21 octobre

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La partie d'échec se poursuit. Tristan a bougé son cavalier, Léandre, un pion. Le roi repose toujours dans sa main. Aujourd'hui, je n'insiste pas. Tristan a ramené son ordinateur et un film d'horreur défile à l'écran. Ironiquement, Léandre a horreur de ça. Ou plutôt, nous adorons faire des soirées films d'horreur et Léandre adore les commenter pour détruire toute ambiance. Tristan et moi le disputons souvent de s'accrocher autant au réalisme. Cela fait toutefois indéniablement partie du charme de ces soirées. Léandre regarde maintenant le film, sans bouger. Son air éteint m'oblige parfois à me demander s'il est toujours conscient ou s'il dort les yeux ouverts. J'hésite à m'éclipser, ou à demeurer ainsi, dans le fauteuil visiteur, l'air vague moi aussi.

« Mais Léandre ! Tu es chiant à la fin !

—  Tu sais ce qui est vraiment chiant ? Faire croire qu'un type se promène tranquillement en tenant ses intestins. Qu'un type peut encore marcher après s'être pris une balle. Ça c'est chiant.

—  C'est un film d'horreur !

Je soufflai si fort qu'une mèche de mes cheveux s'envola. Et pendant ce temps, Léandre souriait, le sourcil victorieux. Il savait que ses réflexions m'enquiquinaient et il savait également que je ne pouvais m'empêcher de réagir. Je ne lui en voulais pas. Il me faisait rire sous couvert de taquineries grotesques. Cependant, il y avait bien longtemps que je n'avais plus frissonné devant l'un de ces films.

—  Je ne comprends pas la fascination des gens pour ce genre de bêtise où aucun personnage n'a une once d'intelligence ou d'instinct de survie. Tu veux de l'horreur, regarde les documentaires criminels.

—  Je ne veux pas de la vraie horreur !

Boudeuse, je m'affalai contre la tête de lit, bras croisés. L'ordi tangua sur nos genoux.

—  Il faut savoir. Soit on aime l'horreur, soit on n'aime pas... me murmura Léandre.

—  Mais personne n'aime la vraie horreur ! On aime juste le suspense.

—  Regarde les crimes où l'assassin court toujours alors...

Je collai une petite tape à Léandre. Il ne suivait rien du film, de fait, moi non plus.

—  Tu sais combien de personnes disparaissent chaque année sans jamais être retrouvées ?

—  Je regarde un film.

Les yeux rivés sur l'écran, je donnai le meilleur de moi pour tenter d'ignorer l'insupportable chiant à mes côtés.

—  Dix mille, Riss.

—  Tu m'embêtes.

Je sentis son corps se rapprocher, et calé contre mon épaule, il me chuchota de sa voix la plus grave :

—  Dix mille personnes disparaissent tous les ans, sans laisser une seule petite trace, Riss... Où sont ces gens ? Partis entamer une nouvelle vie ? Témoins protégés d'un protocole judiciaire ? Enfermés quelque part dans une cave ou bien enterrés sous une dalle de ciment ?

—  Léandre !

—  C'est si facile de se débarrasser d'un corps. Combien de ravins, de falaises sans accès où balancer quelqu'un ? Combien d'heures de route tu peux rouler sans jamais te faire arrêter ? Tu ramasses un auto-stoppeur ou une prostituée sans attaches et personne ne peut remonter jusqu'à toi. Tu les abandonnes à 700km de là et qui ira les chercher là-bas quand on sait que les recherches se font dans un périmètre aussi restreint que quelques kilomètres ?

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant