L'héritier

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— Veux-tu bien la fermer deux secondes ?

Baissant la tête comme si elle se sentait coupable, Artémis serra son poing dans sa poche de velours noire. Se détournant de Bartholomé avec qui elle tentait de faire un résumé de la situation, la jeune fille se refondit dans le plat silence que formait la cinquantaine de serviteurs d'une des énièmes sections de secours du palais.

Ce soir, ce contremaître du palais n'était absolument pas d'humeur à rire, bien au contraire. Déjà, au loin, les milliers d'invités se pâmaient dans les jardins et se glissaient par tous les interstices du château pour tenter de tirer quelques avantages de cette soirée. Tout le monde avait soif, chaud, faim, puis froid, puis quelque chose d'autre encore. L'orage rendait les mouches agressivess.

— Je vous disais donc que, ce soir, personne ne veut vous voir, éructa leur nouveau et charmant responsable en pointant le visage d'une pauvre fille terrifiée. Ce qu'ils veulent voir ce sont les coupes de champagne, le style, le respect. Faites-vous invisibles et indispensables à la fois et, demain, vous repartirez en ayant eu l'honneur de servir les plus grands de la cité.

Il avait fini sa tirade triomphalement en ouvrant grand les bras comme s'il leur faisait à tous une faveur. Pourtant, pas un seul sourire ne lui répondit, seulement du mépris. Les grands, ils les avaient bien assez côtoyés ces temps-ci.

Abandonnant toute tentative de fraternisation, il frappa dans ses mains puis leur fit signe de dégager.

— Allez, il est l'heure ! cracha-t-il en haussant les sourcils. Vermine va !

Sûrement que la deuxième invective n'était pas censée sortir oralement mais il faut croire que le personnage avait fini par montrer son venin. Qu'importe, pensa Artémis, un serpent corrompu de plus ou de moins...

Juste à côté d'elle, Bartholomé venait de faire signe à Valeria de s'approcher. Gérault, lui aussi, réapparut de derrière une colonne de marbre où il avait dû s'occuper d'une vieille femme acariâtre.

Tous quatre, ils formèrent un petit groupe resserré, comme s'ils se connaissaient depuis toujours.

— Donc toi, c'est ...

— Artémis, répondit la jeune fille en commençant à marcher vers la salle du trône. Lui, c'est Gérault et toi, tu t'appelles Valeria si je ne me trompe pas, non ?

— Eh bien les présentations sont faites, sourit Bartholomé, heureux de voir que chacun d'eux avait su lier des relations amicales pendant ce long mois de souffrance.

— Avec un peu de chance, on se reverra demain, ironisa Gérault qui semblait déjà ulcéré par cette situation plus qu'imprévue.

— On va surtout pouvoir enfin se renseigner sérieusement sur ta mère et sur Liam, chuchota Bartholomé à Artémis.

La jeune fille hocha la tête en s'assurant que leurs autres amis n'avaient rien entendu. Tous deux avaient convenu de garder leur secret pour eux afin de ne mettre personne d'autre en danger inutilement. C'était leur quête, leur raison de continuer d'espérer, leur mirage. Ils y arriveraient, seuls.

— Reste avec moi, je t'en prie, souffla Bartholomé à son amie en apercevant pour la première fois la foule de courtisans qui se pressaient sur le seuil du palais.

Devant eux, l'immense marée de gens formait un ensemble hétéroclite de couleurs tape-à-l'œil qui venaient souiller ce lieu d'une pureté inégalable. La cour des miracles n'était pas le palais du miroir d'eau, c'était incontestable.

Ignorant tout de leurs apparences décalées, chacun d'eux était muni d'un parapluie chatoyant qui leur avait servi à traverser l'immense cascade qui masquait le château aux yeux de ceux se trouvant dans les jardins. Le fameux miroir d'eau.

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant