Du coup, les gardes les prirent effectivement pour des terroristes, et se mirent aussitôt en ordre de bataille.
— Plan B, les enfants ? proposa précipitamment Sully, voyant que la situation prenait une tournure plutôt défavorable.
— Heu, c'est quoi le plan B ? demanda Blythe, inquiète.
— Encore faudrait-il qu'il y ait un plan A, il me semble ! s'écria Tito, persifleur.
— La ferme, le rital ! lui balança sèchement Lucy.
Ce à quoi il répondit, d'un air narquois et en joignant le geste à la parole :
— Phoque !
— T'en veux une, Tito ? intervint Regina qui lui promettait une torgnole de matrone.
La jeune femme mit sa menace à exécution, administrant illico au bellâtre une belle gifle derrière le crâne, puis sortit son pot de farine pour pratiquer son art divinatoire. Le résultat fut hélas sans appel, il fallait s'attendre à une défaite cuisante.
— Sans vouloir vous mettre le moral à zéro, les amis, ça a vraiment l'air mal engagé !
— Oh, la baleine, tu as besoin de tes ustensiles de cuisine pour t'en rendre compte ? Ça n'est pas assez évident comme ça ? railla Tito, le regard plein de mépris.
— Dis, le thon de Méditerranée, ne la ramène pas et arrête un peu tes simagrées ! répondit Blythe, remontée à bloc, venue à la rescousse de son amie.
— Ce n'est plus une pique, là ! C'est une lance, un javelot, que dis-je, un harpon ! s'écria Lucy.
— Lads ! Sans vouloir vous déranger, on continue dans les métaphores marines, ou on défouraille ? interrompit le mage irlandais, qui lui, était fin prêt et déjà en position de combat.
— ON DÉFOURAIIIILLE ! hurlèrent à l'unisson ses compagnons d'aventure.
S'ensuivit une bataille épique, digne des réalisateurs américains Oliver Stone ou les désormais sœurs Wachowski. Cette analogie pourrait être jugée comme douteuse et approximative, mais tant pis. D'ailleurs si vous ne les connaissez pas, c'est que vous avez sûrement passé ces vingt ou trente dernières années sur une île déserte, je vous recommande de remédier à cela, bande d'incultes.
Donc, d'un côté des gardes en uniforme, au visage stoïque, qui avaient l'air tous sortis du même moule, grouillaient de toutes parts, comme autant de cancrelats débusqués de leur cachette. Certains mitraillaient de manière synchronisée, d'un air très décidé, en direction de nos aventuriers préférés, tandis que leurs collègues les menaçaient avec leurs armes.
De l'autre, le groupe qui s'évertuait à éviter les balles, dans une chorégraphie aussi improvisée qu'endiablée, digne de la technique du Bullet Time, chère aux réalisateur.ices cités plus haut. Tito dégaina aussitôt ses poignards, tandis que Blythe et Lucy se concentraient pour se métamorphoser en chèvres. Suileabhan attendait le bon moment pour effectuer sa vaporisation fromagère en nuage opaque, dans l'éventualité d'une fuite précipitée, et se tenait prêt à faire feu avec divers sorts d'attaque pour couvrir ses équipiers. Urs, qui n'avait aucun talent surnaturel, à l'instar de Regina, se contenta de saisir sa hache à double tranchant qu'il manipulait avec beaucoup de style et de dextérité, pour casser du menton ou du genou. Son amie chilienne s'arma d'ustensiles de cuisine qu'elle fit tournoyer au-dessus de sa tête, prête à défendre son honneur et sa vie.
— Cher monsieur, une petite trépanation ? Sinon, je peux vous proposer une colectomie, mais ça sera sans anesthésie... proposa, avec une politesse curieusement belliqueuse l'Helvète à son premier adversaire.
— A bene placito ! (à votre bon cœur, selon votre bon plaisir) répondit le garde, pris au dépourvu, qui ne s'attendait pas à autant de sollicitude feinte de la part de son opposant.
— D'accord, comme vous voudrez, mais ne venez pas pleurnicher ensuite !
— Beatus qui prodest quibus potest ! (heureux qui vient se rendre utile à ceux qu'il peut aider) répliqua alors le futur décédé léger.
Pendant ce temps, le mode 'biquettes berserkr' prenait possession de Lucy et Blythe. Une fois tout à fait métamorphosées, elles se frottèrent les cornes courbées avec fureur, comme des lames qu'on aiguise. Les jumelles poussèrent alors à l'unisson un grand chevrotement de guerre, et chargèrent sans vergogne leurs innombrables assaillants. Leur tactique était simple : viser en particulier les membres inférieurs qui leur demandait le moins d'effort à atteindre.
Parfois, l'une ou l'autre parvenait à taper dans la redoutable zone sous-ventrale, en prenant un peu d'élan, à ne pas confondre avec l'orignal. Ça n'a vraiment rien à voir. Que viendrait faire un cervidé de huit pieds et demi de haut en plein milieu d'un champ de bataille, qui plus est au fin fond du désert, tel un chien dans un jeu de quiches, pour reprendre l'expression consacrée. Encore que, ça pourrait aussi bien être une ruse tout à fait lumineuse pour déstabiliser l'adversaire.
Regina, Tito et Urs, les « non-magiques », ne manquaient pas de force ni de courage. Ainsi, la jeune femme se servit à cette occasion de ses louches et marmites d'une manière plus musclée qu'à l'accoutumée. Des grands GOOONNNG retentissaient à intervalles réguliers, lorsque des têtes rivales heurtaient avec violence les ustensiles en fonte garantie cent ans.
— Tiens, ça me fait penser, que voulez-vous manger ce soir ? s'écria-t-elle à la cantonade, profitant d'une petite accalmie dans la bataille, qui s'essoufflait après les premières minutes intenses.
— Humm, j'aurais bien envie de lasagnes, moi ! lança Tito, en même temps qu'une de ses dagues sur un gros garde bedonnant, qui constituait de toute évidence une cible assez facile pour cet expert en balistique.
— Encore ? Oh non, elles sont délicieuses mais on en a mangé hier... il faudrait essayer de varier un peu, non ? Et pourquoi pas un Irish stew ou un pot-au-feu, par exemple ? L'inconvénient, c'est que ça se mijote assez longtemps... bougonna Sully, tout en esquivant un tir groupé de balles, grâce à un sort de déviation mineur.
Urs, à son tour, tenait à faire un commentaire sur le menu.
— Tiens, ça me rappelle une drôle d'histoire que j'ai entendue quand j'étais jeune, le « grand pot-au-feu », avec des hommes-poireaux, des hommes-navets...! Une histoire saugrenue, qui ne manquait pas de sel ! s'esclaffa-t-il. En ce qui me concerne, j'aurais bien envie d'une fondue au fromage, ou une raclette. C'est un plat bien d'chez moi, qui ravigote, surtout après avoir fait de l'exercice. Du fromage, des patates, de la charcutaille, c'est simple et efficace. Quoi demander de mieux ?
— Alors, on a le mal du pays, Urs ? le taquina gentiment Sully. Remarque, c'est une bonne idée, c'est roboratif, dit-t-il en se léchant les babines. En plus, j'en ai plein du fromage, moi ! Cela dit, je voudrais en conserver suffisamment pour mes sorts.
— Pff, vous n'êtes jamais contents ! Je vais bien réussir à bricoler un petit frichti, je ferais ce que je peux avec les moyens du bord, mais vous verrez, le jour où je me mettrai en grève, ça va vous faire tout drôle ! Faudrait vous décider !
— Bêêêh ! renchérit avec enthousiasme Blythe, à moins que ce ne fut Lucy.
— Merci de me soutenir, chérie ! répondit-elle à son amie particulière, avec un clin d'œil complice, avant d'enchaîner avec l'équivalent guerrier d'un strike, en cognant avec application sa plus grosse louche sur les fronts de trois soldats parfaitement alignés.
GOOOOOONG !
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Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !
AdventureVenez vivre une aventure défrisante ! Dans un monde où les humains - en majorité tout à fait normaux et inconscients du monde magique qui les entoure - côtoient des sorciers, des métamorphes, et toutes sortes d'êtres mythiques extraordinaires, Euphr...