Découragement

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— Un Miroir Barth, tu te rends compte au moins ! disait Liam d'un ton exalté en faisant tourner dans ses mains le précieux objet comme pour en arracher ses multiples secrets.

— Un bout de miroir, précisa-t-il, perdu dans ses pensées.

Celui-ci était en fait beaucoup moins enthousiaste que son ami. Pas qu'il soit un rabat-joie ou un peureux. Cependant, Bartholomé se rendait bien compte de tous les dangers que Liam serait maintenant prêt à mettre en œuvre pour percer ce nouveau mystère et cela l'inquiétait. Son ami était du genre à foncer tête baissé dans un nid de guêpes sans aucune protection uniquement pour vivre une nouvelle expérience. Alors pour un miroir...

Depuis le matin, après avoir aidé à ranger la maison de Liam de l'énorme fête de la veille, tous deux se trouvaient sur un vieux lit poussiéreux d'une ancienne maison abandonnée du village. Placée en retrait, les deux amis y avaient installé leur QG. Selon les anciens, elle avait appartenu à une famille de marchands ruinés par la guerre qui avaient décidé d'émigrer comme tant d'autres ici.

La pièce dans laquelle ils se trouvaient avait dû être celle des parents. On y trouvait une immense et magnifique bibliothèque, qui entourait chacun des murs, tapissée de vieux livres plus ou moins en bon état. Malgré leurs nombreuses tentatives pour y mettre de l'ordre, voire essayer de la nettoyer, l'air restait chargé de fines particules de poussière qui donnaient à la pièce un air irréel, presque hors du temps.

Près du lit, un vieux réveil couvert de toiles d'araignée s'était arrêté, comme pour figer la pièce dans le temps. Il marquait huit heures. Depuis seize ans qu'il attendait le retour de ses propriétaires, son cuivre avait rouillé. Tout comme le bois des portes, vermoulu et rongé par les insectes, les tapis décolorés et les tableaux ternis.

Au mur, les portraits de chaque membre de la famille semblaient attendre, eux aussi, qu'on les reconnaisse, que l'on se souvienne. Étaient-ils en vie aujourd'hui ?

Non, vraiment, Bartholomé avait peur pour Liam. L'idée même de quitter Fort-Castle était une folie. Depuis son enfance, elle lui trottait dans la tête, le rongeait comme un poison. Que deviendrait-il là-bas ? Où précisément d'ailleurs ?

À son tour, le portrait de son ami attendrait des années, accrochées au mur du salon de ses parents, de moins en moins regardé, ils l'oublieraient, l'effaceraient de leurs mémoires, à jamais. Ce bout de miroir brisé à peine plus grand qu'une écorce était un espoir fou. Fou et dangereux.

— Liam, je ne veux pas que tu partes, expira-t-il comme pour une confession honteuse.

Voyant enfin la mine défaite de Bartholomé, tiré de sa rêverie, celui-ci cessa immédiatement de parler tout seul, comme un vieil ivrogne grisé par un trop grand rêve.

— « Je » ?, s'interrogea-t-il en fronçant les sourcils d'incompréhension. Il n'y a toujours eu que « Nous » dans cette histoire, non ? Pourquoi souhaiterais-je donc partir sans toi ? Quelle aventure merveilleuse ne serait pas gâchée par le manque déprimant de Barth, le crocheteur de serrure ? Bien sûr que tu viens !

Se remettant à sourire timidement, Bartholomé accepta enfin de se pencher lui aussi vers ce bout de verre. Il lui renvoyait le reflet de ses yeux noir de jais. Ils ne les avaient jamais vues aussi nettement, c'était beau. On aurait presque pu s'y perdre. Peut-être qu'en fin de compte, ils pourraient au moins essayer de faire comme dans les contes et les vieux livres d'Histoire. Pour Liam d'abord et puis pour lui aussi, voir d'autres vieilles maisons, d'autres paysages, d'autres gens. Après, ils reviendraient, tout content d'avoir découvert que l'on n'est jamais mieux que chez soi. Les années passeraient et ils mourront heureux, dans très longtemps, très vieux et très sages.

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant