14 octobre

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Le bras tendu, je tiens la main de Léandre. La surprise me secoue toujours de ressentir sa peau chaude. Je m'attends chaque fois à le trouver froid. Or son corps inerte et sa respiration lente maintiennent son corps au chaud. C'est une sensation étrange. Mon anti-prince presque charmant est bel et bien dormant, et je suis impuissante à le réveiller. Je rêve qu'un simple baiser l'extirpe de sa torpeur.

Comme à son habitude, Marianne arrive quelques minutes après moi. Et comme à son habitude, elle s'installe sur la chaise visiteur. Je me lève, chaque fois, au cas où elle préfèrerait le fauteuil où j'ai pris l'habitude de crécher. Or chaque fois, sans même lui jeter un regard, elle se dirige vers cette chaise nue. Je me rassois donc.

La mère de Léandre porte le masque de la culpabilité. J'ignore pourquoi. Elle n'est responsable en rien de l'accident.

 — Marianne... je chuchote.

À peine assise, son sac sur ses genoux, elle éclate aussitôt en sanglots.

—  Pourquoi vous n'avez pas appelé ? Je vous aurai reconduit, moi. Je vous aurai conduit !

Mes yeux se brouillent aussitôt. Les larmes traversent le voile de ma peine.

—  Il était tard... je réponds. Et on ne savait pas. Aucun de nous n'a senti qu'on ne pouvait pas conduire. Vous connaissez Léandre... Il n'aurait pas mis sa vie en danger, encore moins la mienne.

—  Si jeune... Qu'est-ce qu'on va faire maintenant, hein ? Comment vas-tu te réveiller, mon grand ?

J'essuie mes yeux rougis. Cette interrogation est précisément celle qui me retient ici. S'il est presque certain que Léandre nous entend, nous n'avons aucune certitude quant au fait qu'il nous comprenne. Je sers le petit anneau d'argent qui pend à mon cou et y déverse tout mon amour. Je l'appelle par-delà nos souvenirs, nos années, et nos projets futurs. Je l'appelle pour lui offrir une lumière à laquelle s'accrocher, remonter des abysses infernaux qui maintiennent son âme sous l'eau. Je l'appelle à en perdre la raison, à en perdre ma vue et ma voix, prête à donner tout ce que j'ai, tout ce qu'il me reste, pourvu qu'il s'accroche au souffle qui l'anime.

Je presse ses doigts et me penche dessus, y déposant un baiser. Sa peau brûlante rencontre mes lèvres tremblantes. J'ai tant besoin qu'il revienne. Je suis prête à rendre tout ce qu'il m'a donné pourvu qu'il ait assez de bagage pour reprendre sa destinée. Je commence par ce baiser qu'il a abandonné sur mes mains, le tout premier jour, étouffant ainsi ma colère. Je le lui rends, cherchant à absoudre mes péchés, implorant son pardon et insufflant la force que peut-être il lui manque pour sortir de ce coma.

—  Tu me manques, Léandre. Tu me manques tellement. Chaque minute, chaque...

Ses doigts me pressent. Quand je me redresse, il a ouvert les yeux. Le plafond semble être son unique centre d'attention, mais ses doigts bougent. Pour la première fois, Léandre se mobilise.

—  Léandre...

Mon murmure empli d'espoir s'élève jusqu'aux cieux.

—  Oh mon Dieu !

Marianne se redresse. Son sac quitte ses genoux et s'échoue au sol dans un bruit mou. Elle aussi a vu. Léandre cherche à attraper quelque chose. Ses doigts accrochent le vide, crochètent les draps immaculés. Je glisse ma paume contre la sienne, espérant qu'il me sente. J'ignore comment ces choses-là fonctionnent. Il peut bouger, mais a-t-il conservé ses sens ? Peut-il percevoir ma présence ? Celle de sa mère ?

Marianne ne perd pas de temps et convoque la première soignante qui passe. J'ignore le nom de cette infirmière. Pour moi, le personnel se succède, je n'y prête aucune attention. Je n'ai ni la force ni l'envie de m'interroger sur les autres, sur ce monde qui continue de tourner alors que celui de Léandre est à l'arrêt.

Après quelques minutes pendant lesquelles je me laisse guider par la cadence de mon cœur qui tambourine, le verdict tombe.

—  Léandre revient doucement. Le score augmente, peu à peu. C'est positif. Plus l'éveil est rapide, plus la récupération permet d'espérer un état proche de celui antérieur au coma.

Marianne pose un tas de questions. Je ne suis pas trop. Les yeux rivés sur Léandre qui a toujours les yeux ouverts, j'essaye de communiquer avec lui. Par les mots, la peau, tout ce que j'ai à ma disposition.

—  Ne le sollicitez pas trop. Léandre retrouve un cycle d'éveil et de sommeil, même s'il n'en a pas l'air. Raison pour laquelle il ouvre parfois les yeux. Quand ses paupières sont fermées, il est possible qu'il dorme. Le rythme nycthéméral étant perturbé, il risque d'alterner phase d'éveil et de sommeil à des heures inappropriées, et c'est normal. Il a besoin de repos, d'accord ? explique la soignante.

Une peine de plus. Il m'est insupportable de ne pas tenter de solliciter Léandre. J'ai l'impression de le regarder se débattre seul. Je ressens ce besoin de lui prouver par tous les moyens que je suis là, que je serai là tant qu'il en aura besoin. Je m'accroche donc aux sages paroles de l'infirmière. Elle s'y connait plus que moi, a traversé la vie de tant de malades que je me console ainsi et m'en remets à elle.

Cette pensée me pèse. Je devais être le principal soutien de Léandre. Je devrais être celle qui le maintient, le soigne et le ramène. Remettre la vie de la personne qui m'est le plus cher entre les mains de parfaits inconnus m'empoisonne. La honte me ronge et la culpabilité m'enlace.

J'ai peur que Léandre pense que je l'abandonne, peur qu'il ne réalise pas que je suis là chaque jour pour lui.

Mais ça ne peut pas être. Il se rendra compte, d'une manière ou d'une autre.

Je prie. Je n'ai jamais tant prié que maintenant. Jusqu'alors je ne croyais en rien. Désormais je n'ai plus le choix. Je dois y croire. Pour Léandre comme pour moi.

Déjà la moitié du mois

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Déjà la moitié du mois. 😱

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