Les Chemins de l'Inca, aussi connus sous le nom quechua de Qhapaq Ñan, et en espagnol de caminos del Inca, convergent vers Cuzco, la capitale et le centre de Tawantinsu, autrement dit l'Empire Inca, à l'instar de toutes les routes de l'Empire Romain qui menaient sans exception à Rome.
Ces voies, depuis Santiago de Chili tout au sud jusqu'à Quito à son point le plus septentrional, mais aussi depuis la côte Pacifique jusqu'aux sommets andins, forment encore aujourd'hui un réseau de routes plus ou moins praticables. Elles couvrent un immense territoire, pareilles à une toile d'araignée géante déployée sur plus de 22 000 kilomètres. Elles ont permis, depuis des siècles, à toutes les régions traversées de communiquer les unes avec les autres, et d'accéder à la capitale de l'Empire rapidement.
De nos jours, ces chemins existent toujours. Qu'ils soient faits de pavés, de pierre, d'escaliers ou de ponts de cordes, ils sont souvent restés dans le même état que jadis (rien à voir avec le grand-père d'Avedis, voyons !), parfois détériorés par les nombreux séismes qui secouent régulièrement la région. Désormais ils sont restaurés dans un souci de conservation du patrimoine, de manière à ce qu'ils restent accessibles pour les nombreux randonneurs en quête des fabuleuses cité d'or et autres panoramas à haut pouvoir instagramable.
Toutefois, et Avedis l'apprit à ses dépends, il est strictement défendu de les parcourir avec des véhicules à moteur, pour des raisons de sécurité et de préservation plutôt évidentes. La réglementation étant très stricte à ce sujet, aucune exception ne serait faite. Avedis décida donc qu'ils emprunteraient les voies secondaires, beaucoup moins fréquentées et surveillées, sur lesquelles ils pourraient toujours utiliser le side-car, sans que ça leur gâche le plaisir de voyager.
Ils quittèrent la région de Putre pour prendre la direction du nord. Il leur restait près de 700 kilomètres pour rejoindre la mythique cité inca, via le volcan Tacora et son petit village d'Aguas Calientes, voisins du Chupiquiña et de la fameuse lagune blanche, littéralement coupée en deux par la frontière avec le Pérou. L'itinéraire ne posait pour le moment aucune difficulté particulière en dehors du relief escarpé, de la route cabossée et de l'abondance d'animaux qui semblaient défier le code de la route en traversant à tort et à travers devant eux, pour ne pas changer. Un vrai régal.
En filant vers le nord-ouest, ils franchirent la frontière péruvienne sans aucun souci. Par bonheur, personne ne se manifesta au poste de douane, et Avedis n'eut qu'à manœuvrer discrètement le side-car pour passer la barrière. Il guettait tout signe de mouvement par la fenêtre du poste, d'où on entendait des éclats de voix. D'après ce qu'il entendit, les gardes se trouvaient à ce moment précis en plein bingo-Texas-hold'em, où la mise représentait une forte somme en pesos canadiens, et où le Pisco coulait à flots...
Une fois ce passage délicat accompli, ils arrivèrent près du volcan Challamoco et de la lagune bien-nommée Viscacha, où ils rencontrèrent des hordes de viscaches, ces adorables petits animaux rondouillards, mi-lapins, mi-chinchillas. Ils y firent une halte avant de remonter plein nord, et déjeunèrent dans une cahute tenue par un vieux couple d'expatriés néerlandais qui vendait entre autres de délicieux mollets de truite cuits à la braise, une spécialité locale qui manque vraiment à être connue.
Les trois amis y firent la connaissance d'un pirate d'eau douce qui portait ce qu'on pourrait qualifier de lunettes pare-balles, vous savez, comme Derrick, dans la série allemande du même nom. L'homme, surnommé Sissi en hommage à l'impératrice – pour des raisons obscures –, avait la fâcheuse tendance à insulter gratuitement chaque personne qu'il croisait sans aucune raison valable, comme l'aurait fait un célèbre capitaine de marine marchande, mais sans la casquette ni la barbe fournie. À croire que c'était sa façon de saluer, ou que ça le maintenait en forme : c'était un peu son yoga ou sa séance de méditation quotidiens. Il gratifia d'ailleurs à cette occasion nos amis d'un « barrez-vous ou je vous arrache les yeux et je pisse sur vos cervelles, bande de fouines inquisitrices ! » tout à fait désopilant. Mais comme cet aparté n'a strictement aucune utilité dans notre histoire, passons.
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