Panique au village

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Au même moment, dans le village natal d'Euphrosine, au fin fond de la Cordillère des Andes...

— Ayudaaaaa ! À l'aiiiiide ! Par Inti, Viracocha et Illapaaa1 ! Par tous les dieux du volcan Licancabur, c'est effroyable, c'est abominaaaable, c'est épouvantaaaable !

Le berger en charge du troupeau d'Euphrosine claironna à pleine voix la funeste dépêche à travers tout l'ayllu, depuis les cultures en terrasse qu'il dévala en trombe, jusqu'au centre du bourg en contrebas, aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes arquées. Ses glapissements paniqués provoquèrent ainsi un attroupement de la population, qui laissa tout en plan et convergea comme un seul être inquiet vers l'unique place du village.

Le berger fit un grand dérapage moyennement contrôlé dans la terre battue, et manqua de se vautrer lamentablement sur les pieds d'un jeune garçon.

— Une brebis a disparu ! Nous allons tous mouriiiiir !! meugla-t-il, à bout de souffle.

— HeEeiIin ? geignit en la dièse mineur le prépubère en guise de réponse, de son air le plus benêt et de sa voix de crécelle en pleine mue.

Le berger, maintenant à quatre pattes, tâcha de reprendre sa respiration après un tel sprint, avant de brayer, dans une quinte de toux digne d'un vieux fumeur de gitane sans filtre :

— Il en manque une !! Une brebis a disparu ! Nous allons tous mouriiiiir !!

La foule répondit aussitôt dans un grand « HO ! » choqué, ponctué de cris aigus. Cet état collectif d'affolement teintée de panique s'expliquait par une terrifiante légende ances­trale qui faisait loi depuis des siècles dans ces contrées.

Celle-ci stipulait que si une brebis âgée de moins de trois paires d'incisives2 disparaissait, cet évènement, d'apparence anodine pour le témoin païen, annonçait pour le moins une disette sans précédent, qui s'abattrait par décision divine sur la communauté Atacama, pour les trois années qui suivraient.

Par ailleurs, si l'animal n'était pas retrouvé avant la cinquième pleine lune de l'année, alors seul le rituel du Chaccu3 pourrait peut-être calmer l'ire de la trinité Inca. La liturgie Atacamène, dans de telles circonstances, consistait en une chasse traditionnelle à la gigogne, au terme de laquelle il fallait préparer une paire de pattes d'une gigogne mâle, enduit de salsa pebre (sauce aux tomates, oignons, piments). Les villageois devaient ensuite jeter les pattes de la bête sacrifiée dans les flammes du cratère du Licancabur, lors d'une grande cérémonie pro­cessionnaire, à grands renforts de costumes folkloriques, et de chants anciens. Les restes de l'animal seraient ensuite partagés lors d'un festin sur la place du village.

Si ce sacrifice n'était par malheur pas du goût des déités, leur colère se manifesterait par une terrible éruption dévastatrice du Licancabur, l'explosion concomitante d'une poche souterraine de gaz hautement inflammable, suivie d'une tempête de sable aux proportions bibliques, sans compter le passage du rallye-raid 'Dakar' dans le désert d'Atacama. Autant dire que ces évènements de natures disparates n'augureraient rien de bon pour ce paisible hameau, ni pour les ayllus des alentours.

***

Note à benêt : vous remarquerez que les villageois ont tout de même mis des jours pour se rendre compte de l'absence suspecte de notre héroïne. Même s'ils avaient de la marge, la cinquième pleine lune approchait inexorablement.

***

Il était donc temps pour nos amis paysans de se mettre un coup de pied au cul, si vous me permettez l'expression. Il fallait mettre en œuvre un plan d'action au plus vite, s'ils ne voulaient pas mourir dans un cataclysme monumental et d'atroces souffrances. Le village se rassembla au complet et dans la plus grande agitation à l'extrémité de l'agora, au pied de la cabane de l'Antique Vieille Baderne.

Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant