9 octobre

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La pluie épouse mon humeur. Ma bague roule entre mes doigts, promesse d'un bonheur paralysé. Je me demande combien de jours d'automne Léandre va ignorer. J'essaye d'enrayer la pensée suivante qui me demande : combien d'hivers suivront si cet automne-là ne cesse jamais ?

La poitrine gonflée, je m'accroche aux quelques feuillages qui débordent jusque dans mon champ de vision, depuis la fenêtre. L'anti-chambre serait sûrement plus belle si les amis de Léandre y étaient autorisés. Je n'ai jamais eu vraiment d'accroches avec leur groupe entier, sauf un, - me suis d'ailleurs toujours demandé pourquoi ils trainaient ensemble, vu les disparités de leur personnalité - mais leur tristesse et leur fidélité me touche. Quand ils ont appris pour l'accident, ils ont autant pleuré pour moi que Léandre, et je leur en suis reconnaissante. Ce simple partage d'émotions m'aide à tenir dans l'attente.

Comme ils ne peuvent venir, je parle d'eux à mon amoureux, du peu qui me revient aux oreilles. Depuis plusieurs jours, je vis telle une exilée, fuyant la vie sociale. Ma vie sociale git dans ce lit, et le reste m'importe moins. Tant que Léandre n'ouvrira pas les yeux, je serai incapable de songer à mon avenir. Notre vie - ma vie - s'est stoppée, piégée dans une poignée de secondes dans l'espace du passé, et le temps continue d'avancer. Sans moi. Sans Léandre.

Je ne connais pas pire injustice que celle-ci. Les gens continuent de dormir, certains de rire. La Terre continue de tourner, tandis que je me trouve là, entre les deux, à attendre un changement qui peut-être ne se montrera jamais.

—  Dis-moi ce dont tu as besoin, je murmure, les mains entremêlées aux siennes. Dis-moi ce que tu veux, ce que tu attends. Dis-moi quoi faire, je t'en prie. Parce que je t'assure que sans un mot de toi, sans un regard, sans même un sourire, je suis perdue. Je suis perdue, Léandre. Perdue dans les méandres.

Mes larmes coulent autant que mon sourire en fend la masse. Léandre aurait adoré cette plaisanterie sonore. De celles que j'appelle escléandre.

« Escléandre ? s'exclama-t-il.

—  Parfaitement ! Né du terrible mélange entre esclandre et Léandre ! je répondis, fière de ma trouvaille.

Il leva l'index, comme il le faisait chaque fois qu'il s'apprêtait à déclarer quelque chose d'important, du moins selon lui, et décréta.

—  J'adhère, j'adore. J'adopte ! »

Nous avions ri. Nous riions tant et chaque jour durant, inconscients de forger nos plus beaux souvenirs. Inconscients de la fragile nature humaine.

Je me morigène aussitôt. C'est un copieux mensonge, du moins en ce qui me concerne. Léandre a toujours vécu comme si la vie pouvait s'arrêter à tout instant. Mon amour pour lui freine peut-être mon objectivité, mais il est l'âme la plus vive, la plus débordante qu'il m'ait été donné de rencontrer. Il n'hésitait jamais avant de parler, s'élançait pour agir, ne mesurant souvent les conséquences qu'après. Et personne ne le lui reprochait jamais. Grâce à sa personnalité loquace et son humour branlant, il charmait le monde.

Je me déteste de songer à lui au passé. Je lutte. J'y mets tout mon cœur, mon amour et ma foi. Pourtant, le temps qui passe me ravage. Il traîne mon espoir dans son sillage, sans se soucier de le souiller.

Sans Léandre, je ne suis plus qu'une coquille vide. De ça aussi nous nous moquions. L'amour n'est qu'une émotion. Seulement voilà, cette émotion est devenue une part entière de ma personnalité.

Quand Léandre est entré dans ma vie, il n'est pas venu seul. Il s'est invité avec la joie, l'aventure, les rires et le gouteux profit du temps. Un temps que j'ai pensé chérir de tout mon cœur. Aujourd'hui, l'esprit noyé de pluie, je me reproche de ne pas en avoir assez profité. C'est sans doute la culpabilité de celui ou celle qui reste. Mais savoir que d'autres partagent ma peine ne la réduit pas pour autant.

— Hey anti-prince charmeur et charmant... Tu me manques chaque jour. Tu le sais ? Chaque heure, chaque seconde. A chacun de mes battements de cœur et dans chacun de nos deux petits mondes.

Tel un écho du passé, j'emporte la main de Léandre au creux des miennes et laisse fleurir un baiser sur ses doigts fanés.

L'une de mes larmes s'écrase sur les draps blancs, invisible, insipide et inodore.

—  Je sais que tu peux vivre sans moi, parce que tu étais déjà si heureux avant de me rencontrer. Moi je ne peux pas vivre. Alors reviens, s'il te plait. J'attendrai. Je t'attendrai. Mais reviens ici, parce que je t'aime.

J'ai tout juste le temps de me redresser. Une infirmière s'engouffre dans l'anti-chambre, à peine deux secondes après avoir toqué.

Les visites sont terminées. J'inspire un bon coup et tente d'emmener mes mauvaises ondes avec moi.

—  Bonne nuit, amour à mon cœur.

Je lui ai volé ces mots car secrètement, j'espère qu'ils lui permettront de retrouver le chemin.

Doux dimanche ❤️

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Doux dimanche ❤️

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant