Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !

Bilan de compétences

— Hein ? Vous avez entendu la même chose que moi ? murmura Sully à ses comparses.

— Heu, oui... ! chuchota Regina, perplexe.

— Hé, c'est mon tour ! réclama Tito, tel un enfant excité le jour de distribution des bonbons.

— Chhhhhuteuh ! le rabroua Sully aussitôt. Nous ne sommes pas assez loin de la base, les gardes risquent de nous entendre, baisse d'un ton ! Et toi aussi, la petite voix, s'exclama-t-il en pointant du doigt le ciel, d'un ton autoritaire.

Après une petite pause, la voix, impassible, poursuivit son énumération avec méthode, toujours sur le même ton monocorde et solennel, mais en effet, sur un volume un peu plus faible.

— Les chèvres, la cuisinière et le guerrier suisse sont dorénavant de niveau 2.

— Alors, c'est à moi maintenant ! grogna Tito, contrarié par cette attente qu'il trouvait interminable.

— Mets donc une chaussette dedans ! lui lança vertement Lucy, son index sur la bouche.

Silence. Rien. Pas le moindre son pendant les deux longues minutes qui suivirent. Le rital enrageait et trépignait d'impatience en silence, cette fois-ci, pendant que ses camarades se regardaient les uns les autres, mi-amusés, mi-impatients. Il faisait les cent pas à en donner le tournis au reste de l'équipe, s'arrêtait parfois pour taper du pied, les bras croisés sur le torse, affichant une mine en colère, puis recommençait son manège.

— Bon, hé ben puisque j'ai le temps, fulmina-t-il, n'y tenant plus, je vais faire la gueule. Ras le bol d'être dénigré dans ce soi-disant groupe. Depuis le début, tout est bon pour se foutre de ma trogne ! Juste pour savoir, aux dernières nouvelles, est-ce que le monde a décidé de devenir complètement débile ? Ou c'est juste contre moi ?

Personne ne répondit à cette question sans doute rhétorique, et un silence pesant s'ins­talla quand, sans crier gare, la voix annonça fort et clair :

— Le lanceur de poignards est maintenant de niveau 2. Le comité d'attribution des niveaux des quêtes légendaires vous adresse ses compliments les plus cordiaux.

— Ah bah enfin ! Quel suspense, flûtain... ! Bingo, bande de sacs à merde ! Hahaha ! brailla Tito vers ses camarades, en leur adressant un geste sans équivoque. Haaa ! soupira-t-il. J'ai failli attendre !

— Bon ça va, le rital, lança Regina, excédée. Tu l'as ton niveau, hein, maintenant tu te calmes ! Redescends un peu sur terre ! Et baisse d'un ton, on te l'a déjà dit ! grogna-t-elle à mi-voix.

— C'est étrange, dit Sully sans transition, j'ai l'impression que cette voix n'est audible que par nous... Bon, voyons ce que ça donne, cette histoire de niveaux. Super, j'ai accès à de nouveaux sorts ! dit-il en feuilletant son bouquin de gestion d'aventure. Je peux faire des soins aux blessures non magiques du stade léger à sérieux, et aux blessure magiques de faible et de moyenne gravité ; mon sort de vaporisation de parmesan est étendu à dix-huit sortes de fromages différents ! Et j'ai gagné un point en géolocalisation.

— Et nous, poursuivit Blythe, ravie, on peut se transformer en chèvres plus vite qu'avant, et pour une durée plus longue, génial ! Notre mode « berserkr » est amélioré. On a aussi la télépathie mutuelle, maintenant ! Déjà qu'on n'avait pas toujours besoin de se parler pour se comprendre, ajouta-t-elle en lorgnant vers Lucy d'un air facétieux, là pour le coup ce sera littéralement le cas. Excellent !

— Ma force a augmenté d'un point, cita Urs, j'ai gagné aussi en habileté, et je maîtrise plusieurs types d'armes. J'ai acquis un niveau en théorie du complot, et je suis désormais Compagnon des Francs-Maçons, premier degré ! énuméra l'Helvète. Et si vous divulguez cette information à qui que ce soit, on ne retrouvera jamais vos corps..., ajouta-t-il sur un ton menaçant.

Sa capacité à terrifier les gens avait de toute évidence augmenté en même temps que ses autres aptitudes. Regina, sur qui les paroles intimidantes d'Urs n'avaient pas de prises, s'extasia sur ses nouvelles compétences.

— J'ai accès à de nouvelles recettes, j'ai même le mode « survivor » qui me permet d'assurer un repas correct dans n'importe quelle condition, et avec n'importe quel ingrédient ! Ça risque de nous être très utile si cette aventure s'éternise ! Et puis j'ai aussi une améliora­tion pour l'aleuromancie, avec un accès à la pratique de niveau 1. Aaah... Voilà ! s'écria-t-elle en claquant des doigts. Je crois que c'est ce qu'il me manquait : c'est bien beau d'avoir la théorie, mais rien ne vaut l'exercice et la mise en pratique.

La jeune femme, bougonne, se sentait encore un peu honteuse. Elle n'était pas fière de son premier essai peu convaincant qui avait pressenti, par inexpérience plus que par erreur, une défaite lors de la bataille de la base militaire.

— Et toi, Tito ? s'étonna Lucy, suspicieuse de son silence. Tu n'as rien dis depuis tout à l'heure... Un chat a volé ta langue1 ?

— Ma dextérité est affinée, répondit-il d'une voix étrangement neutre, et je peux utili­ser encore plus d'objets contondants. J'ai aussi gagné un point de charisme, conclut-il sobrement, lui qui avait plutôt l'habitude de fanfaronner dès qu'il le pouvait.

— Pas évident vu d'ici ! persifla aussitôt Regina.

— Et ma résistance aux insultes et aux sarcasmes a augmenté de manière significative, donc ça n'est pas la peine de te fatiguer ! rétorqua le ténébreux lanceur de couteaux, d'un ton étonnamment calme, bien que teinté d'un soupçon de colère et d'ironie.

— Bon, allez, trêve de plaisanteries, enchaîna Sully. On ne va pas rester plantés là au beau milieu des dunes. On doit se rendre au plus vite à Huara, en espérant que la brebis y soit encore... Tito, s'il te plaît, montre-moi cette carte. On va l'examiner à nouveau, et Regina, réfléchis bien. Toi qui es du coin, tâche de te concentrer et te souvenir de ce petit quelque chose à propos de ce patelin.

— Je te l'ai déjà dit, répondit-elle, dépitée. Ça ne me revient pas ! C'est comme si je l'avais sur le bout de la langue, mais impossible de mettre le doigt dessus...

En attendant que la jeune femme recouvre la mémoire, le mage s'appliquait à trouver le bon cap pour établir un itinéraire vers la cité perdue, tandis que les autres se reposaient sur le flanc de la dune. Quant à Lucy et Blythe, elles faisaient maintenant une courte séance d'exercices d'assouplissement aux noms curieux d'animaux exotiques.

L'enchanteur parvint enfin à calculer un parcours en théorie sans difficultés particu­lières, et Regina expérimenta à nouveau l'aleuromancie. Son nouvel essai, bien plus probant cette fois-ci, lui permit de voir dans la farine le cap à prendre, ce qui confirma les calculs de Sully. Pendant ce temps, chacun avait eu le temps de se désaltérer, et était désormais prêt à reprendre la route à travers le désert, cette fois-ci dans la bonne direction.

***

Ils marchèrent vers l'ouest-nord-ouest durant une bonne heure, à travers un paysage rocailleux aux teintes rouille, semblable à la surface de la planète Mars. Ils passèrent en contrebas du Cerro Unita, un monticule de belle taille, sur le flanc duquel le Géant d'Atacama se trouvait, à contempler les cieux depuis des siècles, impassible.

— C'est drôle, j'ai l'impression qu'on est déjà passés par là..., déclara Lucy, pensive.

— Je te le confirme, on est bien passés ici, mais en passant par le sommet de cette butte... Je savais bien qu'on tournait en rond ! répondit Urs, blasé.

Du haut de ses deux mètres et quelques, il était bien placé pour reconnaître la sil­houette du célèbre géoglyphe à l'apparence humaine et aux dimensions divines.

— Et dire qu'on était sur la bonne voie, mais dans le mauvais sens... C'est vraiment trop con, on a perdu un temps fou ! soupira Regina, découragée.

Ils arpentèrent le désert pendant encore quelques kilomètres, et en fin d'après-midi, le groupe arriva finalement à l'approche de la petite cité pas si perdue de Huara – mais quand même bien cachée, entre son absence sur la carte, et la carence notoire de signalisation sur les routes alentour –, l'hypothétique épicentre de toute l'activité magique de ces derniers jours.