12 octobre

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L'anti-chambre se pare d'une aura particulière aujourd'hui. Elle célèbre la vie d'un garçon d'automne.

—  Joyeux anniversaire, mon grand.

Marianne ne décroche pas de son fils. Elle effleure parfois sa main, dans l'espoir d'apercevoir les eaux calmes de ses yeux limpides. Par respect, je me tiens à distance. Chacun son tour. La conversation en revanche va bon train.

À tour de rôle, nous évoquons les souvenirs qui nous sont chers. Sur la durée, mes quatre petites années n'équivalent pas celles que Léandre a passé avec sa famille. Mais sur la force, je sais que ces instants sont égaux en tout point.

—  Quand tu étais petit, tu voulais absolument conduire, continue Marianne. Tout le temps. Je me souviens de ton père qui te gardait sur les genoux et te laissait toucher le volant pendant qu'il gérait les pédales. Je hurlais. J'avais peur pour vous évidemment.

Un sourire en coin traverse mon cœur endurci par l'épreuve. Sans être un passionné de voitures, Léandre tient toujours à conduire, à chacune de nos sorties. Moi, je n'y tiens pas spécialement alors bien vite, nous avons épousé l'un des pires clichés de couple existant : l'homme qui conduit. Ma voiture est donc devenue plus ou moins la sienne. Nous en rions à chaque sortie. Pour ce cas précis, je suis bel et bien une princesse.

Le menton dans la main, je songe à tout ce que l'automne m'a donné. Les longues nuits de lecture, enfouie dans ma couette, les grandes balades à sillonner les forêts enflammées de couleurs, les baisers parfois glacés du vent taquin. Et Léandre.

Il a poussé l'ennui hors de ma vie, un jour de fin d'été, comme s'il ouvrait les portes de l'automne et m'y invitait à tout jamais. J'ai accepté, déjà tombée pour ce royaume embrasé, calqué dans la lumière de ses cheveux, la lueur de ses yeux bleus.

—  À mon premier semestre de fac, mes résultats étaient mauvais. Pour me consoler, Léandre m'a emmenée en voiture jusqu'au terril à Loos. Il nous a fait grimper. J'étais... congelée. Le sol commençait même à geler. Et une fois arrivés en haut, il nous a fait dîner à la galette des rois. C'était... une manière pour lui de me faire prendre du recul, de la hauteur en quelques sortes... Tout paraissait si minuscule de là...

Je retiens un rire, les yeux baissés sur mes mains sèches.

—  Ah que de souvenirs ! renchérit Marianne.

J'acquiesce. La moindre évocation de Léandre m'amène le sourire. Il n'est pas une seule anecdote malheureuse avec lui. En quelques petites années, il a été mon soutien infaillible, ma confiance inébranlable. Léandre a transformé chacun de mes malheurs en plaisir inespéré.

—  Oh que oui. Une fois il a même...

—  Oh mon grand ! Coucou ! Il ouvre les yeux ! Léandre, c'est maman !

Cette fois je bondis, écrasant le passé dans un élan de présent. Léandre ouvre les yeux. Je lui offre mon plus beau sourire, tente de le rassurer. Il ne parle pas, j'ignore donc s'il a la moindre idée de ce qu'il fait ici. Impuissante, je souris tout de même. Au cas où.

La vérité nue se délecte du goût amer de mes désirs. J'ai ardemment prié pour que Léandre ouvre les yeux. Maintenant, je ne sais plus. Le doute s'est insinué. Son immobilité, son silence et surtout le voile opaque au fond de ses iris me terrifient. Léandre regarde. Mais Léandre ne voit pas. Reste-t-il même une seule part de l'homme que j'ai aimé ici-bas ?

Soudainement prise de honte face aux tendresses de Marianne pour son fils, je m'y mets à mon tour. Mes doigts se perdent dans ses cheveux, prenant garde de ne pas effleurer le bandage. Ils auraient bien besoin d'un shampoing. Il faut malheureusement attendre que la nature suive son chemin.

Alors que je recale une de mes longues mèches derrière mon oreille, je me place dans son champ de vision. La bague pendue à mon collier frôle presque son cou.

—  Peut-être que tu ne me vois pas, amour à mon cœur, mais tu es toujours là. Ici et là, je précise, posant ma paume sur sa poitrine puis sur la mienne.

Pendant un instant, j'oublie que nous ne sommes plus seuls. Léandre referme les yeux, et par mimétisme, comme il l'a si souvent fait pour m'embêter, je l'imite. Les paupières closes, j'écoute son coeur porter son corps et son âme. Nos rythmes cardiaques s'enlacent, dansent à l'unisson, et je n'entends tout à coup plus que le chant de la vie.

—  Un tendre anniversaire, amour à mon cœur. Que Dieu ou n'importe qui, fasse qu'il y en ait bien d'autres. Je t'aime et tu me manques, chaque heure et chaque seconde.

Je songe que chacun de mes battements de cœur est dédié à réunir nos deux mondes. J'espère que quelque part, cela lui donne un peu de force. Demain est un grand jour. Et si aujourd'hui, Léandre devrait recevoir des cadeaux, demain c'est peut-être lui qui nous en offrira un.

Douce journée

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Douce journée. L'automne se poursuit et je suis ravie de le partager avec les quelques petites âmes qui égrènent cette histoire 😘

L'anti-chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant