4 octobre

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Je déteste cette chambre. Je devrais l'aimer parce que c'est ici que des gens prennent soin de mon fiancé, ici que d'autres se battent pour sa vie, quand lui-même ne peut s'aider. Mais je la déteste.

Les jours s'écoulent depuis que j'ai quitté mon propre lit d'hôpital et que j'arpente celui de Léandre à l'affut du moindre changement. Ainsi, je connais cette pièce par cœur, presque autant que celui qu'elle emprisonne. Le linoléum qui se décolle dans un coin, la rayure gravée dans le bois de l'armoire, la roue grinçante de l'adaptable.

J'aimerais que les chambres d'hôpital soient davantage colorées. Pas seulement celles des enfants. Celles de tous les patients. Il n'y a rien de pire que de fermer les yeux dans un espace grisâtre, et il n'est probablement guère mieux de les rouvrir. Je n'imagine même pas le désarroi accroché au regard de ceux qui reprennent conscience. Voilà pourquoi je hante presque les lieux à la limite des heures de visite. S'il ne tenait qu'à moi, je resterai bien évidemment des journées entières, mais par respect pour Léandre, pour les soignants aussi, je me plie au règlement. Il n'est pas permis aux gens d'assister aux soins, pas même aux proches, et puisqu'il ne me sert à rien de camper dans les couloirs de l'hôpital en attendant, je compte le temps qui passe et s'efface.

J'essaye de ne pas imaginer que les heure de Léandre sont comptées. Il ne peut pas partir. Il doit se réveiller. La vie a encore tant à lui offrir, il a encore tant à expérimenter...

Non, décidément, je déteste cette chambre. Elle tente de me voler mon homme, mon amour et amant, ma raison toute entière. Mon cœur ne bat que pour lui, mais chaque fois que je passe la porte de cette pièce, il déraille. J'ai peur de ne trouver qu'une chambre vide, peur de le perdre entre ces draps blancs. Je suis terrorisée de ne plus pouvoir le sentir, de ne plus entendre les chuintements et les BIP qui emplissent cet espace autrement silencieux.

J'aimerais tant qu'il se réveille. Je pourrais alors lui murmurer comme je l'aime, implorer son pardon.

Ma peine forme un voile opaque qui me semble infranchissable. J'ignore s'il pourra me pardonner. J'ai besoin de le savoir, sans quoi jamais je ne trouverai la paix. Comment continuer avec ce poids sur le cœur, cet espace vide en moi ?

Aujourd'hui, je serre sa main, honteuse et coupable. Mes émotions fluctuent autant que les lignes à l'écran. Parfois je me perds en pensant à lui et parfois je me perds en pensant à moi.

Je me dégoûte de songer au réconfort qu'il pourrait m'apporter quand je suis moi-même incapable de l'aider.

Les premiers jours qui ont suivi l'accident, j'ai désespérément cherché à l'aider. Bien sûr, je n'ai pas trouvé. Ni moi ni personne n'y pouvons rien. Les médecins ont fait ce qu'ils ont pu. Le reste repose entre les mains du destin. Léandre déambule dans les limbes d'un coma tenace. Il pourrait se réveiller demain comme dans dix ans. Il pourrait ne jamais se réveiller.

Mon cœur en miettes s'accroche à sa peau chaude. Parfois, je caresse son front, remet en place l'une de ses mèches cendrées, persuadée que quelque chose nous relie malgré ce mur sombre qui se dresse entre nous.

—  Sais-tu à quel point je t'aime, amour à mon cœur ? je chuchote bien inutilement. Tu me manques. Chaque jour, chaque heure, chaque seconde, à chaque battement de cœur, dans chacun de nos petits mondes.

Je presse ses doigts, soulève sa main inerte pour y déposer un baiser froid. Je répète ces mots chaque fois, priant pour qu'ils le ramènent. Ces mots de son invention sont gravés en moi, à tout jamais. Et plus jamais je n'aimerais quelqu'un comme lui. Plus jamais je n'aimerais comme je l'ai aimé. Je le sais car mon cœur me l'a dit.

L'accident n'a pas endommagé nos bagues fermement accrochées aux chaînes de nos cous. Pas un seul jour ne passe sans que je ne me pose, le front contre le sien, l'anneau entre mes mains. Je réunis les bagues, argent contre argent, et peut-être que dans mon esprit fantasmagorique j'imagine que ce métal inoxydable protègera Léandre, éloignera le mauvais qui tente de l'emporter.

—  C'est l'heure des soins ! chantonne l'infirmière.

Je me redresse lentement, abandonne une caresse sur la joue de mon homme. Je déteste la façon guillerette que cette infirmière-là a d'entrer dans la chambre, mais je ne lui en veux pas. Elle essaye surement à sa façon d'apporter un peu de lumière dans les ténèbres qui entourent Léandre. Une lumière qui me manque cruellement, engloutie que je suis dans l'obscurité de mes émotions.

Je ferai mieux demain. C'est ce que je me dis tous les jours en quittant la chambre. Bien sûr, demain n'a d'égale qu'hier. Je déteste cette chambre. Chaque fois, je crois que je ne peux plus passer le seuil et chaque fois je le fais. Il le faut bien. Malgré tout, même si j'essaye d'emplir ces lieux d'amour, ils débordent d'une ambiance saumâtre qui noie mon être. J'essaye d'associer cette pièce à la joie, au renouveau, à l'espoir. Mais je ne perçois que l'attente, le silence et les pleurs quand quelque fois, la mère de Léandre s'abandonne.

Ce n'est pas une chambre. C'est une anti - chambre. L'inverse du confort. Elle ne donne pas envie d'y dormir, ni d'y guérir. Elle ne donne envie que de partir. Et je rêve du jour où Léandre en sortira. J'y crois.

Quand j'y pense, heureusement que je publie ça en octobre

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Quand j'y pense, heureusement que je publie ça en octobre. Imaginez cette histoire en calendrier de l'avent. ET JOYEUX NOËL 😃 (non)

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