L'équipe des dons d'organe souhaitait nous parler. Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette réunion alors j'ai fui. C'est trop pour moi. Je pensais pouvoir entendre parler d'organes, mais très vite, le sujet de la cornée, de la peau, et même des os est tombé. Alors j'ai fui. Je fuis encore. Hors de question d'imaginer un corps démembré. L'espace d'un instant, un corps est vivant, et la seconde d'après, le monde se dispute ses parties comme un jeu de cartes à distribuer.
J'aurais aimé que Léandre donne lui-même son avis. Tout ça est bien dommage. Nous n'en avons jamais discuté lui et moi. Ce qui est ridicule quand je songe au nombre de sujets improbables lancés sur le coin de l'oreiller depuis tout ce temps.
Les bras croisés, comme pour tenter de me réchauffer, j'essuie une larme qui coule.
Rien n'indique qu'il se réveillera. Et même s'il n'est pas mort, j'ai bien saisi les demi-mots qui écorchent son dossier médical, qui passent à peine la barrière des lèvres gênées des soignants. Léandre n'est pas mort, à peine vivant non plus. Tout peut encore basculer, d'un côté comme de l'autre. Alors nous devons nous parer à toute éventualité.
Je le refuse. Pour moi, une seule solution demeure. Léandre mérite mieux que ça. Il mérite ce que le monde a de meilleur à lui offrir, tout simplement parce qu'il m'a offert le meilleur. Il a tellement à apporter aux autres, j'en suis persuadée.
Si seulement il était en mon pouvoir de le sauver, alors je le ferais. Je lui donnerais sans hésitation aucune, tout ce que je peux lui donner. S'il ne suffisait que d'une part de moi pour l'extirper du coma, il y a déjà longtemps qu'elle serait sienne. Or je ne peux rien.
Le son de sa voix, la chaleur de ses yeux glacés s'évaporent déjà. Je me hais de le laisser ainsi s'échapper et je n'ai plus qu'à prier pour qu'il cesse lui aussi de s'évader. Ainsi, tant que le temps court, je me perds tantôt dans le présent, figée par la beauté endormie de mon anti-prince charmant, tantôt dans le passé, bousculée par nos rires d'antan.
Mon cœur imparfait pompe à vide, coincé entre deux mondes. Je suis incapable de me prononcer sur notre futur, figée dans ce huis-clos pas si simple.
Il m'est impossible de songer à bouger d'ici alors je décide de faire de cette pièce ma chambre pour les prochains jours, voire semaines. Si Léandre doit supporter ces lieux, je l'accompagnerai. Je scelle cette promesse d'un baiser sur l'anneau d'argent qui pend toujours à mon cou, et j'envoie au vent ma minuscule prière, enroulée d'un écrin d'espoir.
Réveille-toi, petit prince sans s. Ouvre les yeux, reviens dans ce monde et vis, vis autant que tu le peux. Autant que tu le dois. Autant que tu le voudras. Aussi bien que tu le pourras...
Je profite de ce chapitre qui parle de dons d'organes pour vous rappeler d'en discuter avec vos proches. Même si ce n'est pas un sujet facile. 💜
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L'anti-chambre
KurzgeschichtenL'espace d'une seconde, Léandre s'est endormi. Depuis, il n'a pas rouvert les yeux. Après un grave accident, Marissa soutient quotidiennement son petit ami - l'amour de sa vie, elle en est persuadée - priant pour qu'il sorte du coma. Les visites se...