8 octobre

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Installée dans un fauteuil dans lequel je crains bientôt de laisser la forme de mes fesses vu le temps que j'y passe, je balance une jambe, les yeux rivés sur Léandre. Près de lui trône l'adaptable. Marianne y a oublié son gobelet de café presque vide. J'y vois comme une tentative de plus de ramener Léandre à nous. S'il existe un arôme qu'il déteste plus que tout, c'est bien celui du café.

« Même l'essence sent meilleur. Même un vieux torchon ! lança-t-il.

—  Tu ne crois pas que tu exagères là ? lui dis-je.

—  Regarde-moi bien, Riss'. Même l'huile de vidange a plus de chance d'avoir du goût que votre boue desséchée ! »

Dans mon souvenir, j'éclate de rire tandis que Léandre trempe ses doigts dans le filtre mouillé, les imbibant de marc de café, avant de les secouer dans ma direction. Il a toujours été d'une personnalité exubérante, extravertie. Léandre aime occuper toute la place, tirer un maximum de profit de ce que la vie a à offrir. Il plaisante de tout, caricature le monde entier et lui compris. Il se moque volontiers des adultes, de la société, de lui-même autant qu'il en joue le jeu.

Je le revois se moquer de l'amour, des rêves sommes toutes banals de tous ces couples qui se ressemblent, je le revois imiter les déclarations d'amour enflammées, les attitudes précieuses des jeunes couples. Et dans sa moquerie, il traçait volontiers son chemin jusqu'à-moi.

Je ne l'ai pas compris tout de suite. Je n'ai pas vu, dans nos débuts que ce petit jeu amènerait pourtant à la même conclusion que le grand jeu des autres. Ce souvenir avive mon sourire.

—  Hey amour ? je chuchote. Tu te souviens des premiers mots que tu m'as dit ? Oui, bien sûr que tu te souviens...

Le coude enfoncé dans le revêtement PVC de l'accoudoir, tournée vers Léandre, je ferme pourtant les yeux et en appelle à notre vie d'avant.

« Agacée, j'ignorai le bruit à l'autre bout de la grande table du self. Je n'avais qu'une envie : retourner mon plateau sur la tête de l'imbécile qui s'époumonait à travers toute la salle, gigotant sur sa chaise comme si sa bêtise cherchait en vain un moyen de s'échapper de son corps. J'étais nouvelle, et seule pour ce premier jour de première. Je ne voulais donc pas créer d'esclandre. Je supportais donc en silence les trois idiots à deux chaises de moi. J'en appelai à toute ma patience pour les ignorer quand une frite atterrit au milieu de ma compote. Un silence relatif suivit.

Les trois regards braqués sur moi attendirent quelques secondes, puis les rires explosèrent, sans aucune retenue. J'enfonçai alors mes doigts dans le pot pour récupérer la frite froide et la relançai sur l'imbécile à ma droite, sans me soucier des projections de compote. Il ne riait plus. Son ami non plus. Seul le troisième se mordit la lèvre, ses yeux bleus accrochés à moi, puis glissant jusqu'à mes doigts pâteux. La honte de m'être emportée me dévora bientôt. Les doigts recroquevillés, j'attrapai mon plateau et me levai sans soutenir aucun regard.

Mieux valait être seule que mal accompagnée, et loin de moi l'idée de terminer chez le CPE dès les premières heures ici. Le plateau englouti par les rails qui desservaient la cuisine, je passai la porte, résolue à atteindre le plus vite possible les toilettes des filles quand sa voix retentit.

—  Eh ! Anti-princesse.

Je ne voulais pas me retourner. Pourtant, je le fis, incapable de résister.

Ses yeux bleus s'animèrent de contentement quand je lui fis face.

—  Pardon ?

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant