qu'il ne va pas si facilement accuser un de ses confrères d'une chose aussi horrible.

Le ton, quasiment aussi froid que l'air extérieur, me fit l'effet d'une claque. J'avais anticipé tout un tas de réactions après cette confrontation. De la tristesse à la dévastation, en passant par la colère. Mais certainement pas cette neutralité absolue, comme s'il était retranché derrière une porte opaque et impénétrable. Je n'aimais pas ça.

— Si tu t'imagines qu'il trouvera des preuves, tu te trompes, poursuivit-il. Tout ce qu'il fera est de confronter père Vincent qui aura le temps de se protéger.

Entre NousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant