Prologue

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Progressivement, derrière les hautes montagnes de la cité, le soleil s'effaçait. À la place, il laissait à la ville une pénombre embarrassante.

Sous les yeux pochés des diplomates et sur leurs visages pâles, on lisait la peur et l'abattement. À l'image du soleil, ils avaient tout essayé pour réchauffer les cœurs, faire renaître l'espoir. En vain. En deux jours, aucun des camps représentés n'était parvenu à s'entendre sur la moindre clause proposée. Un partage des ressources ? Trop tendancieux. Une libération des prisonniers ? Trop extrême. L'établissement d'une légalité commune ? Impossible. Le temps était passé et, malgré les suppliques de Philéas, rien n'y avait fait. Ce soir chacun allait repartir chez lui. Demain...

Autour de lui, l'air était lourd. Pour cette dernière conférence au sommet de la plus haute tour de la cité, tous les clans avaient sorti les crocs. À gauche, les réformistes, tout sourire, ne cessaient de narguer leurs voisins qui, à droite du diplomate, sentaient graduellement la situation leur échapper. À force de crises politiques et économiques, l'opposition s'était installée durablement. Maintenant, elle les submergeait

Oui, le Soleil se couchait. Sur le seul mur de la pièce aux immenses fenêtres, l'horloge sonnait huit heures. Huit coups secs. Lentement, les yeux se relevaient, une dernière fois.

Raclant sa gorge, Philéas invoqua l'espoir puis, se levant d'un geste décidé, se tint face au reste de la petite assemblée. Le visage fier. Plus de peur. Dans ses yeux, les dernières traces de la lumière du soir.

— Mesdames et messieurs, mes confrères, mes amis. Ce soir est le dernier de nos longues négociations. C'est un échec pour beaucoup, pour d'autres... une réussite.

En disant cela, l'orateur avait lancé un regard lasse à l'un des chefs de clan au regard triomphant. Sous son costume, on devinait les muscles, l'assurance, le triomphe.

— Mais ne vous y trompez pas, reprit-il. Aucune prospérité n'est possible sans paix et il n'y a pas de paix sans coopération. Si nous laissons la haine nous diviser, elle nous dévorera chacun de notre côté, à petit feu. La discorde ne vient jamais seule, la mort n'en est pas loin.

Philéas prit une gorgée d'eau le temps de laisser ses mots imprégner les esprits puis, prenant une grande inspiration, il tourna son regard vers le lointain, disparaissant lentement.

— Nos cités brûleront au feu de la colère, nos peuples partiront sur les routes de l'exode et nos enfants mourront de faim. C'est inexorable.

Faisant taire d'une main le début de protestation qui, à droite, commençait à gronder, l'homme ne les laissa pas s'exprimer avant d'avoir pu développer sa pensée.

— Dans un monde dans lequel nous sommes naturellement séparés par les éléments, les dieux nous ont donné les miroirs, nos seuls passages d'une cité à une autre. S'ils nous en ont fait cadeau, ce n'est certainement pas pour nous entretuer, mais plutôt pour que chacun apprenne de l'autre, le fasse fructifier, grandir. Pourquoi ne pas se résoudre à l'évidence ? Il faut une réglementation égalitaire de l'usage des...

Au loin, un coup de feu venait de retentir. La gorge serrée, chacun se regardait en silence, priant pour une erreur. Mais, les erreurs ne viennent jamais seules. Cent mètres plus bas, les premières étincelles du brasier venaient de s'allumer.

Dans la nuit noire, les dents blanches de plusieurs chefs de clan laissaient voir la joie primaire qu'éprouvaient certains hommes à déclencher une guerre. Tentant désespérément de s'imposer, l'orateur essayait de reprendre le contrôle de la situation.

— Nous pouvons encore...

Une seconde fois, un claquement sec venait de l'interrompre. Le bruit d'un corps qui tombe. Juste derrière la porte, l'ombre de bottes en cuir se découpait à travers les néons.

Philéas ferma les yeux et, priant une dernière fois, laissa ses pensées survoler les cités. À travers les brumes de la violence, là-bas, un espoir, une lanterne.


Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant