Une bonne entente

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   La porte s'ouvrît avec fracas, produisant un bruit sonore dans la pièce qui fit sursauter tout le monde. Rindo se tourna vivement vers l'entrée pour voir qui venait d'entrer de façon aussi malpolie, avant de voir qu'il s'agissait de Kazutora. Il se tenait sur le seuil de la porte, plutôt fier de son entrée théâtrale, et Keisuke se tenait derrière lui, en retrait pour lui laisser la place. Et bien le voilà celui-là ! Ce n'était pas trop tôt !
   Rindo l'avait fait revenir au palais spécialement pour qu'il puisse l'aider et il disparaissait au moment même où il avait réellement besoin de lui, c'était le comble tout de même ! Il était en train de se battre pour ne pas perdre l'amour de sa vie, et voilà que la solution à ses problèmes disparaissait dans la nature sans plus donner aucun signe de vie. D'un autre côté, Rindo ne l'avait pas plus cherché que cela puisqu'il était occupé à tenter de raisonner son insupportable beau-frère, mais tout de même !
   — Kazutora, fit le jeune homme avec surprise.
   — Je suis un peu en retard, excusez-moi, dit son ami en s'avançant dans la pièce.
   Rindo le dévisagea de haut en bas sans comprendre. Mais où avait-il trouvé ses vêtements ? Où étaient passées ses tresses ? Et pourquoi était-il avec Keisuke alors qu'il voulait l'éviter à tout prix ?
   — Désolé Messieurs mais je suis occupé, fit remarquer Takeomi. Pourriez-vous passer plus tard ?
   — Ma foi je crains que non, à treize heures nous avons une balade à faire, l'heure qui suit est réservée aux rendez-vous d'affaire comme la suivante, à seize heures nous prenons le thé évidemment, et ensuite arrive le soir et alors il n'est plus l'heure des problèmes, dit Kazutora avec sérieux.
   — Où étiez-vous passé, demanda Rindo avec un mélange d'agacement et d'incompréhension.
   — Je suis désolé d'être parti sans prévenir, mais je n'étais pas loin, j'ai retrouvé Keisuke. Et j'en ai profité pour chercher quelques informations. Mais que se passe-t-il ici ?
   — Et bien en votre absence Takeomi a décidé de m'interdire de fréquenter Haruchiyo, sous peine de nuire à sa vie, dit Rindo d'une voix tremblante.
   — Oh donc lui aussi était dans la confidence de votre tromperie, comprit Takeomi. Je suppose que vous êtes ici pour tenter de me faire changer d'avis ? Autant vous dire tout de suite que c'est inutile, je n'accepterais jamais que ma famille et mon titre soit déshonorée juste à cause d'un roi prétentieux et égoïste.
— Takeomi, tu fais tout une histoire inutilement, intervint Senju. C'est de mon mariage qu'il s'agit, c'est à moi de dire si cette situation me dérange ou non, et en l'occurrence elle ne me dérange pas alors pourquoi s'éterniser là-dessus ? Rindo n'a jamais dit qu'il ne se marierait pas avec moi, et dans tous les cas il sait très bien que nous avons besoin l'un de l'autre pour assurer notre dépendance. Je ne l'aime et il ne m'aime pas, s'il peut avoir des amants, je pourrais en avoir aussi et nous pourrons être heureux ainsi, il n'y a aucun soucis-
— Senju ce que tu peux être naïve, s'exclama Takeomi.
— Pourquoi est-ce que tout le monde s'entête à me répéter cela, s'énerva Senju. Je ne suis pas naïve !
— Un peu tout de même, murmura Kazutora dans son coin.
— Pardon, demanda la jeune femme en se tournant vivement vers lui.
— Vous êtes naïve sur certains sujets, répondit Kazutoa sans être déstabilisé. Mais en là vous ne l'êtes pas et je suis d'accord avec vous.
— Il ne me semble pas avoir demandé votre avis, répliqua Takeomi. D'ailleurs, ne croyez pas que je ne sais pas qui vous êtes Kazutora. Je trouvais votre présence étrange, et je n'avais pas souvenirs que Yuzuha ait un cousin tel que vous. Je suis alors aller chercher votre chambre afin de fouiller un peu dedans et en la trouvant j'y ai croisé Senju, qui était déjà en train de vérifier vos affaires, signe qu'elle aussi pensait que vous étiez suspicieux. J'y ai trouvé des choses bien intéressantes comme des toilettes plus que vulgaire et en plus de cela, un poignard d'argent.
Takeomi tira un tiroir de son bureau et en sortit un kimono transparent, puis l'arme qu'avait amené Kazutora ici, et les posa devant lui. Kazutora esquissa un mouvement pour les récupérer, mais Rindo l'empoigna fermement par le bras et l'empêcha d'avancer.
— Autant vous dire que savoir qu'un criminel et une traînée a vécu ici et a même dansé avec ma sœur m'énerve particulièrement.
— Vous avez interêt à changer immédiatement de langage, s'énerva Keisuke en s'avançant.
Kazutora le repoussa doucement en arrière et s'avança lui-même vers Takeomi avec assurance. Il s'assit sans aucune gêne sur le bureau de Takeomi, faisant écarquiller les yeux de Rindo et Senju, et se pencha légèrement vers lui.
   — La traînée en question veut bien vous faire un prix.
   Rindo s'étouffa avec sa salive. Qu'est-ce qu'il venait de dire ?! Était-il devenu fou ? Certes Kazutora n'avait jamais été vraiment seul dans son esprit et il devait probablement lui manquer quelques finitions cérébrales mais tout de même ! Non, non Rindo avait certainement mal compris, il n'était pas vraiment en train de proposer à Takeomi d'être son client. Ce devait être un malentendu, il n'oserait pas faire cela, encore moins devant Senju et tous les autres ?
   — Pardon, demanda Takeomi en perdant son air énervé.
   — Si vous fermez les yeux sur les aventures extra-conjugales de Rindo, et de votre sœur au passage, je veux bien vous appartenir, dit Kazutora avec un sourire.
   Donc si, il était bien en train de lui proposer son corps.
   — Kazutora ne gâchez pas votre vie, s'exclama Rindo.
   — Je ferais ce que vous voudrez, continua son ami en l'ignorant royalement.
   — Kazutora ne faites pas cela !
   — Vous ne pouvez pas vous offrir ainsi juste pour nous, dit Haruchiyo en secouant la tête.
   Kazutora continua de les ignorer et se pencha sensuellement vers Takeomi.
   — Ma compagnie est très agréable et mes caresses sont exquises, dit-il avec un regard envoûtant. Alors, quand dites-vous ?
   Takeomi rougit et le regarda avec surprise.
   Il avait intérêt à refuser sans réfléchir sa proposition, sinon il allait avoir de très gros problèmes. Rindo avait toujours laissé Kazutora faire ses propres choix et il ne l'avait jamais jugé lorsqu'il avait appris ce qu'il faisait de son corps. Il était libre de se vendre si cela lui permettait de vivre, mais jamais, jamais, Rindo ne le laisserait devenir la propriété de quelqu'un seulement pour lui permettre de vivre son idylle avec Haruchiyo. Rindo, qui avait toujours dit qu'il protégerait Kazutora et qu'il lui rendrait sa liberté, ne le laisserait jamais faire cela.
   Et Keisuke non plus visiblement, car il se mit soudain à gesticuler silencieusement pour attirer l'attention de Takeomi. Dès que Takeomi eut posé les yeux sur lui, il se mit à faire des gestes particulièrement dissuasifs, qui signifiaient clairement que si Takeomi osait accepter la proposition de Kazutora, il allait périr dans d'atroces souffrances.
   — Takeomi, c'est moi que vous devez regarder, pas Keisuke qui doit sans doute gesticuler comme un imbécile dans mon dos, dit Kazutora.
   Keisuke se figea immédiatement et Takeomi reporta son attention sur lui.
   — Votre proposition ne m'intéresse nullement.
   — Vous en êtes sûr ?
   — Évidemment que j'en suis sûr !
   — Très bien, dit Kazutora en perdant aussitôt son air séduisant.
   Il se recula avec indifférence et tira soudain de sous son corset un long poignard, qu'il planta d'un coup dans le bureau de Takeomi, faisant sursauter tout ceux présent dans la pièce. Keisuke le regarda avec désespoir et tenta d'intervenir, mais il se ravisa te et enfouit son visage dans ses mains avec fatigue.
   — Bien alors vous allez devoir fermer les yeux sur les relations de Rindo sans rien en échange de ma part. Oh si, mon silence.
   — Pardon ?
   — Kazutora, de quoi parlez-vous, demanda Rindo sans comprendre.
   — J'ai découvert des choses bien interessantes, ce serait dommage de les révéler juste parce que ce petit chou ne veut pas vous laisser être amoureux en paix !
   Le « petit chou » en question fronça les sourcils et jeta un regard perdu à sa sœur.
   — Et qu'avez-vous découvert, demanda-t-il d'un ton moqueur.
   — Tant de choses mon cher, tant de choses...
   — Je n'ai absolument rien à me reprocher.
   — Chaque homme a quelque chose à se reprocher, un secret horrible, un défaut immuable, une véritable faute qui pourri l'être jusqu'au plus profond d'elle même et la-
   — Kazutora, appela Keisuke pour le calmer.
   — Désolé. Je voulais simplement dire que tout le monde a des secrets et vous n'y faites pas exception. L'autre jour, lors de la cérémonie au domaine des Sano, je ne me suis pas contenté de danser avec votre sœur. Je me suis permis de faire un petit tour auprès des invités, particulièrement des femmes avec qui j'ai discuté. Et j'ai commencé par obtenir de nombreuses informations, même si ce n'était pas encore suffisant pour vous faire tomber. Mais j'avais des pistes, alors le lendemain, je suis allé rendre visite à Emma Sano avec Keisuke, nous avons eu la bonne idée d'aller la voir au moment du thé alors toutes ses amies étaient présentes, tout comme Shuji d'ailleurs. D'ailleurs vous avez raison Rindo, c'est vrai qu'il me ressemble un peu, mais ses yeux sont bien plus beau que les miens !
   — Et donc ?
   — Et donc vous n'avez pas idée d'à quel point les femmes aiment parler, répondit Kazutora en éclatant de rire. Et elles savent tant de choses en plus de ça, sans parler de Shuji qui semble connaître tous les secrets du royaume ! C'est fou comme Emma et lui savent de choses, d'autant plus qu'elles ne les concernent ni de près ni de loin ! Enfin peu importe, ils se sont montrés très bavards pour mon plus grand bonheur, et mon dieu qu'est-ce que vous avez de secrets ! Alors comme ça vous aussi avez des amants ?
   Rindo écarquilla les yeux et échangea un regard surpris avec Haruchiyo. Takeomi avait des amants ? Qui donc ?! Rindo ne l'avait jamais aperçu particulièrement proche d'autres hommes...
   — Je ne vois pas de quoi vous parlez, dit calmement Takeomi malgré le fait qu'il ait pali.
   — Oui vous avez bien entendu. Je dois avouer que je vous ai bien surveiller lors de la cérémonie des Sano, et je vous ai même un peu suivie. Je me demandais bien qui étaient ces hommes avec qui vous discutiez, et puis j'ai était surpris de voir que vous vous entendiez particulièrement bien avec Taiju, le frère de Yuzuha. Et qu'elle n'a pas été ma surprise lorsque Emma m'a affirmé que vous avez une liaison !
   — Taiju est votre amant, s'exclama Rindo avec incrédulité.
   — Pourquoi ne me l'avez vous pas dit, demanda Senju.
   — Ce n'est absolument pas vrai, dit Takeomi en secouant la tête. Ce sont des calomnies, je lui ai à peine adressé la parole, ce-
   Kazutora retira la lame de son arme plongée dans le bois de la table et la pointa sur la gorge de Takeomi, le forçant à relever le menton vers lui.
   — Ne me mentez pas, mes sources sont fiables et je vois dans vos yeux que vous avez peur. Taiju est bel et bien votre amant et en plus de ça, c'est un homme. Ce serait tout de même dommage que cette liaison vienne à être révélée au grand jour, non ? Surtout que Taiju a quoi ? Neuf ans de moins que Vous ? Aïe... ça fait mal ça, dit Kazutora en prenant un air embêté. Bon il reste parfaitement majeur et ce depuis un moment, mais enfin, neuf ans de différence, entre deux hommes en plus, ça peut-être très, très mal vu. D'autant plus que Taiju n'est pas n'importe qui, c'est le grand frère de Yuzuha qui est la reine de Corée mais n'y a-t-il pas un problème ? Comment se fait-il que ce ne soit pas Taiju le roi, étant donné qu'il est l'ainé de la famille ?
   Takeomi pâlit davantage. Rindo battit des paupières d'un air déconcerté et tourna la tête vers son amant. Il avait l'air aussi déboussolé que lui, tout comme Senju. Keisuke rayonnait au contraire, et il regardait avec fierté Kazutora. Rindo avait un peu de mal à réaliser tout ce que disait Kazutora, les informations montaient lentement à son cerveau et peinaient à être analysées, mais... Il commençait à comprendre que tout n'était peut-être pas perdu pour lui et Haruchiyo. Le jeune homme tourna la tête vers son amant et le regarda avec espoir. Lui aussi semblait comprendre ce qu'il se passait, et qu'avec le chantage qu'imposait progressivement Kazutora, ils allaient peut-être pouvoir continuer de se voir.
   D'ailleurs, Kazutora soulevait une question pertinente. Comment se faisait-il qu'une femme soit à la tête du royaume de Corée alors qu'il y avait un homme à disposition ? Rindo s'était toujours posé cette question, bien qu'il n'ait jamais osé demandé à Ran ou à Yuzuha.
   — Je ne vous cache pas que ça me fait particulièrement plaisir de voir qu'une femme est à la tête du royaume et qu'apparemment elle dirige plus que son mari, dit Kazutora avec joie. Je suis du genre à penser que les femmes sont infiniment plus douées que les hommes pour ce qui concerne le pouvoir et puis cela change un peu des rois qui se ressemblent tous. Malgré cela, je trouve ça particulièrement étrange de voir qu'une femme dirige un royaume dans l'un des pays les plus en retard quant à la condition de la femme. Rassurez-moi, je ne suis pas le seul à mettre poser la question ?
   — Je... c'est... cela ne vous regarde pas c'est..., bégaya Takeomi.
   — Alors, coupa Kazutora, j'ai directement questionné Yuzuha et avec un peu de manipulation et de flatterie, elle a fini par me révéler toute la supercherie. Donc, si j'ai bien compris, vous avez un amant de moins de neuf ans de vous, qui s'est fait déshériter du trône royal parce qu'il avait fait preuve de violence envers plusieurs sujets. Oh Takeomi, c'est amusant comme vous avez le don pour choisir les pires amants !
   Rindo plaqua sa main sur sa bouche pour retenir un éclat de rire, tout comme Haruchiyo qui fit mine de tousser alors que Keisuke regardait fièrement son ami. Takeomi, en revanche, semblait complètement désemparé, Rindo avait presque de la peine pour lui.
   — Laissez Rindo être avec Haruchiyo et vos secrets ne seront jamais révélés, finit par murmurer Kazutora en approchant son visage tout près de celui de Takeomi.
   Takeomi le regarda longuement, puis il se recula et baissa la tête.
   — Je suppose que tant qu'ils restent discrets, cela ne posera pas de problème, finit-il par soupirer.
   — Parfait ! Je suis heureux que nous ayons pu trouver un terrain d'entente sans avoir à utiliser la violence, s'exclama Kazutora avec joie, avant de ranger son arme dans son corset. Si ça ne vous dérange pas, je vais récupérer mes affaires.
   Kazutora descendit du bureau et s'empara de son kimono et de son poignard, avant de revenir près de Keisuke et de se tourner vers lui.
   — Tu m'avais promis de m'emmener dans les jardins dès que j'aurais terminé ma tâche non, demanda-t-il en souriant.
   Keisuke sourit et lui replaça délicatement son corset, qui avait glissé lorsqu'il y avait rangé ses armes.
   — Je t'y emmène de ce pas alors.

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