Le prince

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Trois semaines plus tard :

Dans le lointain, une sonnette stridente et désagréable venait de réveiller Artémis en sursaut, l'arrachant au repos qu'elle tentait d'obtenir en vain depuis plusieurs semaines. Une décharge d'adrénaline parcourut tout son corps malgré l'heure, on ne peut plus tardive. Elle avait cinq minutes pour partir. Après ce temps, elle pouvait dire au revoir à toute rémunération, mais serait tout de même forcée de travailler toute la nuit.

Tout ce grabuge certainement à cause d'une fête improvisée de la part d'un énorme et insupportable riche de trottoir, trop heureux d'exposer ses atouts avant que ceux-ci ne disparaissent. Ici, les nouveaux riches étaient incapables de se retenir de dépenser leur argent sans raison.

Poussant un grognement de fatigue, fébrilement, la jeune fille boutonna sa jaquette entièrement blanche. Elle prit le temps de vérifier qu'aucun cheveu rebelle ne la compromettrait et enfila le désagréable chapeau haut-de-forme imposé par la haute société qui voulait reconnaître de loin qui était un serviteur et qui ne l'était pas.

En se glissant dans le long couloir menant à la salle des attributions, Artémis, maintenant appelée Léopold par tous, sentit un gros rat lui frôler la jambe gauche. Voici deux semaines qu'elle devait les côtoyer jours et nuit pour la seule raison que les autorités ne s'intéressaient pas au problème des ouvriers. Tout devait briller en surface, le reste finissait sous le tapis en espérant que l'on mourrait avant d'avoir à s'occuper de réels problèmes.

Justement au-dessus de cet endroit miteux et souterrain, la jeune fille entendait les vibrations et les sons de la fête permanente ayant lieu dans les rues du quartier central. Les riches sautaient, dansaient, hurlaient en écrasant joyeusement toute la fourmilière de pauvres qui s'activaient pour eux.

Une seconde sonnerie retentit dans la nuit comme pour l'éloigner de ses pensées incorrectes. Artémis pressa le pas pour enfin arriver dans la grande salle des départs vers là-haut. Déjà, une foule de serviteurs s'y étaient rassemblés, attendant les ordres du grand chambellan.

Une troisième sonnerie brisa les chuchotements et l'assoupissement collectif, suivie des sempiternels grincements de portes venant clore la salle. Bientôt, des petits pas pressés se dirigèrent sur le bois rongé de l'estrade située légèrement en hauteur de la foule.

Devant eux, un petit homme bedonnant et huileux de sueur tentait tant bien que mal de se donner un air supérieur. Son costume était taché de sauce et, dans ses yeux, on pouvait lire l'ennui que lui procurait ce travail. Pourtant, derrière lui, les caméras et les micros lui conféraient le charisme qu'il n'avait pu acquérir par lui-même. Devant lui, la foule, parsemée de mouchards. En chacun, la peur de faire un seul faux pas.

— Hum, Hum (grincements désagréables de micro). Si je vous ai réveillés à cette heure tardive c'est que je...

Une toux grasse l'interrompit dans sa désespérante tirade. Le "Grand Chambellan", reprenant son souffle, s'essuya le front et se décida à reprendre plus résolument et succinctement que précédemment.

— Je disais donc que le prince Kourlakov venait de nous commander une soirée « ombres et lumières » pour... maintenant, à vrai dire.

Malgré les bâillements exaspérés des serviteurs qui lui faisaient face, celui-ci ne se démonta pas et continua de cracher dans son micro avec ardeur.

— Section 1 vous vous couvrez de guirlandes et vous ferez les serveurs. Section 2 vous ferez les ombres. Vous changez de tenues et vous veillez à la propreté, à la sécurité et au maintien de l'ambiance.

Artémis soupira, il n'avait pas donné d'horaire, donc la débauche durerait certainement toute la nuit. En plus, sa section serait obligée de se coltiner le nettoyage du vomis et la sécurité des petites princesses condescendantes. Encore une fois, la dernière si tout allait bien.

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant