Comme un vent d'imprévu

89 12 1
                                    

Un peu plus loin et quelques heures plus tard, le gramophone jouait un air de l'ancien monde. Liam n'était même pas sûr d'en reconnaître les instruments, sûrement ne devaient-ils pas se trouver à Fort-Castle mais...autre part. Il y avait tant de choses qui venaient d'ailleurs, mais leur origine restait ce même et seul mot : ailleurs. Il y a bien longtemps que la géographie avait cessé d'être enseignée à Fort-Castle. Trop démodée apparemment.

Mais, il n'était pas l'heure de se morfondre en rêveries incontrôlées comme aurait dit son proviseur. Ce soir, les mains du jeune homme tremblaient un peu de nervosité. Barth n'avait pas menti, son Oncle et sa Tante avait bien prévu un anniversaire pour lui. Sûrement avait-il omis de mentionner l'invitation d'une grande partie de la cité à sa fête de majorité ?

Devant les airs affairés d'Oncle Roméo, Liam avait dû feindre d'être surpris. Cependant, il n'avait pas pu cacher son anxiété à tante Mélodie qui,contrairement à elle, savait pertinemment que son fils adoptif avait horreur du bruit et des trop grandes foules.

Voici qu'il l'entendait justement monter le grand escalier de bois qui menait à sa chambre. Chacune des marches avait une manière bien à elle de grincer ce qui lui permettait d'évaluer la progression de sa tante dans l'escalier. Enfonçant prestement sa main dans sa poche afin qu'elle ne la voie pas trembler, le jeune homme vint déplacer le fin loquet de bois qui lui procurait un semblant d'intimité dans sa petite chambre de comble. Liam aurait pu en changer depuis bien longtemps et déménager dans une des plus grandes du rez-de-chaussée. Pourtant, il n'avait jamais pu se résoudre à abandonner la vue imprenable dont il jouissait sur toute la vallée de Fort-Castle. Le jeune homme avait beau subir la chaleur de l'été et l'air glacial de l'hiver, il n'était pas né celui qui le délogerait de son antre.

Venant vérifier l'état d'avancement de l'habillement de son neveu, Liam vit bientôt se dresser devant lui Tante Mélodie, encore plus somptueuse que d'habitude. Elle avait cousu une robe magnifique pour l'occasion qui, ornée de fleurs des champs cueillis le matin même, lui conférait une stature aussi douce que sage. En apercevant Liam, son visage bordé de rides s'éclaira d'un sourire attendri en contemplant celui qu'elle considérait depuis bien longtemps comme son propre fils.

— Viens là que je te reboutonne ce costume mon ange, dit-elle en éclatant d'un rire cristallin, tu es magnifique.

Contrairement au jeune homme, ses mains ne tremblaient pas. Tante Mélodie était faite pour ce genre de choses futiles et tellement fascinantes que sont la fête, les représentations, les relations sociales. Elle faisait partie du podium des vieilles dames du village auxquelles on aurait donné le bon Dieu sans concession; gentille comme on en voit rarement et aussi ferme que l'acier.

Se reculant de quelques mètres, elle regarda Liam d'un air ému. Au fil des années, il était devenu un homme. Le portrait craché de... Soudain une larme vint perler aux yeux de la vénérable dame.

S'approchant mi-gêné mi-ironique, Liam prit affectueusement le bras de sa tante pour la faire assoir face à la fenêtre de sa chambre.

— Est-ce donc un jour si triste pour que nous ayons besoin d'en pleurer, dit-il amusé, Peut-être allons-nous devoir annuler la fête dans ce cas ? Quelle tristesse !

Sa tante ne répondant pas à ses tentatives pour lui redonner le sourire, Liam aperçu enfin ce qui-là préoccupait. Dame Mélodie, comme l'appelaient les enfants du village, avait les yeux tournés vers un portrait, l'un des seuls, que Liam conservait de ses parents.

On y voyait son père, Philéas, tenir sa mère, Aliénor, par la taille. Tous deux avaient le regard tourné vers un point extérieur à la photo et, à leurs lèvres, on sentait naître un début de fou rire. Cette photo, Liam la connaissait par cœur. Lorsqu'il était petit, il lui arrivait même de dormir avec. Il avait essayé de se souvenir d'eux, de les garder dans son cœur. En vain. Son père n'était pas là à sa naissance et peu après, sa mère était morte des suites de l'accouchement. On avait attendu des années le retour de Philéas...

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant