Toi?

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Les portes défilaient comme file le vent. Ce non-lieu était particulièrement envoûtant. Comme si tout avait un semblant de réel, mais seulement un semblant. Rien n'avait de vraie consistance. Tout était trop blanc, trop silencieux, trop... aseptisé. Les murs étaient doux, le sol moelleux. Ici, les lois de la physique n'existaient plus.

Maintenant, Artémis en était sûre, le geôlier était bien médecin autant qu'il était passeur et bourreau. Sa froideur collait à toutes les tâches qu'on lui avait confiées. Sous sa grande barbe rousse impeccablement taillée, on ne pouvait jamais déchiffrer aucune pensée.

D'ailleurs, en faisant défiler les portes d'un simple geste de main répétitif, le poignet enfoncé dans un mur, comme s'il avait été du beurre, Monsieur Bruntler s'était même mis à siffler une mélodie atrocement lente et inconnue de la jeune fille. Tout en lui irradiait, ses yeux brillaient, sa bouche tressautait de plaisir. Il était chez lui. L'antre de l'homme à tout faire du palais.

— Pressez-vous enfin ! s'énervait Valeria en le voyant prendre tout le temps qu'il fallait pour trouver la bonne cellule.

De son côté, Liam ne cessait de se ronger les ongles machinalement. Lui aussi aurait dû être en colère, stressé ou quoi que ce soit d'autre. Pourtant, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, le jeune homme se sentait particulièrement bien ici, trop bien. Quelque chose en lui trouvait en ce lieu une saveur délicieuse. Comme si ce long couloir, tout droit sorti de l'imagination d'un passeur, lui en apprenait plus sur son don qu'en toutes les années qu'il avait passé à éplucher les bibliothèques sur ce sujet. Aujourd'hui, il lui semblait bien que sa particularité était plutôt symbole d'une malédiction mais, il en était sûr, une autre voie pour lui était possible. Trop longtemps, il avait subi ce qu'il était mais, à cet instant précis, ce lieu lui procurait un sentiment qui le rapprochait de ses ancêtres, de ses parents. De ce qu'il était, caché au fond de lui, enfoui, oublié. Un vent de libération.

S'il écoutait son cœur, Liam aurait voulu assommer le passeur de questions. Toutes celles qu'il n'avait pu poser avant. Mais il le savait. Cet homme n'était pas leur allié, loin de là. S'il en avait l'occasion, il les tuerait sans état d'âme ou les enfermerait en ricanant.

Dans sa poche, sa montre à gousset le fit redescendre sur terre. Il n'était pas ici en touriste. Repoussant alors ses pulsions de curiosité, le Prince préféra pointer son pistolet droit sur la tête de leur fascinant guide. Se passant de mots, le message était clair.

Une nouvelle fois, la peur et le pouvoir firent merveille. Quelques secondes plus tard, le mur, qui défilait maintenant depuis plusieurs minutes, s'arrêta sans un bruit.

Il avait suffi à Bruntler de l'effleurer pour que tout s'arrête et qu'ils se retrouvent tous en face d'un simple miroir mural de la hauteur d'un homme. La seule touche de couleur de cet espace consistant en une petite pancarte rouge accrochée juste au-dessus de lui.

Liam aurait pu en demander la signification mais il craignait de comprendre ce qu'il envisageait déjà. C'était la "cellule punitive" dont l'homme avait parlé. Le pire cachot de la pire prison de toute la cité. Qu'importe, son ami était de l'autre côté.

"Bartholomé".

Liam allait le revoir et, pourtant, son visage restait froid. Il ne croirait qu'en ayant vu. La déception ça, non, il ne le supporterait pas.

Poussé par l'urgence, d'un même geste, Liam et le geôlier étendirent alors la main vers la surface réfléchissante. Sans que le Prince ait le temps de la retirer, déjà, le miroir avait pris sa teinte éclatante, encore plus forte que celle de tout à l'heure.

Les déchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant