Le devoir royal

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   La ville se dessinait au loin, on pouvait l'apercevoir derrière la petite forêt qui entourait les grands jardins du palais. D'ici elle avait l'air encore plus petit, encore plus compacté. Comme si les maisons s'entassaient sur elles-mêmes, les ruelles étroites n'étaient plus que des lignes à peine discernables, la place était cachée derrière les édifices. C'était trop loin pour voir les détails de la ville, même les plus grands. Cependant, d'ici le jeune homme avait une vue imprenable sur sa contrée.
   Au bord du balcon de la plus haute tour du palais, il détaillait des yeux le décor, en prenant plaisir à en découvrir chaque aspect. Il pouvait voir des chemins de terre qui partaient de la ville et serpentaient dans les champs de riz et les forêts, jusqu'à conduire à des bâtisses plus grandes que les autres. Il y en avait plusieurs, le jeune homme en comptait dix. Il s'agissait des résidences privées des nobles du pays, ceux qui vivaient près de la capitale, là où habitait la famille royale. Elles étaient toutes assez similaires, grandes, longues et plates, jumelées à des temples, avec des jardins, des ruisseaux.
   Rindo connaissait chacun des grands clans qui habitaient là, il les avait tous déjà rencontrées. C'était normal, en tant que prince héritier, il se devait de connaître l'élite de son peuple et d'échanger avec eux. La résidence la plus proche était celle du clan Baji. Rindo s'entendait très bien avec l'héritier du clan, un jeune homme du nom de Keisuke, qui était souvent accompagné de Chifuyu, son ami attitré. Ils venaient à chaque cérémonie de la cour royale et avait fait fortune dans le charbon. Un peu plus loin se trouvaient les terres du clan Sano, qui était le plus influent de la ville. Il fallait dire qu'il possédait une importante fortune et n'hésitait pas à exprimer ses opinions politiques.
   Rindo avait rencontré les descendants du clan au cours d'un dîner organisé par ses parents. Shinichiro, Manjiro, et Emma, ils étaient tous les trois très amicaux et Rindo était toujours heureux de les voir. Shinichiro était le premier héritier, il avait huit années de plus que lui, et était déjà marié et père, il ne tarderait sûrement pas à succéder à son grand-père. Le clan Sano était aussi célèbre pour toujours être au centre de nombreuses rumeurs, à tel point que la cour royale avait pris pour habitude de la surnommer « le clan d'adultère ». La tromperie semblait être une tradition chez les Sano. 
   Les autres résidences proches du palais étaient celles des clans Tachibana et Hanagaki. Ces deux clans avaient justement arrangé un mariage entre elles il y avait peu de temps, le fils Hanagaki, Takemichi, s'était alors marié avec la fille des Tachibana, Hinata. Pour l'instant tout avait l'air de bien se passer étrangement, c'était rare dans les mariages arrangés.
   Enfin, la dernière grande résidence, et la plus loin également, était celle du clan Kokonoi. Rindo appréciait beaucoup l'héritier, Hajime, et tous les deux se retrouvaient souvent. Officiellement pour jouer aux cartes ou au criquets, mais officieusement pour s'échanger toutes les nouvelles rumeurs qui parvenaient à leurs oreilles. Hajime était un homme brillant et Rindo le connaissait depuis son plus jeune âge. Il n'y avait pas une chose qu'Hajime ne sache pas faire, ce qui était plutôt impressionnant. Il savait tout des mathématiques, du monde qui l'entourait, il connaissait l'astronomie, la médecine, et c'était même là son domaine de prédilection. Et pourtant, il adorait les arts, les lettres, la philosophie, il jouait du piano et savait même chanter, il savait écrire, et ses amis lui disaient souvent qu'il n'aurait aucun mal à faire la cour aux femmes. Hajime était un génie, et Rindo devait avouer qu'il aimait beaucoup cela. 
   Les cinq autres résidences du village étaient bien moins importantes, si bien que Rindo ne prenait pas la peine de les côtoyer et de retenir le nom et titre de chacun. C'étaient juste des nobles sans importance particulière.
   Mais lorsqu'il deviendrait roi, il serait bien obligé d'aller à leur rencontre...
   Il n'espérait vraiment pas devenir roi un jour. Rindo n'avait tout d'abord pas envie d'être couronné devant un royaume entier, et il n'avait aucune envie de devoir gouverner. Il ne saurait pas le faire, cela impliquait tellement de responsabilité. En plus de cela, le jeune homme détestait avoir l'attention de tout le monde sur lui, encore moins devoir parler devant tout un royaume. Il était trop renfermé, introverti pour faire ça, trop froid et distant. Il le savait d'avance, il ne serait pas un roi chaleureux et aimé de tous. Le peuple le voyait comme une personne étrange et le considérait sûrement déjà comme un mauvais roi.
   Son frère serait tellement mieux à sa place... Le problème, c'était qu'il était déjà roi ailleurs. Ran avait quitté le pays depuis déjà deux ans. À l'origine, c'était bien lui l'héritier du trône, mais au cours d'une conquête du territoire voisin, il s'était arrêté dans un royaume sur son chemin et avait rencontré la famille royale Shiba. Le royaume était gouverné par une jeune reine, ce qui était plutôt inhabituel car c'était le rôle des hommes de gouverner. Alors, lorsque Ran était arrivé, les gouvernants de la reine, Yuzuha Shiba, avaient demandé un mariage arrangé pour avoir un roi. Comme les parents de Ran et de Rindo, le roi et la reine du pays, souhaitaient renforcer les liens avec la contrée voisine, et qu'ils disposaient toujours d'un deuxième enfant, ils avaient accepté et Ran était donc devenu roi ailleurs.
   Rindo s'était lâchement fait abandonner par son grand frère, et maintenant il se sentait horriblement seul sans lui. Le pire était sûrement que Ran était vraiment tombé amoureux de Yuzuha. En soit, c'était une bonne chose, mieux valait aimer la personne avec qui on devait passer sa vie. Mais... maintenant il allait penser que les mariages arrangés pouvaient bien se finir et allait encourager Rindo à l'imiter.
   Quel calvaire... Le jeune homme avait déjà son avenir tout tracé. Ses parents avaient déjà trouvé la femme qu'il allait épouser, et la date de leur mariage était déjà prévue. Rien que d'y penser, ça donnait envie à Rindo de se jeter dans le vide...
   Senju Kawaragi. C'était la femme qu'il était censé épouser. Elle n'était pas méchante, elle était gentille, bien élevée, élégante et plutôt belle femme. Rindo le reconnaissait sans problème. Mais il ne s'imaginait pas du tout avec elle. Ils étaient complètement différents, leurs idéaux étaient trop éloignés, leur façon de vivre opposée, et leur personnalité aussi... Le jeune homme se sentait incapable de se marier avec elle. De devenir son mari, de devoir faire une voyage de lune de miel avec elle, de vivre avec elle, de s'endormir avec elle et de se réveiller avec elle, de gouverner avec elle, de danser lors des bals avec elle, de manger chaque jour avec elle. Et le pire, de devoir faire des enfants avec elle.
   Ce n'était pas du tout qu'elle était répugnante, loin de là, mais s'imaginer la toucher dégoûtait Rindo. En soit qu'elle ait des enfants de lui, il n'y avait pas de problème. Il pouvait l'accepter et c'était pour le bien de la lignée royale. Mais c'était l'acte qui lui posait problème. Il ne pourrait jamais faire ça. Ni avec elle, ni avec aucune autre femme. C'était trop lui en demander.
   Comment allait-il faire pour se sortir de là... À part sauter par-dessus la rambarde du balcon, il n'avait aucune idée.
   — Excusez-moi, fit une voix derrière lui. Nous vous cherchons depuis plus d'une demi-heure.
   Rindo ne bougea pas et continua de passer son regard sur le décor devant lui.
   — Les invités ne tarderont pas à arriver, vous ne pouvez pas être en retard, continua la personne qui venait d'arriver.
   — Je n'ai pas envie d'y aller, je déteste les fêtes.
   — Votre frère sera là, vos amis aussi.
   — Et ma fiancée malheureusement. Cela me décourage totalement.
   — C'est votre devoir...
   — Je sais et cela m'énerve. Seishu viens près de moi.
   Le jeune homme qui venait d'arriver sur le balcon s'approcha de lui et Rindo lui jeta un rapide coup d'œil. Seishu portait son traditionnel kimono bleu, l'uniforme qui marquait son rang et son rôle au sein du palais. Ses cheveux blonds étaient toujours aussi bien coiffés et tombaient élégamment autour de ses yeux azurs, ses mains étaient sagement croisées dans son dos, et il arborait une expression légèrement perplexe.
   — Regarde la vue, dit Rindo
   — Vous me l'avez déjà montré Sir, je la connais.
   — Regarde-la mieux que la dernière fois. Et je n'arrête pas de te dire de m'appeler Rindo.
   — Je n'en ai pas le droit, dit Seishu d'un ton neutre.
   — Je t'en donne le droit, répliqua sèchement le jeune homme. Quand on était petit tu m'appelais par mon prénom.
   — Je n'avais pas encore conscience de votre rang, je m'en excu-
   — Arrête de me vouvoyer, j'ai l'impression d'être un ancêtre.
   — Je m'excuse.
   Rindo sourit. Seishu n'allait décidément pas changer, il n'allait donc jamais l'appeler par son nom ? Pourtant lorsqu'ils étaient enfants, il l'appelait Rindo... Les temps avaient changé.
   Seishu était un enfant de noble choisi pour être l'ami de Rindo depuis sa plus tendre enfance. Ils avaient donc grandi ensemble, joués ensemble, étaient éduqués ensemble. Seishu était ici pour suivre Rindo, l'accompagner dans chaque moment de sa vie, le soutenir, le divertir éventuellement. Il était également destiné à être son conseiller personnel plus tard.
   C'était une chance que Rindo adore Seishu, et que cela soit réciproque, sinon sa vie aurait vraiment été un enfer jusqu'au bout. Mais Seishu était adorable, et il était l'un des seuls avec qui Rindo avait envie d'être chaleureux.
   — Tu penses que le royaume va s'étendre, demanda Rindo d'une voix pensive, en regardant les monts lointains qui se dressaient dans la brume derrière le village.
   — C'est possible, du côté de votre frère. Si vous épousez la princesse Senju, de nouvelles terres seront acquises et de nouvelles conquêtes pourront être lancées, expliqua calmement son ami.
   — Quel cauchemar... Seishu, et si tu prenais ma place, s'exclama soudain Rindo.
   — Mais je ne peux pas, je n'ai pas de sang royale et-
   — Je ne te demande pas d'être roi à ma place ! Je veux que tu prennes ma place avec Senju pour les enfants !
   Seishu ouvrit la bouche sans savoir quoi répondre. Rindo le regarda avec espoir, en priant pour qu'il accepte, même s'il en doutait fortement.
   — Je suis désolé Sir, mais je n'en ai pas le droit... Nous ne pourrons pas cacher que les enfants ne sont pas de vous s'ils ne vous ressemblent pas..., dit-il avec un petit rire.
   — Je m'en doutais... Mais ce n'est pas si grave, personne ne le saura !
   — Je doute que votre fiancée accepte ce marché...
   — Je sais... Seishu, comment en suis-je arrivé là ? Tu ne penses pas que la sexualité est quelque chose de précieux ? Je vais devoir perdre ma virginité avec une femme que je n'aime pas et qui ne m'attire aucunement, et je vais en plus de ça devoir lui faire mes premiers enfants..., soupira Rindo.
   — C'est votre devoir, vous le faites pour le pays, dit son ami pour essayer de le réconforter.
   — Je ne veux pas de ce devoir. Tu aimerais avoir des enfants toi ?
   — Je ne pense pas en avoir le droit...
   — Et si tu l'avais ?
   — Je ne sais pas. Peut-être, ce serait un bonheur supplémentaire. Ce serait amusant de voir des petits Seishu courir partout, dit son ami en souriant.
   — Cela serait même merveilleux. Hmm... tu aimerais être promis à quelqu'un, demanda Rindo en s'accoudant au bord de la barrière du balcon.
   — Non, répondit catégoriquement son ami.
   — Lorsque je serais roi, je ne te chercherais pas d'épouse, promit le jeune homme.
   Seishu sourit et laissa un silence s'installer.
   Rindo soupira et regarda une nouvelle fois les résidences de ses amis. Eux aussi avaient déjà trouvé leur fiancé.e. Emma était fiancée à un riche noble d'une ville plus éloignée, son mariage était en cours de préparation ce qui laissait un peu de répit à Manjiro, qui donnait du fil à retordre à sa famille. Shinichiro avait déjà une femme et deux filles, mais sa femme avait si peu d'importance aux yeux de Rindo qu'il avait oublié son nom. Takemichi avait épousé Hinata, Keisuke aussi avait une fiancée, et c'était également le cas de Hajime.
   Rindo se rassurait en se disant que Hajime aussi ne voulait pas de sa fiancée, on l'avait forcé à demander la main d'une jeune femme. Il avait refusé pendant de longs mois, il avait même menacé sa famille de renoncer à son héritage. Ses parents étaient même allés implorer Rindo de les aider à le faire changer d'avis, alors Rindo avait essayé de lui parler, mais sans succès. C'était finalement Seishu qui avait réussi à le faire se fiancer. Après avoir longuement discuté avec lui, il était parti chercher une femme à marier et l'avait obligé à lui demander sa main. Rindo le soupçonnait d'avoir menacé Hajime, il n'avait aucune idée d'à propos de quoi, mais il avait forcément fait quelque chose pour que Hajime accepte.
Hajime n'était pas le seul à ne pas vouloir se marier, Manjiro aussi voulait rester seul. Il rejetait toutes ses prétendantes, malgré toutes les femmes que lui avait présenté Shinichiro. Au moins Rindo n'était pas tout seul dans cette dure épreuve.
   Si seulement il pouvait être comme Ran et aimer la femme qui lui était destinée, tout serait plus simple. Mais il en était incapable et il le savait.
   — Dis Seishu, commença le jeune homme, comment est-ce qu'on sait qu'on est amoureux ?
   — Lorsqu'on se sent bien avec une personne, mais que c'est différent d'avec les autres. Lorsque la connexion est particulière, et qu'on a toujours envie d'être avec cette personne, de la regarder, et de la prendre dans ses bras, répondit son ami, le regard perdu dans le vague. On aime une personne lorsqu'elle nous rend heureux, lorsqu'elle nous fait nous sentir bien, exister, et nous donne de la valeur.
   — À qui penses-tu en disant cela ?
   — Personne en particulier.
   Rindo regarda le visage de son ami. Ses joues étaient doucement rosées. Ça lui arrivait à chaque fois qu'il commençait à parler d'amour, alors le jeune homme s'était toujours dit que son ami était juste mal à l'aise avec ce sujet.
   Pauvre Seishu, sa vie à lui aussi était toute tracée, et aucun mariage n'avait été prévu pour lui. Il devait finir seul et toujours rester auprès de Rindo. Le jeune homme n'approuvait pas vraiment cela, si ça ne tenait lui, il rendrait sa liberté à son ami.
   — Tu n'aimerais pas tomber follement amoureux de quelqu'un, demanda soudain Rindo.
   — Je... Cela devrait être bien...
   — J'aimerais rencontrer une personne de laquelle je serais éperdument heureux, à laquelle je penserais sans cesse et dont sa seule présence suffirait à me donner le sourire.
   — Vous savez, même si vous rencontrez une personne telle qu'elle, vous ne pourriez pas être avec elle. Vous êtes déjà fiancé à une autre femme, dit tristement Seishu.
   — Et donc ? Ici personne ne se gêne pour fréquenter d'autre personne que leur femme.
   — Mais vous êtes de la famille royale, vous ne pouvez pas vous permettre ce genre d'écart à la règle...
   — Au contraire, justement parce que je suis le prince royal, futur roi du pays, j'ai d'autant plus le droit d'avoir des relations avec d'autres personnes. Toutes les femmes de la cour sont à mes pieds et si je le voulais je pourrais toutes les courtiser sans jamais avoir de problème, déclara Rindo. Les hommes sont libres d'avoir autant de ménages qu'ils le veulent.
   — Ce n'est pas très éthique... Mais si c'est vraiment ce que vous souhaitez, en effet vous êtes libre d'agir comme vous l'entendez.
   — Ce n'est pas ce que je veux, soupira Rindo avec dépit.
   — Qu'est-ce que vous voulez ?
   — Qu'on me laisse tranquille. Oh Sei regarde, les invités sont déjà là, s'exclama Rindo en se penchant au-dessus de la rambarde du balcon pour regarder une rangée de noble pénétrer la cour du palais.
   — Et vous n'êtes même pas prêt, vos parents seront très en colère !
   — Ils vont même me tuer ! Mon dieu... Est-ce que tu reconnais quelqu'un, questionna Rindo en essayant d'identifier les visages lointains des nobles.
   — Je ne vois pas très bien... Ne serait-ce pas la famille Sano tout là bas ?
   — Oh mon dieu mais oui ! Elle est accompagnée du fiancé d'Emma... Il ressemble à cela ?! Je ne l'avais pas du tout imaginé comme cela...
   — Vu la longueur de son kimono et les éclats de pierre précieuses dessus, il doit posséder une très grande fortune, commenta Seishu.
   — Oui... Sei je devais les accueillir ! Je suis affreusement en retard, viens !
   Rindo s'écarta précipitamment de la rambarde et rentra dans le palais, son ami courant derrière lui.
   Son long kimono blanc, qui lui servait de peignoir, ondulait dans le vent de sa course effrénée, sa traîne s'envolait derrière et tournoyait dans les airs dans d'incroyables reflets d'argents irisés. Seishu l'attrapa au vol et ramena ses pans dans ses bras pour ne pas qu'elle traîne au sol et continua de courir derrière le jeune homme, qui lui tenait le bas de son kimono pour ne pas se prendre les pieds dedans.
   — On dirait un marié en retard à l'église, s'exclama-t-il d'une voix essoufflée.
   — Oh je t'en supplie, ne me parle pas de mariage !
   — Désolé Sir !
   — Je m'appelle Rindo !
   Les deux jeunes hommes accoururent dans la chambre du prince et tombèrent immédiatement sur les femmes de chambre chargées de le préparer. Les pauvres étaient dans un tel état de stress qu'elles semblaient au bord du malaise. Si Rindo arrivait en retard à la réception, c'étaient elles qui se feraient réprimander pour l'avoir préparé trop lentement.
   — Je suis vraiment désolé, je ne me suis pas rendu compte qu'il était si tard, s'exclama le jeune homme en pénétrant sa chambre.
   — Sir je vous en supplie dépêchez vous de vous asseoir, gémit l'une de ses servantes.
   — Votre père sera dans une colère noire !
   — Nous sommes terriblement en retard...
   — Seishu vous n'êtes pas prêt non plus ! Vous faites parti de la famille royale !
   Rindo et Seishu n'eurent pas le temps de répondre. Un jeune femme aux yeux gris-vert s'empara d'un bras de Seishu et l'écarta des force du jeune prince. Elle releva ses cheveux bruns pour les attacher et ordonna à Seishu de s'asseoir, ce qu'il fit immédiatement, et se laissa déshabiller sans oser protester. Les femmes de chambre étaient redoutables lorsqu'elles étaient énervées ou en colère... Rindo subit le même traitement et fut placé derrière un paravent, puis on le dévêtit à toute vitesse de son vêtement pour pouvoir commencer à l'habiller.
   La réception devait déjà avoir commencé, mais avec un peu de chance, son père n'avait pas encore fait son discours de remerciement pour les invités, alors peut-être que personne n'avait remarqué son absence. Il suffirait juste au jeune homme de se faufiler discrètement dans la foule et de faire comme s'il avait toujours été là. En priant pour que ce plan marche...
   Il se demandait quels seront les invités ce soir. Évidemment toutes les familles nobles des grands clans étaient invitées, mais il y avait également des personnes moins influentes qui seraient là, ainsi que des membres éloignés des clans. Les maris et femmes des enfants, les futurs beaux-parents, les cousins et cousines à marier... La réception donnée était clairement organisée pour ranger les nobles de la cour, Rindo en était sûr. Il détestait ce genre d'événement, c'était toujours interminable, long, ennuyant, une succession de discours hypocrites et de rencontres intéressées, un enchaînement de valse morose. Et c'était insupportable. Il n'y avait aucun intérêt à faire ça...
   Cependant... il y avait bien une chose qui motivait le jeune homme à se presser pour se rendre à ce bal. Outre le fait de ne pas se faire sermonner par ses parents pour arriver en retard et de ne pas avoir une mauvaise réputation, il y avait un détail de cette soirée qui lui donnait terriblement envie de s'y rendre.
   En effet, son ami Hajime allait venir accompagner de son clan, son clan au grand complet. Rindo avait envie de rencontrer sa fiancée (qui selon son ami était hideuse, Seishu aurait fait exprès de choisir la pire femme pour lui), mais il voulait surtout rencontrer un autre membre de son clan, dont il avait beaucoup entendu parler. Hajime avait un ami proche qu'il considérait comme un membre de son clan, qui vivait plus au sud du Japon, et qui venait s'installer dans la capitale pour quelques temps. Rindo ne l'avait jamais rencontré physiquement, mais son ami lui avait beaucoup parlé de lui.
   Haruchiyo avait deux années de moins que lui seulement, il était un homme littéraire, qui passait ses journées plongé dans ses livres, et qui aimait plus que tout les romans des grandes lumières des siècles passés. Comme Rindo.
   Lui aussi pouvait passer des journées entières dans la bibliothèque du palais, plongé dans l'univers que décrivaient ses livres. C'était bien plus qu'une passion, c'était un échappatoire à l'enfer du quotidien qu'il vivait, c'était une partie de sa vie. Il lisait les romances qu'il rêvait de vivre, et se sentait exister à travers elle. Il lisait l'histoire de son pays et s'éduquait dans la lecture. Il lisait les pensées des grands sages et apprenait à réfléchir. La lecture avait une place très importante dans sa vie, mais jusque-là, Rindo n'avait jamais rencontré personne tel que lui.
   Son frère n'était pas un grand littéraire, il était plutôt intéressé par la science, c'était son exact opposé. Quant aux autres nobles qui étaient ses amis, ils lisaient des livres, car cela faisait parti de leur éducation, mais c'était tout. Alors, lorsque Hajime lui avait dit qu'il avait un ami qui était comme lui, la curiosité du jeune homme avait été piqué à vif.
   Il n'avait pas osé trop en demander sur ce fameux Haruchiyo, ça pourrait paraître suspect. Hajime lui avait donc seulement dit qu'il s'agissait d'un bel homme, qui aimait la lecture, qui vivait dans le sud du pays, et qui n'était pas encore fiancé. Une information que Hajime n'avait pas manqué de rappeler à plusieurs reprises.
   Il n'était pas fiancé... quelle chance il avait. Rindo donnerait tout pour être à sa place.
   Il se demandait bien comment il pouvait être. Il ressemblait peut-être à son ami. Le jeune homme était vraiment intrigué par ce mystérieux jeune homme, il semblait coincé dans son esprit et n'en sortait plus. Rindo s'était déjà surpris à rêvasser de lui et à l'imaginer à ses côtés, un livre dans les mains, plongé dans un récit passionnant. Cet homme hantait ses pensées alors qu'il ne l'avait jamais vu, c'était étrange.
   À force de penser à lui, Rindo avait fini par demander l'adresse de Haruchiyo à son ami, et avait alors pu lancer une correspondance avec lui. Envoyer une lettre à un parfait inconnu pour lui dire qu'il aimerait apprendre à le connaître était vraiment étrange, et Rindo avait beaucoup hésité. Mais il avait fini par sauter le pas, et il avait rapidement reçu une réponse de Haruchiyo. Lorsqu'il avait reçu sa lettre, il avait ressenti une telle excitation qu'il avait failli déchirer le papier en l'ouvrant. La réponse du jeune homme avait été très positive, et apparemment lui aussi il avait beaucoup entendu parler de Rindo par Hajime. Ils s'étaient très vite merveilleusement entendus, et leurs lettres s'étaient succédées les unes aux autres, ce qui avait grandement renforcé l'intérêt que portait le jeune homme à Haruchiyo. Mais ils ne s'étaient jamais rencontrés, malgré le fait qu'ils mourraient d'envie de se voir.
   Mais ce soir, pour la première fois après plusieurs mois de correspondance, Rindo aurait l'occasion de le rencontrer, alors il devait vraiment se dépêcher pour aller à cette cérémonie.
   — Vous êtes bientôt prêt, informa l'une de ses servantes en voyant qu'il s'impatientait.
   Rindo jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir, placé devant lui. Il était magnifique.
   Pour commencer, ses cheveux violets (c'était une étrange couleur, mais c'était celle de la famille royale, toute sa famille avait la même chevelure) étaient remontés en un complexe chignon sur le haut de sa nuque, traversé par deux élégantes aiguilles noires. Deux mèches avaient soigneusement été laissées détachées juste devant ses oreilles, et tourbillonnaient sur elles-mêmes dans d'élégantes boucles, alors que sa frange en triangle tombait gracieusement autour de ses yeux. Son visage était finement maquillé. Légèrement poudré, ses pommettes brillaient, ses yeux étaient soulignés d'un long trait noir qui étirait son regard, faisant ressortir les éclats d'améthystes qui parsemaient ses iris azurs.
   Il portait à présent un long kimono rouge, la couleur emblématique de la famille royale. Le kimono avait des manches si longues qu'elles tombaient sur les mains du jeune homme, et sa traîne s'étirait loin dans son dos. De grandes fleurs d'or étaient cousues sur le tissu, dessinant de magnifique motifs dessus, le faisant briller sous la lumière dorée de la pièce. Le tissu était de soie, si léger que Rindo le sentait à peine. Et au niveau de la taille, un épais obis était étroitement serré, si bien qu'il avait du mal à respirer.
   — Était-il nécessaire de le serrer autant, cet obis m'étouffe plus que ma propre famille...
   — Sir il est de coutume de porter cette toilette, vous devez avoir une fine taille, expliqua l'une des femmes près de lui.
   — Cette toilette m'agace au plus haut point, répliqua Rindo. Seishu ?
   Le jeune homme se tourna et partit chercher son ami. Il était également prêt. Ses cheveux blonds ondulaient légèrement, l'azur de ses yeux était mis en valeur par de grands traits blancs brillants, sa peau était poudrée. Il portait un long kimono bleu orné de grandes feuilles violettes et rouges, ainsi qu'un obis blanc presque aussi serré que celui de Rindo. Son kimono était également bien moins long que celui du jeune homme, mais il restait tout de même très long et montrait parfaitement que Seishu appartenait à la famille royale.
   — Tu es magnifique, commenta Rindo en le regardant de haut en bas.
   — Vous l'êtes aussi, s'exclama son ami.
   — Merci, viens nous devons nous dépêcher !
   Rindo remercia rapidement les servantes qui l'avaient apprêtées et entraîna son ami hors de la pièce. Les deux jeunes hommes se remirent à courir dans les couloirs, de la musique se faisait entendre d'ici, ainsi que le bruit des conversations. La cérémonie avait déjà débuté, mais avec un peu de chance le discours royal n'avait pas eu lieu. Si par malheur Rindo n'était pas auprès de ses parents et de son frère pour le discours, cela allait vraiment faire scandale. Et puis le jeune homme devait voir sa fiancée en plus de cela...
   La seule motivation de Rindo pour aller à cette cérémonie était qu'il allait voir Hajime, et surtout son ami Haruchiyo.
   — Sei, je t'ai déjà parlé de l'ami de Hajime, demanda Rindo en levant les pans de son kimono pour courir plus facilement.
   — Au moins une bonne dizaine de fois, répondit Seishu derrière lui.
   — Vraiment ?!
   — Oui, il sera là ce soir n'est-ce pas ?
   — Oui, et je tiens à lui parler. Penses-tu que tu pourrais réussir à tenir éloigné Senju, et tous ceux qui pourraient nous importuner, un moment pour que je puisse être avec lui ?
   — Je ferai de mon mieux. Me permettez-vous d'offrir une danse à votre fiancée, demanda Seishu d'une voix essoufflée.
   — Une danse, un baiser et même votre lit s'il le faut mais débarrassez-moi d'elle, supplia Rindo alors que les deux jeunes hommes déballaient de grands escaliers de marbre, s'approchant de la salle de cérémonie.
   — Sir je ne pourrais jamais !
   — Mais je te donne ma permission !
   — Même avec tous vos accords je ne pourrais jamais espérer toucher une femme telle que Senju.
   — Fais ce que tu veux avec elle mais arrange-toi pour l'éloigner de moi.
   — Sir vous êtes vraiment prêt à tout pour voir cet homme, constata Seishu avec surprise.
   Rindo s'arrêta juste devant des doubles-portes, grandes et décorées d'or, elles étouffaient la musique et les pas de danse de la salle de cérémonie, et se tourna vers son ami.
   — Je suis simplement très curieux de le rencontrer, dit-il en lissant son kimono.

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Voilà pour les deux premiers chapitres, j'espère vraiment qu'ils vous ont plu parce que moi j'adore cette histoire ! Hésitez pas à me dire ce que vous en pensez :p

(Petite dédicace à merrymayo qui m'avait demandé de la caser dans l'histoire avec une servante)

J'ai oublié de dire mais je posterais un chapitre le lundi, mercredi et vendredi.

Zoubi zoubi :)

ÉpistolaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant