Un voyage inattendu

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Un beau matin, tandis que la pleine lune illuminait encore de son pâle éclat la vallée en partie enneigée, et que les rayons du soleil pointaient à peine derrière les sommets environnants, Euphrosine émergeait doucement de la chaleureuse torpeur de la bergerie. Comme souvent, elle observait d'un air distrait l'astre de la nuit, alors qu'elle s'adonnait à sa séance de défécation et de méditation transcendantale bi-journalière. Soudain, une vague de clairvoyance l'envahit, du bout de ses sabots jusqu'à la pointe de ses oreilles.

Un éclair de lucidité la frappa, une authentique épiphanie, aussi fulgurante qu'éclairée. L'évidence s'imposa alors à elle : pour le formuler poliment, elle s'enquiquinait ferme dans ce hameau paumé, ce qu'on pouvait aisément comprendre. Certes, le décor était sublime, mais imaginez : pas de télévision, ni Internet, et encore moins de centre commercial. Niveau confort, rien de folichon : pas d'eau courante ni d'électricité. Pour résumer, du point de vue loisirs, modernité et technologie, elle se trouvait en zone blanche.

Ce beau matin, donc, la brebis scrutait l'astre de la nuit, qui semblait lui sourire d'un air énigmatique, comme la Joconde devant un visiteur du Louvre, avant de disparaître jusqu'au soir suivant. Euphrosine décréta qu'elle avait officiellement assez perdu son temps à ne rien faire. Il était temps pour elle de partir à l'aventure !

Elle prit alors son seul bien, un manteau bien douillet en laine longue et fine, même si, pendant l'espace d'un instant fugace, elle avait hésité avec le nœud coulant qu'elle avait tricoté la veille. Ainsi équipée pour affronter le froid piquant d'altitude, elle profita d'un moment d'inattention des humains pour filer à l'anglaise, et partit dans le froid, à la recherche de la fameuse réponse à la grande question sur la vie, l'univers et le reste.

Pleine d'entrain, elle crapahuta ainsi durant des heures sur des sentiers poussiéreux, au petit bonheur la chance, à travers des plateaux arides à la végétation éparse et le long de lagunes. Lorsque l'astre solaire, les quelques condors des Andes et autres charognards qui la survolaient furent au zénith, elle atteignit un hameau de trois maisonnettes d'adobe délabrées. Tout près de ces habitations traditionnelles aux murs blanchis à la chaux, se trouvait une petite auberge à l'aspect tout aussi miteux, nichée au creux d'une falaise abrupte : La Taberna del Perro que se tira un peo, autrement dit La Taverne du Chien qui Pète.

Ce nom plutôt insolite lui avait étrangement donné envie d'y entrer, et après un instant d'hésitation, sa curiosité l'emporta. La brebis s'approcha avec prudence, jeta un coup d'œil par une des fenêtres. Elle voulait vérifier le taux de fréquentation de l'établissement. Étant fugitive, sans compter qu'elle ne se trouvait pas encore très loin de son village, elle devait absolument éviter de se faire repérer. Hors de question de faire demi-tour alors que son aventure ne faisait que commencer.

Vous imaginez, au bout de deux pages ? Euphrosine est ramenée à son village, consignée à la bergerie jusqu'à la fin de ses jours.

FIN.

AH NON, HEIN !

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant