Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !

Mes biens chers frères et sœurs

Le groupe entra donc dans l'édifice religieux en file andine, qui revenait à la mode dans la région, de la plus petite en tête au plus grand en queue de cortège. La porte monu­mentale s'ouvrit devant eux, dans un tintinnabulement léger, comme s'ils étaient attendus, à moins qu'elle ait été dotée d'un ingénieux système d'ouverture automatique par détection de mouvement. Chacun eut la liberté de choisir une explication en adéquation avec ses propres croyances.

Une douce mélopée flottait dans l'air, à peine audible. Une vaste entrée en marbre blanc veiné d'un délicat gris étain s'ouvrait devant eux. Les compagnons observèrent en silence les lieux, dont le plafond ouvragé, en coupole, montait très haut dans la paroi du canyon. La décoration, ou plutôt sa quasi absence, soulignait l'aspect épuré et lumineux de la grande pièce. Le moindre petit bruit produisait un écho sonore, et occultait immédiatement la gracieuse mélodie. Leurs pas attirèrent très vite un homme barbu, vêtu d'une aube immaculée qui laissait entrevoir une carrure puissante. L'homme en blanc se dirigea vers eux à bras ouverts, et s'exclama, la voix pleine d'allégresse :

— Bonjour mes biens chers frères et sœurs !

Un écho ténu répéta ces paroles de bienvenue quelques instants.

— En ce qui me concerne, je suis fils unique ! répliqua aussitôt Tito, en marmonnant dans sa fine moustache parfaitement taillée, toujours prompt à lancer des vannes comme des poignards.

Sully lui flanqua aussitôt un violent coup de coude dans les côtes pour qu'il se taise, et s'empressa d'enchaîner, pour donner le change et ne pas entamer la discussion du mauvais pied.

— Bonjour mon frère !

— Mes salutations.

Je suis heureux d'accueillir de nouveaux disciples dans la Maison de la Très

[Sainte Communauté.

Je vous accompagne au bureau des adhésions,

c'est de ce côté.

Avant que l'un de nos aventuriers n'eut le temps de répliquer quoi que ce soit, deux autres religieux, de constitution encore plus robuste que le premier, avaient surgi derrière eux, comme sortis de nulle part. le groupe se trouvait acculé, aucun retour ne semblait possible, désormais. Les prêtres, dans un silence autoritaire, poussèrent les aventuriers en douceur vers cette pièce.

Un nouveau Frère les guettait sur le seuil de celle-ci. Il tenait un plateau en métal précieux rempli de coupes ouvragées, qui ressemblaient étrangement à l'idée qu'on peut se faire du Saint Graal dans l'imaginaire collectif. Le disciple leur tendit aussitôt l'une d'elles, en guise de cocktail de bienvenue. Au premier coup d'œil, on aurait dit un audacieux et détonnant mélange de vodka, d'antigel et de lave-glace, ce qui ressemblait fort à un traquenard savamment orchestré.

Les six camarades prirent une coupe et firent leur entrée dans la nouvelle salle. Une quinzaine de personnes y patientaient en devisant à voix basse, sirotant leur propre coupe au breuvage mystérieux.

L'homme qui les avait accueillis avec chaleur et empressement traversa le public, tel Moïse séparant la Mer Rouge, ou encore comme un requin affamé fondant sur un banc de maquereaux, pour rejoindre une estrade surmontée d'un pupitre, à l'autre bout de la pièce. Il s'agissait sûrement de l'évangélisateur en chef.

Il fit face à la foule, et dans un geste ample, ouvrit grands les bras comme dans une étreinte collective ou un vautour qui fond sur sa proie, et commença son allocution.

— Mes biens chers Frères et Sœurs,

buvons tous en chœur !

Chacun de nos aventuriers leva son verre, fit mine de trinquer avec les autres participants. Aussi méfiants qu'inquiets, aucun d'eux ne s'hasarda à tremper ses lèvres dans le liquide douteux. Urs s'apprêtait à informer ses compagnons qu'il subodorait un complot, mais Blythe, dans sa grande candeur, comme si le beurre ne pouvait pas fondre dans sa bouche1, lança tout de go :