24 octobre

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Léandre récupère. Aucune nouvelle crise d'épilepsie ne s'est déclenchée. Je me rassure comme je le peux, même si les médecins s'inquiètent. Rien ne dit qu'il n'en déclenchera pas une autre. Visiblement, c'est chose fréquente chez les traumatisés crâniens.

—  Il ne manquait plus que ça ! geint Marianne.

—  C'est sûr, c'est effrayant, j'ajoute. Mais de nos jours, ça se soigne mieux. Et les médecins l'ont mis sous traitement. Il n'y a pas de raison de s'en faire.

Marianne soupire. Elle reste imperméable à mes encouragements comme à tout ce que je peux dire. Je m'en veux d'ailleurs de discuter de Léandre comme s'il n'était pas là. Il a beau tout à fait être sorti du coma, les opiacés le maintiennent constamment dans un brouillard abstrait.

Il bouge, de temps en temps, baille, et commence à avaler des aliments plus solides pourvus que quelqu'un les lui donne. Je compte sur ce fait pour qu'il reprenne des forces. La kinésithérapie douce l'aide beaucoup aussi. Léandre ne grimace presque plus quand ses articulations entrent en mouvement. Il se bat, et il est en train de gagner, je le sais.

Une fois les visites terminées, je ne résiste pas à l'envie de l'épier, l'espace de quelques minutes. Pour la première fois, je le revois debout. J'imagine à quel point cette victoire compte pour lui. Rester alité des jours entiers ruine facilement le moral. Avoir la capacité de se relever, c'est aussi pour lui se prouver que son corps le soutient encore, que ses jambes fonctionnent toujours, que ses muscles reprennent du service.

En chemise d'hôpital, Léandre pourrait faire pâle figure, mais son espoir le sauve. La tête penchée, les yeux baissés, il regarde ses pieds, sent le sol pour la première fois sous sa voûte plantaire. Je le vois agiter les orteils et un sourire s'étire. Il positive, parce qu'il trouve du courage en toute épreuve. Le soignant ne le fait pas marcher. Léandre se rassoit aussitôt. Requinqué, il travaille ses cuisses et ses mollets. Le kinésithérapeute appuie sur son pied et lui demande de pousser pendant qu'il exerce une pression contraire. Il effectue la même chose depuis les tibias, puis en pression inverse, sous les mollets. Léandre s'exécute avec une concentration imperturbable.

Je l'entends poser de courtes questions, ravi d'étancher sa soif de connaissances médicales. Le kiné échange avec lui, sans trop en faire toutefois. Léandre porte souvent sa main à sa tête avant de se souvenir qu'il a un bandage et qu'il ne doit rien toucher.

—  Vous avez des douleurs ? À la tête ?

Déçu qu'on lise en lui comme dans un livre ouvert, Léandre cille. Ses paupières alourdies de fatigue tombent avant de se relever lentement, au même rythme que l'unique hochement de sa tête.

—  C'est normal. On a demandé beaucoup à votre corps ces derniers temps. Alors on ne va pas trop abuser aujourd'hui. Je vais demander à l'infirmière si vous pouvez avoir quelque chose pour les douleurs.

Le kinésithérapeute esquisse un geste pour aider Léandre à se remettre dans le lit. Têtu et fier, ce dernier déplie les doigts de la main comme pour le stopper à temps. Puis il prend appuie sur ses bras, traîne ses fesses sur à peine deux centimètres le long du matelas. Il respire, recommence. Ses orteils frôlent le sol puis décollent tout à fait avant de s'écraser au sol. Léandre déglutit, prend le temps de respirer. Je vois bien que le mouvement le fait souffrir.

—  Je vais vous aider si vous voulez, reprend le kiné.

—  Non.

Le Léandre que je connais aurait accompagné sa phrase d'un merci, d'un sourire. Le Léandre actuel bataille contre la douleur et le désespoir. Il manque d'énergie pour s'expliquer plus longuement, adoucit cependant sa réponse d'une poignée de douceur au coin de sa joue creusée. Il recommence. Les veines saillent sur ses bras tendus. Léandre y prend appui, force sur ses muscles pour palier la faiblesse de ceux de ses jambes. Et enfin ses talons frôlent le matelas. Il pousse un soupir, affale son dos contre le coussin, soulagé que cet effort intense soit terminé. Pour le reste, ses bras prennent le relais. Il déplace ses mollets au centre sous la supervision du soignant qui le félicite.

—  C'est bien. D'ici quelques jours maximum, vous retrouverez toutes vos capacités.

Le kinésithérapeute s'éloigne. J'effectue un pas sur le côté, persuadée que Léandre le prendrait mal s'il me voyait. Je me suis toujours promis de lui laisser l'intimité nécessaire à sa guérison. Il n'aimerait pas savoir que je suis toujours là, à espionner ces moments qui ne m'appartiennent pas. Alors je le laisse. Je m'éloigne à regret.

Ses sanglots me paralysent au beau milieu du couloir, appellent mes propres pleurs. Je ferme les yeux, inondée par le désespoir qui cloue Léandre dans cette anti-chambre. Jusqu'à présent, il n'avait que peu craqué. Je devine qu'il se retenait. Par respect, par pudeur peut-être, par envie de se battre aussi. Mais l'entendre pleurer quand il se trouve seul m'anéantit. Je pourrais le rejoindre, ne me trouve qu'à quelques pas de là. Or je crois qu'il a besoin de ce moment. Je crois intimement qu'il a besoin d'évacuer, de pleurer tout ce qu'il peut pleurer pour espérer se remettre de cet accident. Alors je reste là, invisible pour lui, ombre humaine qui récolte sa peine. Je ne peux rien faire de plus pour lui que de continuer à être là, même quand il ne le sait pas. Je reste jusqu'à ce que l'infirmière vienne, un comprimé dans la main. La porte de l'anti-chambre se referme. Alors seulement je suis libérée. Quelqu'un d'autre prend le relais, et je me décide enfin à m'en aller. Pour aujourd'hui.

Cette histoire c'est aussi un petit hommage au rôle de l'aidant

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Cette histoire c'est aussi un petit hommage au rôle de l'aidant. On parle souvent de la difficulté des malades mais finalement peu de ceux qui les entourent. ❤️

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