Les tribulations d'Euphrosine - Une aventure dont vous êtes un peu le héros !

Révélations

Les six camarades allaient de surprises en rebondissements depuis le début de leur aventure, décidément. La petite voix leur expliqua enfin que cette histoire de prophétie, de fin du monde, « blaaablablablaaa », eh bien en gros... c'était du pipeau ! De la quena ! De la flûte de Pan ! L'Antique Vieille Baderne avait sûrement monté en neige toute cette fable abracadabrante de brebis disparue et de fin du monde pour pouvoir asseoir son hégémonie sur le village !

C'était donc un coup monté par ce vieux filou, qui s'emmerdait ferme dans ce petit village où il ne se passait jamais rien. Il avait manigancé toute cette histoire certainement pour tromper son ennui, assouvir son complexe de supériorité et son besoin de manipuler les gens... Il avait inventé de toutes pièces cette histoire de fin du monde, avait de surcroît laissé sciemment la porte de la bergerie grand ouvert, et manipulé les villageois depuis des lustres !

— QUOIII ??? hurlèrent-ils tous en chœur.

— Je l'savais ! s'exclama Urs en brandissant un poing victorieux. Je m'en doutais depuis le début ! Hein ?! HEIIIIN ?! Pas vrai que j'l'avais dit ?! Avant même qu'on parte du village ! Ha-ha ! J'suis trop fort ! C'est bien un complot ! Cette histoire sentait l'entourloupette à plein nez depuis le départ ! braya-t-il, tout excité.

Urs avait en effet blairniflé une conspiration de grande ampleur depuis le tout début de cette aventure, ses camarades pouvaient en témoigner : il avait même tenté de convaincre les villageois avant que le groupe prenne la route. Ils le regardèrent d'un air désabusé. Oui, c'était bien un complot... Sully, las, lui tapota l'épaule pour tâcher de calmer ses ardeurs.

La petite voix, impassible, poursuivit son explication. Cette agnelle, éprise de liberté, s'était barrée de l'ayllu sur un coup de tête pour parcourir le monde. Ce qu'elle ignorait, jusque-là, c'est que son départ impromptu risquait de mener le monde à sa perte. Non pas parce qu'une soit-disant inquiétante légende menaçait de se réaliser lors d'une éruption dantesque du Licancabur, qui ferait cramer tout ce qui se trouve aux alentours, mais plutôt car une équipe de bras-cassés avait été recrutée par l'Antique Vieille Baderne et ses subalternes pour partir à sa recherche. Tout le village était persuadé que la prophétie, à cause de sa disparition, allait bel et bien avoir lieu, et causerait la fin du monde dans un immense cataclysme.

— Héééé ! Ma c'est nous, ça, les « bras cassés » ! s'indigna Tito.

Il se tourna vers ses camarades qui étaient tous restés bouche bée face à ces révélations, sauf Urs bien sûr, qui répétait dans son coin des « j'le savais ! » et des « HA ! ». La voix continua son développement sans transition.

— Et étant donné l'aperçu que j'ai eu jusque-là, ça pourrait être pire... Vous êtes, en fin de compte, un peu plus dégourdis que ce qu'on aurait pu croire au premier jour de l'aventure. L'Antique Vieille Baderne pensait que vous alliez détruire tout sur votre passage, causer une catastrophe ou deux, vous ridiculiser et faire demi-tour avant le premier soir ! Je peux vous dire, il en tire une tronche ! Haha ! Là, il essaye d'organiser la procession et la cérémonie du Chaccu, en vue de la 5e pleine lune, mais il vous observe régulièrement et il n'en mène pas large !

— Ha ! lança Regina, ça ne m'étonne même pas de lui, qué Huevón ! Tssss !! siffla-t-elle. Hé ben, tant mieux si on est le caillou dans sa chaussure ! Mais il y a un truc qui me chiffonne : pourtant, j'ai toujours entendu cette histoire de prophétie, depuis que je suis petite...

— C'est sûrement parce que ce fieffé foutu vieux fou manipule tout ton village depuis des lustres ! T'as vu comme il est vieux ? Il en est le chef depuis combien d'années, déjà ? Hein ? questionna judicieusement Urs, toujours à l'affût de la piste d'une conspiration. Il doit au moins avoir le même âge qu'Obdulia, reprit-il, et elle me paraît vach'ment vieille ! Y'avait un loup depuis l'début, moi j'te l'dit... ! répliqua l'helvète.

— Oui, je dois bien avouer que c'est frappé au coin du bon sens, Urs, admit Regina. Du plus loin que je me souviennes, je l'ai toujours connu vieux, et mes parents aussi... Je ne m'étais jamais posé de questions à son sujet, et le reste du village non plus, on dirait. Su puta Madre en bicicleta ! cracha-t-elle.

Pour une fois, l'hypothèse du complotiste paraissait tout à fait plausible à l'ensemble du groupe, compte tenu des récentes révélations. On touchait du doigt la vérité !

— Donc, vous affirmez, en gros, qu'on a fait tout ce chemin pour rien ? demanda Sully, dont une veine palpitante venait de faire l'apparition sur son front. Holly shit ! blasphéma-t-il.

— Mais alors, qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? demanda Blythe.

— Moi, j'propose qu'on se prenne une cuite, histoire de digérer tout c'bordel, suggéra Tito, pragmatique.

Même si une beuverie ne réglerait sûrement pas la situation, ça aurait le mérite de détendre tout le monde.

— Non ! Je sais c'qu'on va faire ! On va rentrer et casser la gueule à ce viejo pendejo ! rugit Regina, dont la tension semblait avoir atteint des sommets. Elle avait l'air prête à exploser de colère.

— T'es trop mignonne quand tu t'énerves, Reg' ! pouffa Tito.

Il avait tout de suite fait le lien entre cette insulte gratinée et la barbe diaphane et hirsute de l'Antique Vieille Baderne, ce qui lui semblait un poil capillotracté. Mais ne coupons pas les cheveux en quatre !

Regina le fusilla aussitôt du regard, mais s'abstint de lui répondre. Décidément, depuis le début de cette histoire, le rital n'arrêtait pas de lui chercher des noises. Il faudrait régler ce conflit avec Tito une bonne fois pour toutes, un de ces jours. Elle prit une grande respiration pour se calmer, et redirigea son attention vers un sujet plus primordial.

— On n'a quand même pas fait tout ce chemin pour rien, non ? intervint Lucy, dont la remarque pour une fois était très constructive. Il faut qu'on retrouve cette foutue brebis, et après on rentre au village pour casser la gueule à ce vieux cornichon ! proposa-t-elle.

— Bon, maintenant que vous savez, je pense qu'il est temps qu'on fasse revenir vos âmes dans vos corps, chez cette bonne vieille Obdulia. Vous lui passerez le bonjour de ma part, hein ? Allez, bonne chance ! conclut la petite voix.

Et les six compagnons se virent gambader à reculons dans la prairie en compagnie des petits animaux trop choupinous, comme quand on rembobine un film en mode rapide, mais depuis au-dessus. Ça donnait un petit côté « expérience de mort imminente » à la scène. Leurs alter-egos revinrent au sommet de la colline herbeuse, là où ils avaient atterri quelques minutes auparavant.

Puis leurs esprits et leurs corps fusionnèrent en une fraction de seconde, avant d'être aspirés à nouveau dans cette tornade de couleurs et de sons psychédéliques par laquelle ils avaient été parachutés dans ce monde parallèle. Après quelques instants passés dans une nébuleuse brumeuse, un nouveau décor émergea peu à peu.

Pfiou ! L'instant d'après, ils réapparurent comme par magie chez Obdulia, qui sirotait paisiblement son thé en attendant qu'ils émergent de leur mini-coma.

— Alors mes petits, la balade a été bonne ? demanda-t-elle à ses convives, un sourire espiègle aux lèvres.

Les compagnons se regardèrent, éberlués. Tout s'éclairait enfin !

***

Après une discussion houleuse sur les tenants et les aboutissants de cette histoire de dingue, le groupe décida de récupérer un véhicule pour rejoindre le Machu Picchu le plus vite possible, aucun d'entre eux n'ayant la capacité de se téléporter, ce qui est bien dommage.

Puisqu'ils se trouvaient tout près d'une authentique et véritable petite ville peuplée de vrais gens, et dotée de vrais commerces, autant en profiter. Ils trouveraient bien un moyen, honnête ou non. Obdulia leur fournit gentiment un pique-nique et le reste des gâteaux magiques, puis ils lui firent leurs adieux avant de se rendre dans la vraie Huara, sous le ciel étoilé.

La quatrième pleine lune de l'année leur souriait d'un air toujours aussi mystérieux. Il était temps de se bouger ! Vamos !