Recrutement

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Un vent violent et gras se faufilait dans le peu de cheveux qui restait à Artémis. Dans ses yeux rongés par les carences, chaque visage émacié du palier 13 pouvait lire chez la jeune fille une détermination peu commune pour cette terre de misère et de désolation. Seule, si innocente, le symbole d'une jeunesse sacrifiée.

Dans cette grande rue menant à la douane, seuls quelques malheureux en besoin urgent de monnaie osaient déjà se présenter aux bureaux de recrutements. Après les multiples rafles des semaines passées ayant pour but de simples contrôles de vérification, les gens avaient préféré mourir de faim chez eux plutôt que dans la rue d'une balle dans la tête. Mais, il faut bien que certains se sacrifient pour que d'autres passent entre les mailles du filet.

Justement, un peu en contrebas, Bartholomé enfonçait ses mains gelées dans ses poches trouées par les mites. Peut-être qu'il commençait enfin à comprendre cette sensation de peur et d'oppression constante que semblait ressentir son amie depuis sa plus tendre enfance. Derrière lui, il le savait, des gardes encore excités par les exactions de la semaine le regardaient se diriger vers l'un des seuls bureaux ouverts de cette immense artère grise et froide. S'ils le voulaient, ils pouvaient faire du jeune homme tout ce que leur caprice leur dicterait. Ici, un habitant n'en était pas un, c'était un cloporte.

Emboîtant le pas à Artémis qui, déguisée en homme, s'était engouffrée quelques instants plus tôt dans le « Centre des contrats à durée indéterminée », Bartholomé fut bloqué net par un immense homme couvert de tatouage alors qu'il voulait, lui aussi, franchir le pas-de-porte.

— Je... Bbbonjour ? bégaya le jeune homme craintivement

Sans même lui expliquer quoi que ce soit, le géant agrippa d'un air mauvais sa veste en le collant au mur le plus proche. Le cœur du jeune homme semblait maintenant prêt à exploser de crainte. Pourtant, la seule pensée cohérente qui le traversait à cet instant précis était de savoir à qui l'on remettrait son cadavre. Officiellement, il n'existait pas dans cette cité alors, on devrait forcément le faire disparaître d'une autre manière que par un enterrement classique. Peut-être en le jetant des bords de la citadelle, vers le néant...

— Hum vos chaussures salissent le sol..., s'écria soudain une voix de derrière l'immense homme.

Si la situation avait été moins dramatique, Bartholomé aurait certainement explosé de rire. Devant lui, une minuscule jeune femme en bottines rose bonbon lui demandait de se déchausser alors même qu'il était en train de se faire littéralement étrangler.

Haussant légèrement un sourcil, en signe de protestation face à cette attente qui n'était déjà que trop contraignante pour cet office au trois quarts vide, Bartholomé perçut qu'il fallait mieux obtempérer sans chercher à comprendre. Dès qu'il put enfin répondre à la demande de la petite femme, le géant qui semblait en fait servir de garde le relâcha en grommelant, satisfait d'avoir pu préserver le carrelage étincelant de son lieu de travail.

Sans lui laisser le temps de récupérer de sa frayeur, la voix nasillarde de tout à l'heure s'éloigna à petits pas serrés qui lui enjoignaient de la suivre docilement. Celle-ci traversait une salle d'attente entièrement vide en pépiant gaiement de satisfaction, comme si tout allait bien. À sa droite, une dizaine de guichets de "Contrats" avaient fermé leurs portes. Ils étaient seuls. Où était Artémis ?

S'engouffrant dans l'un des boxes un peu moins sale et vide que les autres, la femme d'un âge difficile à déterminer lui fit face, par-dessus le symbolique panneau du guichet lui priant d' "Attendre" que l'on s'occupe de lui. Celle-ci ne fut pourtant pas bien longue, car, déjà, la femme en complet rose fuchsia avait sorti un calepin à peine entamé de l'un de ses petits sacs à main.

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant