Acte I

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   — Je n'ai jamais porté autant de vêtements, pourquoi entasser autant de tissu sur soi, demanda Kazutora en agitant ses mains devant son visage. Je meurs de chaud !
— Comment vous apprêtez-vous généralement, demanda Haruchiyo avec surprise.
— Avec un simple kimono en soie ! Je ne mets jamais d'autres kimonos en dessous, et les bas sont même des options lorsque je ne sors pas dehors !
— Vraiment ?! Vous ne mettez pas de bas ?!
— Haruchiyo, je ne dois jamais être trop vêtu. Si on me regarde c'est pour voir mon corps, pas des vêtements. Et je ne vois pas l'interêt de mettre des bas puisqu'ils seraient sans cesse retirés.
— Oh c'est vrai...
— Kazutora, porter plusieurs vêtements sous son kimono est une convention sociale, rappela Rindo en balayant la salle de bal du regard. Et c'est aussi pour que le tissu n'irrite pas la peau. Ici vous ne pouvez pas vous habiller légèrement, regardez comment sont tous les invités.
— Oui et bien j'ai quand même chaud, répliqua Kazutora en continuant d'agiter ses mains devant son visage.
— Tenez, dit Seishu en lui tendant un éventail couvert de paillettes d'or. N'agitez pas vos mains ainsi, ce n'est pas élégant.
— On croirait voir un paysan, ajouta Hajime.
Kazutora prit l'éventail en soupirant et continua de se faire du vent, sous le regard amusé des jeunes hommes autour de lui.
Rindo, Haruchiyo, Kazutora, Seishu et Hajime étaient enfin partis à la réception des Sano, et le bal était déjà bien entamé. La salle de réception était magnifiquement décorée. De grands rubans d'un bleu nuit, étincelants, étaient suspendus au plafond et formaient un dôme, de grands bouquets de fleurs de toutes sortes ; des hortensias blancs, des marguerites au cœur rayonnant, des iris d'un pur bleu, et de belles violettes aux pétales gracieusement tombant, étaient disposés au quatre coin de la salle. Une longue table couverte d'une nappe blanche exposait de délicieux mets préparés avec soin, et au-dessus d'elle était fièrement exposé un grand tableau sur lequel Shinichiro, Manjiro et Emma étaient représentés.
Partout dans la salle se promenaient des invités, ils discutaient joyeusement entre eux, s'échangeant probablement tous les derniers secrets du royaume, ils dansaient sur la piste en faisant mine de s'apprécier et d'avoir d'heureux mariage, et saluaient les hôtes avant de partir s'incliner avec respect devant les membres royaux présents. Le roi et la reine n'étaient pas là, mais Ran était présent, ainsi que son ami Izana. Ils avaient rapidement trouvé l'homme que fréquentait Izana, Kakucho, et discutait avec lui et Shuji depuis un moment. Le regard de Rindo s'arrêta sur ce dernier un instant.
   Il n'y avait jamais pensé jusque là mais Shuji ressemblait étonnement à Kazutora, enfin depuis qu'ils étaient adultes en tout cas. C'était un homme de très grande taille, il avait des cheveux fins et sombres qui tombaient avec élégance sur son visage, encadrant de fins yeux de miel, étirés par de délicat traits de maquillage noirs. Il portait des lunettes rondes sur son nez aquilin, et un long kimono orné de motifs d'or semblables à de la fumée. Cette ressemblance était amusante, on pourrait presque croire qu'ils étaient de la même famille.
Et plus loin, près du buffet, Manjiro discutait tranquillement avec Keisuke et Chifuyu, tout en lançant des regards noirs à Ken, qui dansaient avec Emma. Tiens, il y avait anguille sous roche, s'étaient-ils encore disputés ?
— Se passe-t-il quelque chose entre Manjiro et Ken, demanda curieusement Rindo en se penchant vers Hajime.
— Il me semble que Ken ait renoncé à leur relation pour ne pas déshonorer Emma, annonça Hajime en portant une coupe de champagne à ses lèvres.
— Vraiment ?
— Je ne vois pas pourquoi est-ce qu'il ferait cela, dit Seishu en se penchant vers eux. Emma aurait aussi un amant d'après les rumeurs.
— Qui donc ?!
— Je ne le sais pas, mais Chifuyu l'aurait vu se promener auprès d'un homme qui n'était pas son mari.
— Peut-être était-ce son frère ?
— Manjiro ? Ah non ! C'était un homme grand !
— Oh alors ce n'est pas Manjiro en effet !
— Shinichiro est plutôt grand, c'était peut-être lui, proposa Haruchiyo. Il chaperonne Emma après tout.
— Je suis sûr qu'elle était avec Shuji, dit Hajime avec amusement. Il a décidé de briser son mariage.
   — Vraiment, s'exclama Rindo avec surprise.
   — Oui, dit Hajime en éclatant de rire. Sa famille le harcèle pour qu'il trouve une femme, et comme toutes les meilleures, selon lui, sont déjà prises, il a décidé qu'il briserait des fiançailles et comme Emma est sa favorite...
   — Il n'a aucune limite, soupira le jeune homme en jetant un coup d'œil à son ami. C'est peut-être pour cela que Emma a repoussé son mariage et qu'elle ne prête pas attention à la tromperie de Ken.
   — Cela expliquerait beaucoup de choses, c'est assez logique. Est-il plus riche que Ken, questionna Seishu.
   — Il me semble oui.
   — Oh alors il a des chances de rompre le mariage, se moqua Hajime.
   — Emma l'apprécie-t-elle au moins, demanda Haruchiyo d'un air perplexe.
   — Ils sont très bons amis, c'est largement suffisant pour un mariage arrangé.
   — Nous n'avons qu'à voir avec qui Emma discute ce soir et si Shuji lui demande une danse, déclara Rindo. Kazutora êtes-vous toujours en vie ?
   Rindo se pencha vers son ami, qui était devenu silencieux depuis un moment. Kazutora était toujours là, il attendait sagement près d'eux, en essayant de se cacher discrètement derrière Seishu pour que personne ne le remarque. Le pauvre avait l'air bien perdu à travers tout ce monde, il s'était même mis à tenir le bras de Seishu pour s'accrocher à lui et éviter les inviter qui le frôlaient en circulant autour de lui, comme un enfant s'accrocherait au bras de sa mère.
— Je voulais participer à la conversation mais je me suis rendu compte que je n'y comprenais rien et que je ne savais pas qui était Shuji, dit simplement Kazutora.
— Oh c'est l'homme avec mon frère, celui qui vous ressemble un-
— Oh mon dieu, s'écria soudain Kazutora en tirant Seishu pour le placer devant lui et se cacher.
— Qu'y a-t-il ?
— Keisuke est à quelques mètres, cachez moi de lui, dit Kazutora en s'accroupissant.
— Mais relevez-vous enfin, vous êtes à une cérémonie, pas à la campagne, s'exclama Hajime avec incrédulité.
— Kazutora relevez-vous, dit Rindo avec un mélange d'amusement et de désespoir dans la voix. Nous allons l'éviter ne vous en fait pas.
— Je ne peux vraiment pas le croiser, lui va me reconnaître immédiatement, murmura Kazutora sans se redresser.
— Mais d'où sort-il, gémit Hajime. Kazutora relevez-vous, tout le monde vous regarde !
   — Keisuke ne vous a même pas vu, rassura Seishu avec douceur. Il ne vous verra pas à travers la foule, et vous avez tant changé qu'il ne ferait pas le rapprochement.
   — Lui il le fera, croyez-moi ! Je vous ai dit que Keisuke avait un détecteur pour me repérer, il peut sentir ma présence à des kilomètres à la ronde, murmura Kazutora à tout vitesse.
   — N'importe quoi, dit Hajime.
   — Keisuke est occupé, la voie est libre, dit Haruchiyo.
   — Est-ce si grave qu'il vous reconnaisse, demanda Seishu en se baissant devant Kazutora.
   — Bien sûr que c'est grave ! Je vends mon corps, Keisuke ne doit pas le savoir ! Je mourrais de honte et ce n'est pas le moment de mourir, je n'ai pas rempli ma mission !
   — Mais comment pourrait-il le savoir ?!
   — Il n'y a rien de honteux enfin, s'exclama Haruchiyo.
   — Je suis sûr qu'il ne vous jugera jamais, assura Seishu.
   — Il pourrait le deviner seulement en me regardant, lança Kazutora pour répondre à Rindo. Vous n'êtes pas dans ma situation, vous ne pouvez pas comprendre.
— Keisuke vous a probablement oublié depuis le temps, dit Haruchiyo.
— Oui et puis même s'il vous reconnaissait, rien ne dit qu'il viendra vous voir, ajouta Hajime.
— Enfin Kazutora, comment pourrait-il deviner quelles sont vos activités, demanda Rindo. C'est insensé, cela ne se devine pas aussi aisément.
— ... Keisuke pourrait lire dans mes pensées, dit Kazutora avec sérieux.
— Mais quel idiot, souffla Hajime.
— C'est un peu excessif, dit Seishu.
   — Rindo, votre fiancée est là-bas, intervint soudain Haruchiyo en levant son menton vers un coin de la salle.
Rindo et ses amis tournèrent la tête et aperçurent en effet Senju et Takeomi, qui discutaient avec Shinichiro et un autre homme. Parfait, le plan allait pouvoir commencer !
— Bien, Kazutora relevez-vous, nous y allons.
   — D'accord mais faites en sorte que Keisuke ne me remarque pas, ordonna Kazutora en se relevant prudemment.
   — Nous ferons tout pour le tenir loin de vous, promit Seishu avec un sourire encourageant.
   — Seishu, vous êtes mon seul espoir, dit Kazutora en le prenant pas les épaules. Sur vous repose ma dignité.
   — Je prendrais soin de votre dignité, ne vous en faites pas, assura Seishu en replaçant bien les mèches de Kazutora derrière ses oreilles.
   Il corrigea rapidement sa coiffure, puis il passa ses pouces sous ses yeux pour essuyer la poudre de son maquillage qui avait légèrement coulé, puis il lissa son kimono pour s'assurer que sa toilette était impeccable.
   — Votre dignité n'est absolument pas en jeu. Allez, vous avez une mission à remplir, dit Hajime en le poussant vers Rindo.
   — Êtes-vous prêt à rencontrer Senju, demanda le jeune homme avec un regard perçant.
— Ma foi, oui. Même si je meurs toujours de chaud.
Rindo sourit et inspecta un instant son ami. Il était vêtu de kimonos royaux, il portait une magnifique toilette pourpre ornée de grandes fleurs de cerisier en or, un obis de crème serrait sa fine taille, ses cheveux avaient été tressés et ramenés en un élégant chignon au sommet de son crâne, ne laissant que ses mèches plus courtes tombaient gracieusement autour de son visage. Du crayon noir soulignait l'intérieur de ses yeux, étiré par un long trait de maquillage rouge et son visage avait été poudré. Quant au dessin encré dans sa peau, un tatouage apparemment, il avait été camouflé sous d'épaisses couches de maquillage, tout comme son grain de beauté. Il était méconnaissable, autrement dit, il était parfait.
— Allons-y, déclara Rindo en poussant son ami dans la direction de sa fiancée. Et n'oubliez pas que vous êtes un-
— Un Shiba, cousin éloignée de Yuzuha qui vit sur les terres de Corée, oui je le sais, dit Kazutora avec assurance. Mais si le plan A ne marche pas, quel est le plan B ?
— ... Il n'y a pas de plan B...
— N'oubliez pas que j'ai toujours mon poignard dans ma-
— Kazutora ! Vous ne tuerez personne !
— Oh c'est bon.
   — Et rappelez-vous, vous êtes un noble donc faite attention à votre langage, et dites « cela » plutôt que « ça ».
   — Quelle convention inutile...
Rindo soupira mais ne m'ajouta rien. Kazutora n'avait pas un langage si différent du sien, ses bases restaient celles d'un noble, mais il utilisait parfois des mots d'un langage plus courant, or un membre de la cour royale ne faisait jamais cela. Ce n'était pas si dérangeant que cela pour Rindo, mais pour les autres nobles, ce serait suspect, alors Kazutora devait choisir ses mots avec soin.
   Les deux jeunes hommes s'échangèrent un dernier regard, puis ils s'approchèrent de Senju et de Takeomi. Les deux remarquèrent immédiatement leur présence et se tournèrent vers eux.
— Rindo, dit Takeomi avec surprise. Eh bien, nous vous voyons si peu que je me demande si vous ne tentez pas de nous fuir !
— J'ai été très occupé ces derniers jours, mais jamais je n'oserais vous fuir enfin.
— Bien sûr. À qui avons-nous l'honneur ?
— Je vous présente l'un des cousins de ma belle sœur, mentit Rindo en souriant. Il se nomme Kazutora.
Rindo se tourna vers son ami et vit qu'il s'était littéralement figé, et ses yeux semblaient malheureusement totalement bloqués sur la poitrine légèrement apparente de Senju. Rindo prit discrètement son éventail et lui donna un coup sec dans les côtes. Kazutora sursauta et releva aussitôt les yeux. Il était désespérant...
— Enchanté, dit Kazutora en s'inclinant respectueusement.
— Le plaisir est pour nous, dit Takeomi en s'inclinant. Je ne savais pas que la famille de Yuzuha était ici ?
— Je suis le seul présent, je suis un grand voyageur et il se trouve que par un heureux hasard, Tokyo se trouvait sur mon chemin et j'en ai profité pour partir voir ma cousine, inventa Kazutora avec une facilité déconcertante.
— Votre visage m'est familié, dit Senju d'un air pensif. Nous sommes-nous déjà croisés ?
— Oh cela m'étonnerait, les femmes que je croise sont dénuées de toute vertu, dit Kazutora en riant.
Rindo serra son éventail et frappa de nouveau son ami, un peu plus fort que la première fois. Kazutora se calma immédiatement, s'arrêtant de rire en un quart de seconde, et s'empressa de se corriger.
— Enfin, par vertu j'entends la raison et la sagesse. Je ne parlais pas de la vertu au sens de la pureté.
— Oh oui bien sûr, je suis certaine que les femmes qui ont traversé votre vie étaient toutes respectables, dit Senju en souriant. Mais alors peut-être ai-je vu votre visage quelque part ? Êtes-vous célèbre ?
— Oh non, je suis un homme discret.
Rindo fronça les sourcils. Certes, Kazutora ne se faisait jamais remarquer et il n'avait jamais croisé Senju, mais... Senju connaissait l'histoire du peuple de Rindo, c'était son devoir. Se pourrait-il qu'elle ait entendu parler du drame des Hanemiya et qu'elle ait vu la photo de Kazutora dans un quelconque journal ? Si c'était le cas, elle n'avait pas l'air d'avoir fait le lien pour l'instant alors mieux valait changer de sujet rapidement.
— Bien... Takeomi, êtes-vous venu accompagné, demanda Rindo sans savoir quoi dire d'autre.
— Non, je n'ai pas de cavalière. Je... Je vais aller chercher de quoi nous rafraîchir, dit Takeomi en s'éclipsant rapidement.
— Tiens ? Nous cache-t-il quelque chose ?
Senju haussa les épaules avec indifférence et continua de fixer Kazutora, comme si elle cherchait son visage dans sa mémoire. Le silence qui suivit le départ de Takeomi persistait, Rindo ne savait pas du tout comment faire pour que sa fiancée et son ami se retrouvent seuls, afin que Kazutora interroge Senju sur un potentiel amant. Rindo ne pouvait pas partir, la logique des choses voudrait qu'il offre une danse à sa fiancée !
— Et comment se passent vos fiançailles, demanda soudain Kazutora.
Rindo tourna vivement la tête vers lui et le dévisagea, tout comme Senju.
— Vous êtes bien fiancés non, demanda Kazutora, étonné de cette réaction.
— Oui... Nos fiançailles se passent assez bien, dit Senju en jetant un regard incertain à Rindo. Aussi bien qu'elles puissent se dérouler lorsque son futur époux nous ignore.
— Je ne vous ignore pas, répliqua Rindo. Et vous ne cherchez pas vraiment ma compagnie.
— En effet, accorda Senju. Nous finirons dans tous les cas notre vie ensemble alors... je profite de ma liberté encore quelques instants. Et bien sûr vous êtes libre de faire de même... Tant que vous ne me déshonorez pas.
Senju lança un regard perçant au jeune homme par-dessus sa coupe de champagne, et Rindo soutint son regard sans se laisser être décontenancé. De toute évidence, Senju n'était pas stupide, elle devait se douter que Rindo avait d'autre fréquentation que la sienne, mais elle ne devait pas en être sûr, ni savoir avec qui. C'était un message d'alerte qu'elle lui lançait.
— Je ne ferais jamais rien qui puisse vous déshonorer, dit alors Rindo.
— Je n'en doute pas.
— J'ai du mal à saisir le sens de vos propos, parlez-vous d'avoir des amants, demanda innocemment Kazutora.
— C'est cela.
— En avez-vous ?
— Enfin non ! Et même si j'en aurais je ne le dirais pas, dit Senju d'un air sournois. Mais une femme ne peut pas avoir d'amants aussi librement qu'un homme vous savez...
— Un futur roi non plus, précisa Rindo.
— Les amants ne sont plus au goût du jour de toute façon, raconta Kazutora.
— Comment savez-vous cela, demanda Senju sans comprendre.
— Les compagnies informelles sont plus désirées de ce que je sais, mais ce ne sont peut-être que des paroles en l'air.
— Je pense que cela dépend du type de société, dit Rindo d'un air pensif. Dans la cour royale, avoir un amant est presque une norme. Mais peut-être que dans les sociétés plus... libertines, il est plus courant d'avoir des relations juste pour la relation elle-même.
— De toute façon, cela ne nous concerne pas, dit Senju en posant son verre sur un plateau de l'un des serveurs qui passait.
   — Cela vous dérangerait si Rindo avait un amant, demanda Kazutora d'un air innocent.
   — Tant qu'il ne m'humilie pas et qu'il remplit ses devoirs, cela m'importe peu, dit Senju en regardant avec interêt Kazutora. Et puis cela me permettrait d'avoir mes propres relations. Vous n'êtes pas d'accord Rindo ?
   — Si, dit aussitôt le jeune homme avec surprise. Ce mariage ne doit pas nous enfermer, surtout si nous ne nous désirons pas mutuellement.
   — Oui, après je ne pense pas que Takeomi accepte cela, il fera de votre vie un enfer si vous osez m'être infidèle.
   Rind ne répondit rien et sentit son visage se décomposer. Senju lui avait dit cela comme de rien était, quelle bonne nouvelle...
   — Alors, allons-nous rester là toute la soirée à discuter ?! L'un de vous compte-t-il m'inviter à danser, ou dois-je aller demander à mon frère de me faire danser ?
Rindo échangea un regard avec Kazutora. Il n'avait pas vraiment envie de danser avec Senju, il aimerait mieux pouvoir rejoindre ses amis et Haruchiyo. Senju n'avait pas l'air d'avoir plus envie que cela de danser avec lui, d'ailleurs elle avait même laissé entendre que Kazutora pouvait l'inviter à danser s'il le voulait. Cela arrangerait beaucoup Rindo qu'il le fasse, et cela leur permettrait de faire avancer leur plan. Le jeune homme lança alors un regard insistant à son ami, et par chance celui-ci comprit aussitôt.
— Si je puis me le permettre, je me ferais une joie de vous offrir une danse, dit alors Kazutora en s'inclinant devant la princesse. Seulement si votre fiancé l'accepte, je ne voudrais surtout pas le priver d'une danse avec... la femme qu'il aime.
Rindo jeta un regard noir à son ami mais fit comme si de rien n'était.
— Si Senju le désire, elle est libre de danser aux côtés de qui elle veut. J'estime que c'est à elle de faire ses propres choix.
— C'est sûrement le meilleur aspect de notre mariage, dit joyeusement Senju en tendant la main à Kazutora. Parfait ! Allons danser !
— Je ne sais pas danser, du moins pas de façon catholique, murmura rapidement Kazutora à Rindo, avant de partir avec sa cavalière.
Il ne savait pas danser ?! Comment cela ? Pourquoi est-ce qu'il avait demandé à Senju de danser avec lui s'il ne savait pas danser ?! Oh non... cet homme était vraiment désespérant, même irrécupérable. Qu'est-ce que Rindo allait faire de lui...
Bon, il allait devoir se débrouiller. Maintenant, Rindo devait aller saluer les invités et accomplir ses devoirs royaux. Le jeune homme regarda un instant autour de lui, puis il finit par se diriger naturellement vers son grand frère, toujours en compagnie d'Izana, Kakucho et Shuji.
— Vous ne dansez pas, demanda-t-il en arrivant près d'eux.
— Yuzuha est trop fatiguée pour danser, dit Ran avec un sourire. Je pense que nous allons rentrer.
— Je peux la ramener si vous voulez rester, proposa Izana.
— Non je préfère rester avec elle, et puis au moins tu pourras t'amuser avec Kakucho !
— C'est vrai que cela m'arrangerait, dit Izana avec un sourire entendu.
— Et vous Shuji, demanda Rindo.
— J'ai offert deux danses à deux femmes dont j'ai déjà oublié le nom, dit Shuji avec indifférence.
— Pourquoi ne pas danser avec Emma ? J'ai entendu dire que vous vouliez briser son mariage, dit le jeune homme avec amusement.
— J'ai demandé à son grand père si je pouvais lui offrir une danse et il a refusé, s'indigna Shuji. La prochaine fois je demanderais à Emma, au moins elle acceptera.
— Je ne suis pas sûr que son mari accepte, répliqua Ran.
— Son fiancé, corrigea Shuji. Il a accepté d'aller dans le lit de son beau-frère, il peut bien accepter que sa fiancée danse avec d'autres hommes. De toute façon Emma préfère ma compagnie, elle me l'a dit.
— Imposez-vous Shuji, plaisanta Kakucho.
— Mais pourquoi ne cherchez-vous pas une autre femme tout simplement, demanda Ran sans comprendre.
— Mais parce qu'elles sont toutes ignobles !
— Ignoble, rien que ça, dit Kakucho en riant. Elles sont toutes très belles !
— Non, pas du tout non. Et la plupart de celles qui sont belles n'ont rien dans la tête.
— Il n'a pas tort, accorda Izana.
— Je n'ai jamais tort.
— Bien alors allez demander à Emma de danser avec vous, défia Ran. La pauvre à l'air de bien s'ennuyer.
— Évidemment qu'elle s'ennuie, son fiancé n'a aucun intérêt et je ne suis pas avec elle pour l'éblouir de ma présence, dit Shuji d'un air supérieur. Je vais aller la voir.
Shuji écarta sans aucune gêne Izana et Ran, qui étaient sur son chemin, et s'en alla de ce pas vers Emma. Celle-ci remarqua immédiatement son arrivée et se tourna vers lui, ravie.
— Ken a de quoi avoir peur pour son mariage, remarqua Izana.
— Il n'a qu'à faire plus attention à sa fiancée, répliqua Ran. Il faut toujours donner de l'attention à sa femme et la regarder, même lorsqu'elle ne fait que traverser une pièce.
— Vous avez raison. Je suis sûr que si Shuji demandait Emma en mariage, elle accepterait immédiatement.
   — Oui c'est certain.
— Rindo !
Le jeune homme sursauta en entendant quelqu'un l'appeler avec excitation et se retourna. Son ami Keisuke venait de surgir derrière lui. Il était accompagné de sa fiancée, qui avait subitement rougi lorsque Rindo avait posé les yeux sur elle, et de Chifuyu, qui lui adressait un respectueux sourire.
— Oh Keisuke, cela fait un moment que nous ne nous sommes plus vus ! Comment vous portez-
— Nous allons bien merci, coupa Keisuke avec empressement, qui est le jeune homme qui vous accompagne ?! Celui qui danse avec votre fiancée ?!
Rindo ouvrit la bouche mais ne répondit pas. Keisuke le dévisageait avec un regard si perçant, si profond que c'était comme s'il pouvait déjà lire les pensées de Rindo, et qu'il savait déjà tout. Rindo aurait dû prévoir la présence de Keisuke et réfléchir davantage à comment se débarrasser de lui...
Du temps où Kazutora faisait encore parti de la cour Royal, il était le meilleur ami de Keisuke, ils passaient leur journée ensemble. Ils se connaissaient par cœur, et avaient beaucoup d'affection l'un pour l'autre. Keisuke avait très mal vécu le départ de Kazutora, et il l'avait énormément défendu, avec toute sa famille, pour tenter de couvrir son scandale et le faire rester dans la cour royale. Cela n'avait pas marché malheureusement, et on l'avait forcé à couper les ponts avec son ami. Son père avait même été obligé de le priver de toute correspondance et de le faire suivre en permanence, pour être sûr qu'il ne cherche pas à contacter Kazutora.
Rindo était persuadé que Keisuke n'avait jamais pu reparler à Kazutora depuis toutes ces années, même s'il avait sans aucun doute dû essayer. Cependant... aujourd'hui Kazutora était de retour. Personne ne l'avait reconnu jusque là, évidemment son passage de petit garçon à jeune homme, et son changement de personnalité le rendait totalement méconnaissable. Mais... est-ce qu'il pourrait passer inaperçu avec Keisuke ?
Rindo réfléchit un instant. Avant de donner des informations sur l'identité falsifiée de son ami, il devait vérifier si Keisuke avait déjà reconnu Kazutora.
— C'est un aristocrate, inventa Rindo, pourquoi ? Sa présence vous importune-t-elle ?
— Depuis quand est-il ici ?
— Oh depuis longtemps.
— Depuis longtemps ?! Je ne l'ai jamais vu ?! Comment s'appelle-t-il ?!
— Auriez-vous eu un coup de cœur pour lui, demanda Rindo d'un ton ironique.
Keisuke rougit et ne répondit pas tout de suite, ce qui permit à Rindo de prendre le dessus sur lui.
— Ce n'est pas que cette discussion m'importune, mais j'aperçois l'un de mes amis que je dois absolument rejoindre, dit Rindo avec politesse. Si cet homme vous intrigue tant vous n'avez qu'à aller lui parler, mais il a d'urgentes affaires à régler, je serais vous, je ne le dérangerais pas. À plus tard.
Rindo s'inclina respectueusement, puis il se dépêcha de s'échapper avant que Keisuke ne reprenne contenance, et partit se réfugier dans un coin de la salle. Il espérait vraiment que Keisuke n'aille pas parler avec Kazutora, mais connaissant ce dernier, il allait sûrement avoir la présence d'esprit de faire attention à ne pas s'approcher de lui. Enfin, il fallait espérer... Kazutora était assez espiègle et insouciant, il serait capable d'aller lui parler sans réfléchir...
Rindo se fondit dans un coin de la salle et observa silencieusement les divers invités qui allaient et venaient. Il avait beau chercher, il ne voyait nulle part Takeomi, ou avait-il bien pu passer ? Il ne pouvait tout de même pas partir de la réception sans sa petite sœur, il devait la chaperonner, et puis il en profitait aussi pour surveiller Rindo. Alors c'était impossible qu'il soit rentré, mais où était-il ? Il ne pouvait pas être parti dans un coin plus discret avec quelqu'un d'autre enfin ! Avait-il seulement des amis ? Était-il capable d'aimer une personne qui ne fait pas partie de sa famille ? Avait-il un cœur ?!
Cela serait amusant qu'il ait une amante, ou un amant, cela arrangerait beaucoup Rindo, au moins il pourrait s'en servir contre lui s'il découvrait sa relation avec Haruchiyo. Cette question commençait à sérieusement intriguer Rindo.
Le jeune homme sortit alors de la salle de réception et arriva dans un long couloir. Takeomi était peut-être parti dans une salle pour passer du temps avec quelqu'un ? Rindo s'avança en silence dans le couloir, l'oreille tendue, et laissa ses yeux parcourir les tableaux qui ornaient les murs du couloir. Ils représentaient tous les Sano, certains où toute la famille était peinte, allant du grand-père jusqu'aux filles de Shinichiro, d'autres avec seulement les héritiers de la famille, et un tableau pour chaque membre.
Rindo s'arrêta devant un tableau qui montrait Shinichiro, sa femme et ses deux filles. Ses enfants étaient encore très jeunes, et elles ressemblaient toutes les deux énormément à leur père, bien plus qu'à leur mère. D'après les rumeurs, Shinichiro était l'un des nombreux aristocrates à avoir une amante. Enfin... c'était ce que racontait les rumeurs officielles, mais d'après la haute sphère de la noblesse, il aurait plutôt un amant.
Ces rumeurs duraient depuis de nombreuses années, plusieurs personnes l'auraient déjà surpris en compagnie de son valet, un certain Wakasa, et d'ailleurs, Rindo savait déjà que ce n'était pas que des rumeurs. Même avec la paternité récente de Shinichiro, leur relation n'avait pas disparu. Rindo les avait déjà vu tous les deux, et il devait bien avouer qu'il les trouvait adorables. Quel dommage que leur union soit impossible, d'autant plus que comme Shinichiro n'avait toujours pas eu de garçon comme héritier, il allait devoir avoir d'autre enfant avec sa femme...
Deux mains se posèrent soudain sur la taille de Rindo, le faisant vivement sursauter, et on le tira en arrière.
— Est-ce moi ou vous êtes en train de vous échapper de la cérémonie, murmura Haruchiyo en l'enlaçant doucement.
— Vous m'avez fait peur, dit Rindo en posant la main sur son cœur qui s'était soudain accéléré.
Haruchiyo déposa un baiser sur sa joue, puis il posa son regard sur le tableau en face d'eux. Rindo posa ses mains sur les avant-bras de son amant, qui étaient croisés sur son ventre, et continua de regarder le tableau. Maintenant qu'il y pensait, bientôt, lui aussi aurait le droit à ce genre de peinture...
— Imaginez que j'ai un enfant avec Senju, commença-t-il lentement. Et que ça soit une fille... Je devrais continuer à... avec elle...
— Cela peut être un garçon, renchérit Haruchiyo. Et puis vous savez, cela n'est pas si horrible à faire, cela sera plus éprouvant pour elle.
— Oui évidemment. Mais je n'ai vraiment pas envie de le faire.
— Ce n'est pas pour tout de suite, rassura Haruchiyo en tournant le jeune homme vers lui.
Rindo se laissa faire et passa ses bras autour du cou de son amant en levant les yeux vers lui.
— Et vous que faites-vous ici, demanda-t-il en souriant.
— Je dois avouer que vous me manquiez, alors je vous ai suivi.
— Voulez-vous rentrer ?
— J'aimerais beaucoup, mais je dois rentrer avec Hajime. Demain je dois encore rencontrer des femmes à marier...
— Encore, s'exclama Rindo en le lâchant.
— Je crains que je ne doive continuer de les voir jusqu'à ce que j'en choisisse une...
— Vraiment ?! Et vous allez en choisir une ?
— Je n'ai pas vraiment le choix. Certaines avaient l'air à peu près instruites, je verrais avec laquelle je m'entends le mieux.
— Oh. Et bien... j'espère que vous trouverez quelqu'un qui vous plaît, dit Rindo avec une moue contrariée.
— Ne faites pas cette tête, dit Haruchiyo en riant. Je ne pourrais jamais penser qu'à vous, et je pourrais être marié à la femme la plus belle et la plus agréable du pays, elle ne pourra jamais vous remplacer.
Rindo haussa les sourcils en gardant son air blasé, Haruchiyo couvrit alors son visage de baisers, avant d'embrasser ses lèvres.
— Vous faites la tête, constata son amant en caressant sa joue du dos de son index.
— Non pas du tout, répliqua Rindo sans répondre à ses baisers.
— À peine. Vous êtes adorables lorsque vous êtes mécontent.
Haruchiyo embrassa de nouveau le visage de Rindo, il couvrit de baisers ses lèvres, ses joues, sa mâchoire, avant d'embrasser avec envie son cou, alors que ses mains glissaient sur ses fesses.
— Haruchiyo, dit le jeune homme en tentant de le repousser. Vous allez me décoiffer, et on pourrait nous voir.
— Je ne fais que vous prouver mon amour, dit son amant en le serrant avec un peu plus de force contre lui.
Rindo sourit et passa ses bras autour de son cou.
— Vous êtes idiot.
— Et vous vous êtes magnifique. Même si vous l'êtes encore plus lorsque vous ne portez rien, murmura Haruchiyo à son oreille d'un ton joueur.
— Haru !
— C'est vrai ! J'adore lorsque vous m'appelez ainsi !
Rindo sourit de nouveau et embrassa son amant avec amour. Leur baiser se prolongea quelques minutes, jusqu'à ce qu'ils laissent entrouvrir leurs lèvres pour laisser se toucher leur langue. Les joues de Rindo se colorèrent délicatement et il enfouit ses mains dans ses cheveux, alors que son amant commençait à embrasser sa gorge en serrant ses fesses dans ses mains.
— Haruchiyo, soupira Rindo, qui commençait à avoir chaud. Nous devrions retourner à la cérémonie...
— Mais je veux profiter de vous avant que nous soyons séparés...
— Moi aussi je veux rester avec vous, mais nous devons vraiment y retourner...
— Et si vous veniez coucher chez Hajime ?
— Enfin, je ne peux pas faire cela !
— Mais pourquoi ? Seishu aussi pourrait venir !
— À vrai dire je pense que Seishu ne comptait pas passer la nuit au château de toute évidence... Mais ma présence est surveillée, je ne peux pas m'absenter ainsi, et puis je ne peux pas non plus laisser Kazutora seul.
— Je suppose que je ne peux pas vous faire changer d'avis ?
— Je crains que non. Mais ne vous en faites pas, je pourrais passer vous voir demain, proposa Rindo en souriant.
— Alors je me contenterais de cela.
Haruchiyo déposa un dernier baiser sur ses lèvres, puis il le lâcha et les deux jeunes hommes firent demi-tour dans le couloir.
— Vous n'auriez pas vu Takeomi d'ailleurs, demanda Rindo en s'approchant de la porte qui conduisait à la salle de cérémonie.
— Non, la dernière fois que je l'ai vu il était avec vous.
— Tant pis. Peut-être que nous devrions éviter d'être trop proches devant les autres ?
— Vous avez raison, je vais aller voir Hajime pour ma part.
— Très bien, alors je vais aller avec Kazutora, décida Rindo.
— Passez une bonne soirée, lança Haruchiyo en donnant une petite tape sur les fesses du jeune homme.
Rindo répondit par un regard amusé, puis il poussa la lourde porte devant lui et retourna dans la salle de réception, se séparant de son amant.

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J'ai imaginé Kazu s'accroupir devant tout le monde comme un enfant, et ça m'a bien fait rire-
Il est un peu perché j'adore 🤭

J'espère que le chapitre vous a plus, zoubi zoubi :)

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