13 octobre

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Léandre retrouve sa beauté simple et naturelle. Les soignants ont éteint le respirateur, retiré le masque pour un essai, et pour la première fois, je revois mon amour. Je n'ose pas m'avancer, tremblante et perdue, éplorée à l'idée de ne pas voir sa poitrine se soulever.

Si les poumons de Léandre supportent de fonctionner sans assistance, ce sera un bon point pour lui. Pour le moment, les soignants se succèdent tous les quarts d'heure ou demi-heures peut-être - je perds la notion du temps - et vérifient son taux de saturation.

Les yeux rivés sur son torse presque grêle, je l'encourage sans un mot. Léandre a ouvert les yeux au moment où le masque a quitté son visage. Le stress m'étreint encore tandis que je cherche à deviner si c'était un signal de douleur ou de surprise pour lui. En tout cas le signe qu'on lui retirait quelque chose qui le soutenait. C'est ainsi que je le perçois.

Depuis, je n'ai pas lâché sa main. Tant pis pour le respect des soins. Je tiens à ce qu'il sache que je suis là, que je l'accompagnerai jusqu'à la fin, quelle qu'elle soit. Sa respiration n'est pas franche, mais elle est là. Sa fréquence se montre aussi lente que douloureuse, mais bel et bien présente.

L'infirmière qui passe vérifier le taux d'oxygène sourit à chaque fois, et au bout de deux heures, elle finit par déclarer :

—  C'est bien Léandre. Vous vous battez et je suis certaine que vous allez gagner.

Elle tapote sa main sans trop insister, consciente que tout le monde n'aime pas le contact physique, surtout venant d'inconnus, consciente aussi toutefois qu'un simple geste, même des plus ténus, peut redonner la force. Et pour cela, je lui en suis reconnaissante.

Léandre n'est pas une personne tactile. Je considère comme un honneur le fait qu'il m'accueille dans ses bras, cherche ma présence contre la sienne. Il n'a pas été élevé dans les grandes embrassades. Quoique choyé par ses parents, il n'a pas été habitué à partager son espace vital et exprimer clairement ses émotions. Il les montre à sa façon, sans les nommer aucunement. C'est ce que j'aime le plus chez lui. Ses actions parlent plus que ses mots. Et il a beau se targuer de n'être pas charmant, avec moi, Léandre, tel un prince, a respecté sans le vouloir, tous les codes de la royauté. Du moins, ceux des contes de fée.

Il a fait de moi sa petite amie avant même de m'embrasser. Si par bien des égards, certains peuvent juger la chose ringarde, il me plait de songer qu'il me respectait et m'aimait assez pour m'attendre, assez pour ne pas avoir peur de me montrer qu'il souhaitait construire quelque chose. Ce souvenir figure parmi mes plus beaux, bien qu'il ait mal démarré.

« Attends ! Mais ne pars pas comme ça, anti-princesse !

—  Ne m'appelle pas comme ça !

J'allongeai le pas, consciente que les grandes jambes de Léandre me rattraperaient en un rien de temps.

—  Mais attends !

—  J'ai un bus à prendre !

—  Il ne passe que dans vingt minutes !

—  Oui, la faute à qui ?

J'étais injuste, je le savais. J'avais volontairement raté le bus, déterminée à prendre le suivant, pour passer quelques minutes en compagnie de Léandre. Ce jour, je fêtai mon anniversaire et j'espérais terminer mes heures de lycée le temps de quelques minutes volées à une douce compagnie. Jusqu'à ce que je les entende, ses deux amis.

Ils s'esclaffaient, l'un imitant Léandre, et l'autre moi, à coup de « plait-il ? Certes ! » et autre « Princesse ! » prononcé d'un ton persiflant. J'avais attendu que Léandre nous défende, mais il avait gardé le silence, occupé à piocher des affaires de son casier qu'il fourrait dans son sac.

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant