Timothy - La naissance d'un guerrier

Chapitre 2

— Toc, toc, toc ! C'est le prince, lancé-je d'une voix guillerette en poussant la porte entrouverte de l'atelier de Pierre.

Un arc-en-ciel semble avoir vomi dans la pièce. Des étoffes aux couleurs plus criardes les unes que les autres débordent des étagères installées aux murs de chaque côté. Sur la table qui me fait face, des chutes de tissu sont entassées dans un bordel sans nom. Je ne comprendrai jamais comment ce type a réussi à garder un poste qui consiste à gérer l'organisation de tout le palais en étant lui-même si désorganisé.

— Sa majesté ! m'accueille-t-il d'une voix chantante en m'adressant une révérence exagérément polie.

Les yeux levés au ciel, je secoue la tête sans être néanmoins capable de retenir un gloussement amusé.

Pierre Colho, intendant du palais et styliste occasionnel de la famille royale, est l'oncle que je n'ai jamais eu. Derrière cette grande perche d'un mètre quatre-vingt aux cheveux gris hirsutes, aux jambes élancées et aux bras fins comme des brindilles se cache un homme au cœur aussi pur qu'un diamant brut.

Les rides marquées sur son front et la profondeur de ses yeux bruns témoignent du parcours difficile qui l'a mené où il en est aujourd'hui, au poste le plus important du royaume après celui occupé par mon père.

— Entre, Timothy ! me lance-t-il d'une voix suraiguë en agitant le bras pour appuyer son propos. Tu es déjà bien assez en retard comme ça. Il ne faudrait pas que tu arrives à la conférence de presse sans rien d'autre qu'une culotte. Quoique...

Il s'arrête un instant, faisant mine d'imaginer la situation, avant d'ajouter :

— Ça pourrait plaire aux demoiselles en ville... et aux messieurs, complète-t-il avec un clin d'œil.

Pierre est le seul adulte du palais à savoir que j'aime les garçons. D'ailleurs, hormis Ian et une cousine éloignée à qui je m'étais confié lors d'une soirée un peu trop arrosée, je n'en ai parlé à personne. Pourquoi avoir ouvert mon cœur à Pierre ? Certainement parce qu'il est gay lui aussi, et totalement fier de l'être. Son compagnon, Eric, est un ami de ma mère, et le couple est régulièrement invité aux réceptions de mes parents. Je les admire de s'aimer aussi ouvertement alors qu'ils côtoient la noblesse. Beaucoup de familles royales considèrent encore l'homosexualité comme une lubie de pauvres. Chacun peut évidemment s'acoquiner avec qui il veut, mais lorsqu'il s'agit de mariage, un garçon de sang royal se doit de trouver une jeune femme capable de lui offrir une descendance. Épouser un homme et briser sa lignée, c'est une aberration.

Pierre a néanmoins une chance que je n'ai pas : il n'était pas l'aîné de sa fratrie. Fils du chef d'un clan installé dans les terres reculées au sud de la Walinie, il est quatrième prétendant à sa succession. Autant dire qu'il ne connaîtra jamais le poids de la couronne sur sa tête. Il a donc pu se permettre d'épouser Eric et d'adopter deux enfants de sang bâtard sans craindre de déchaîner la colère de son père. Ce n'est pas mon cas. Fils unique du roi de Walinie, je serai condamné à épouser une femme et à lui faire des enfants.

La simple idée de faire une telle chose me donne un haut-le-cœur. Ou bien est-ce la confiture de figue bleue de ce matin ? Elle avait un goût assez étrange, tout compte fait.

— Oh là, Timothy ! m'interpelle Pierre en agitant la main devant mes yeux. Tu es là ?

Je secoue la tête pour me concentrer sur l'instant présent. J'aurai bien assez de temps pour m'inquiéter de mon avenir marital à mon retour de l'armée.

— Désolé, j'ai un peu la tête ailleurs, avoué-je tandis qu'il me montre la petite estrade au centre de la pièce sur laquelle je grimpe sans attendre.