Elio ne m'a pas menti en affirmant que les remparts sud sont d'un ennui mortel. Notre garde n'a pourtant pas si mal commencé pour moi ; une fois notre escouade installée au sommet des remparts, Gaston m'a relaté ses meilleurs souvenirs au camp, dont la plupart implique Jérémy, mon prédécesseur parti en mission d'espionnage chez un chef de clan isotanien. J'ai vite compris que le soldat n'est pas seulement un camarade aux yeux de son cadet, c'est un ami et un grand frère qu'il admire profondément. Et derrière ses récits passionnés, je vois bien que l'absence de son modèle le pèse plus qu'il ne l'admet à lui-même. Même si sa surexcitation perpétuelle m'exaspère toujours au plus haut point, je dois bien admettre que je commence à ressentir de l'affection pour lui. Le fait que la majorité des occupants du camp me regarde de travers depuis mon arrivée doit y être pour beaucoup, mais sa présence me rassure malgré moi.
Pourtant, même Gaston et son flot de paroles incessant ont fini par succomber à l'ennui au bout d'une heure. Lorsqu'il a commencé à me raconter pour la deuxième fois sa mésaventure impliquant les écuries du camp, un cheval avec un trouble intestinal et une botte souillée, j'ai compris que même lui était à court de sujets de conversation. Il est finalement parti s'assoir aux côtés d'Alexander pour observer la cime des arbres au loin, illuminée par l'éclat argenté de la lune. J'ai moi aussi observé d'un œil distrait le décor sous mes yeux en quête de mouvements suspects puisque, après tout, c'est la mission qui nous a été confiée.
Mais je suis à présent certain que rien ni personne ne viendra perturber le calme de la grande étendue de verdure qui sépare notre camp des forêts isotaniennes à plusieurs centaines de mètres de là. En réalité, notre mission n'est que préventive, et la possibilité qu'un danger survienne depuis ce côté du camp est quasi nulle. C'est pour ça qu'ils confient sa surveillance à de jeunes recrues en service militaire, et non à des soldats expérimentés prêts à affronter tous les monstres qui surgiraient de ces bois.
Submergé par l'ennui, le froid et la fatigue, j'ai finalement sorti de ma besace le recueil de poésie qu'Elio m'a prêté dans l'espoir qu'il me permette de ne pas m'endormir sur mon tabouret en bois terriblement inconfortable. Tout en jetant par moments des regards distraits par-delà les remparts, je me laisse emporter par la magie des mots de Ludwig Frampon. Elio avait raison, ses poèmes sont sublimes et me font voyager aux quatre coins du continent à chaque vers.
— Tu aimes ? m'interpelle une douce voix que je reconnais immédiatement.
Je lève la tête des pages pour découvrir mon beau camarade longeant les remparts d'un pas nonchalant pour me rejoindre. Il se hisse sur la bordure de bois qui surplombe la vingtaine de mètres de vide de l'autre côté des remparts, un petit sourire au coin des lèvres.
Bon sang, il est si beau.
— C'est magnifique, avoué-je en refermant le livre, glissant un doigt à l'intérieur pour ne pas perdre ma page. Je viens de terminer celui sur la mer, il est incroyable.
Le sourire de mon camarade s'élargit, et je discerne un éclat espiègle dans ses yeux, comme s'il espérait secrètement que je lui parle de ce poème.
— Ce texte me tient tout particulièrement à cœur, avoue-t-il en baissant les yeux, pas d'un air gêné mais plutôt avec une certaine mélancolie. Il parle de mon peuple, les Iwoïa.
J'écarquille les yeux, surpris de cette révélation.
— Tu viens d'un peuple de pêcheurs ?
Il hoche lentement la tête en relevant un regard ému dans ma direction.
— Mon père était pêcheur, et j'aurais dû prendre sa place à ma majorité. Rejoindre une embarcation et nourrir ma tribu comme le font tous les hommes Iwoïa.
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Timothy - La naissance d'un guerrier
FantasyTimothy est le prince héritier du royaume de Walinie. Depuis sa naissance, sa route est déjà toute tracée par ses parents, le peuple et même la presse. Il est destiné à devenir un roi, un grand homme, une légende. Pourtant, il a bien d'autres problè...