31 octobre - Epilogue

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Léandre avance, doucement, à son nouveau rythme. Les mains enfoncées dans les poches de son trench-coat, il ne dit pas grand-chose. Son sourire se fait absent aujourd'hui. Je ne peux pas lui en vouloir. Depuis sa sortie, certains jours se montrent plus rétifs que d'autres. Impuissante, je serre son bras contre le mien. Je regrette de ne pas pouvoir exprimer tout ce que j'ai dans le cœur.

Léandre finit par s'arrêter. Devant nous, un champ de fleurs s'étale, illumine la colline de souvenirs qui tentent d'égayer le gris qui habille le sol et le marbre qui s'élève. Léandre déglutit, presse ses lèvres qui blanchissent sous la pression. Elles se recolorent aussitôt qu'il les lâche et que j'aime cette vision de la vie qui l'anime.

— Tu me manques... murmure-t-il.

Sa main presse le coin d'une pierre tombale où est gravé le nom de son père. Léandre tapote le marbre froid, demeure là un instant, et je reste à ses côtés. J'ai promis de l'accompagner jusqu'au bout. Je le fais.

Il finit par déambuler parmi les allées fleuries. Octobre rend hommage aux morts. La Toussaint arrive et les familles ont déjà commencé leur visite annuelle. J'envoie quelques sourires aux familles que nous croisons, me presse davantage contre Léandre, l'âme qui m'est la plus précieuse en ce monde. Et je prends le temps de bénir encore une fois le ciel de l'avoir épargné.

Nous nous arrêtons une fois de plus. Face à la colline, un mur de granit se dresse. Des bouquets ornent les cases. Et comme je m'y attendais, il craque. Léandre tremble si fort que je crois qu'une nouvelle crise d'épilepsie le menace. Ce n'est pas le cas. Il maîtrise toujours ses mouvements, essuie ses yeux rougis, maintient le cri qui ne veut pas sortir de sa bouche, cachée derrière sa paume.

— Mon amour... je murmure.

— Riss... Qu'est-ce que je vais faire ? J'ai failli... tu sais... j'ai failli me foutre en l'air. J'ai pensé à ne pas prendre mes cachets. À les garder pour... tous les prendre d'un coup. Mais... mais...

Mes yeux sombres se brouillent une fois de plus.

— Je ne l'ai pas fait parce que... tu ne me l'aurais jamais pardonné, pas vrai ? Ma mère non plus...

— Non... j'avoue, un pauvre sourire aux lèvres. Tu mérites mieux que ça...

— Je ne mérite pas de vivre...

— Léandre...

Il s'adosse contre la vieille barrière de bois, les yeux cachés derrière ses mains malhabiles.

— Mais je suppose que c'est bien pire de vivre maintenant que d'être mort là-bas....

Je ne sais quoi lui répondre. La main sur son épaule, je remonte le long de sa joue et frôle ses cheveux d'ange.

— Respire, Léandre. Je suis contente que tu t'en sois sorti, tu sais ? Même s'il te reste des séquelles...

— Je te demande pardon... Riss. Je...

Mon soupir s'étiole. Le soleil est clément en ce jour. Je ne pourrai rien contre la peine de Léandre. Je le sais. Je gère assez mal la mienne. Cependant, j'ai moi aussi appris à voir du bon en toutes choses. Léandre a assez de force pour marcher, pleurer, crier. C'est signe qu'il va bien. Qu'il va mieux.

— Tu n'as rien à te faire pardonner... je dis.

Cela n'a aucun effet. Je le sais. Je prends toutefois plaisir à parler comme s'il pouvait m'entendre.

— Je t'aimerai toujours... chuchote-t-il.

Je pose une main sur mon cœur, l'autre sur le sien. Il y a bien longtemps que je ne sens plus le mien, mais poser ma main sur celui de Léandre m'arrache un dernier sourire. Le sien, je le sens.

— Je sais... Moi aussi. Tu me manques. Chaque heure, chaque minute, chaque seconde. Même si je n'ai plus de cœur... tu manques à mon petit monde...

Léandre essuie les larmes qui coulent sans discontinuer. Il soulève son collier, celui gravé de la lettre M, et l'abandonne au creux du vase qui orne ma tombe.

— On m'a dit... reprend-il doucement... Les médecins m'ont dit que tu n'as pas souffert. Que... tu es partie sur le coup... J'espère... j'espère que c'est vrai...

J'acquiesce doucement. Ça non plus il ne peut pas le voir. J'aimerais le rassurer alors je continue de lui parler, comme chaque jour, comme si le voile qui nous séparait risquait de se lever.

À défaut, je sais que Léandre, lui, se relèvera. Il ne m'en faut pas plus.

— Je t'aime, et je crois que tu sais que tu es un véritable prince. En tout cas, tu l'as été pour moi. Alors merci... Et maintenant que tu as quitté ton anti-chambre... Je crois qu'il est temps que je quitte la mienne...

J'observe les alentours, et tout ce noir qui m'effraie. Seul Léandre brille, définit les contours du monde là où il se trouve. Il n'y a que lui qui me retienne, et je ne crois pas qu'il serait juste pour lui que je reste ici. Il mérite d'avancer. Il mérite d'aimer. Il mérite de vivre. Et maintenant que je le sais en sécurité, j'accepte de me reposer ; je m'en vais sans regrets. Nos futurs projets dépassés resteront en moi présents à tout jamais. Je ne verrai pas d'autre hiver.

Mais qu'importe. L'automne reste ma saison préférée, et je m'envole au milieu d'une symphonie de couleurs. Le vent porte mon souvenir. Maintenant que je sais que Léandre n'est pas près de rejoindre le paradis, mon propre enfer prend fin. Et la porte de mon antichambre se referme. Enfin.

Ndla : Ouais

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Ndla : Ouais... Je sais... 🥺
Et si cette fin te surprend alors... Je t'invite à relire cette petite histoire, maintenant que tu en connais le dénouement. Elle devrait avoir un goût différent. Et les mots devraient trouver un autre sens. ☺️

Joyeux Halloween, les gens.
Et une tendre pensée à tous ceux et celles qui nous ont quitté. J'aime à penser qu'iels sont là parfois... 💜🕯️

Hey pss... Tu veux connaître un secret ?

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant