Sur les terres des Kokonoi

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   — Nous voilà perdu.
   — Je le crains en effet.
   — J'avais dit qu'il fallait tourner à droite.
   — Et moi j'avais dit qu'il fallait suivre le sentier.
   — Izana s'est éloigné et Kakucho l'a suivi, c'est de leur faute si nous sommes perdu.
   — Je vous avais dit de les laisser se perdre dans leur coin, mais comme d'habitude personne ne m'écoute.
   — C'est de la faute d'Hajime, nous sommes proches de vos terres vous devriez connaître le chemin.
   — Et vous vous êtes le futur roi, vous feriez mieux de vous renseigner sur les terres qui entoure votre palais plutôt que de passer votre temps et « étudier la littérature ».
   — C'est gentil de vous préoccuper de mon éducation, mais je pense qu'il est préférable pour vous que vous étudiez les chemins de vos contrées plutôt que de vous divertir auprès des soins de mon ami, répliqua sèchement Rindo.
   Hajime le fusilla du regard mais le jeune homme lui répondit par le même regard froid. Son ami était en colère, et si d'un côté Rindo pouvait le comprendre, il était surtout énervé lui aussi. C'était très mal placé de sa part de se permettre d'être en colère à cause de la relation que le jeune homme entretenait avec son cousin, alors que lui-même était plus que proche de Seishu. C'était très déplacé d'oser être en colère pour cela, Hajime ferait mieux de regarder sa propre conduite avant de critiquer celle de Rindo.
   — Vous semblez contrariés, dit Manjiro en se tournant vers eux. Y a-t-il un problème ?
   Rindo ne répondit pas tout de suite et Hajime non plus. Les deux jeunes hommes continuèrent de se fusiller du regard, sous les yeux étonnés de leurs amis.
   Le groupe de jeunes hommes était à l'arrêt dans la forêt depuis maintenant plusieurs minutes. La balade à cheval avait plutôt bien commencé, ils étaient partis se promener sur les terres d'Hajime, mais Izana avait soudain eu la merveilleuse idée de s'éloigner du sentier, et les autres l'avaient stupidement suivi. Mais plus ils s'étaient éloignés, plus ils avaient oublié leur chemin et résultat, les voilà perdus au milieu de la forêt.
   C'était assez problématique tout de même, personne n'avait envie de passer sa nuit ici.
   — Oh non, aucun, dit Rindo en se forçant à sourire. Partez devant chercher le chemin, je dois m'entretenir avec Hajime.
   — Comme vous le souhaitez, dit simplement Manjiro en agitant ses rennes pour ordonner à son cheval de repartir dans la forêt. Allons-y.
   Manjiro s'élança en premier, puis les autres le suivirent.
   — Voulez vous que nous restions, demanda Seishu alors que lui et Haruchiyo restaient auprès de Rindo et Hajime.
   — Non ce n'est pas nécessaire, dit ce dernier.
   — Au contraire, je pense que leur présence est justement nécessaire, répliqua Rindo d'un ton sec.
   — Très bien. Alors je suppose que Haruchiyo et vous pourrez m'expliquer ce qu'il se passe entre vous deux, demanda Hajime en descendant de son cheval.
   — Rien de ce qui ne vous regarde en tout cas, répliqua son ami en l'imitant.
   — Pourquoi êtes-vous intime avec mon ami ?
   — Je pourrais vous retourner la question. Comment se fait-il que vous soyez intime avec Seishu, dit Rindo.
   — Je ne vois pas de-
   — C'est inutile de le nier, je vous ai vu ensemble. Et tout le monde semble être au courant de votre relation ici.
   — Cela ne vous regarde absolument pas.
   — Et ma relation avec Rindo ne vous regarde pas non plus, déclara calmement Haruchiyo.
   — Pourquoi vous pose-t-elle problème, demanda Rindo en sautant au sol.
   — Vous ne vous êtes vu qu'une fois, vous ne vous connaissez pas, s'exclama Hajime.
   — Nous avons longuement correspondu ensemble en réalité, informa Rindo. Je ne vous l'ai pas dit, par peur de vous agacer et j'ai visiblement eu raison.
   — Leur relation est-elle si problématique que cela, demanda Seishu en descendant également au sol.
   — Bien sûr qu'elle l'est, Rindo est l'héritier du trône et Haruchiyo n'est qu'un conte sans aucune importance particulière, et surtout il est un homme, dit Hajime avec agacement.
   — Vous êtes bien mal placé pour parler alors que vous partagez des plaisirs charnels avec Seishu, qui est aussi un homme, répliqua Rindo.
   — Seishu n'est pas l'héritier du trône !
   — Il est de la famille royale, c'est tout aussi grave !
   — Haruchiyo, vous ne pouvez pas prendre la virginité du futur roi !
   — Et pourquoi donc ? Personne ne le saura, répondit Haruchiyo en lui tenant tête.
   — Vous le déshonorez, il doit rester pur jusqu'à son mariage, c'est une coutume... une règle ! Imaginez que quelqu'un vous ait surpris ?!
   — Il n'y avait personne, nous ne risquions rien, dit Rindo en levant les sourcils. Contrairement à vous qui faisiez gémir mon ami si fort que l'on pouvait vous entendre depuis le couloir.
   Hajime rougit vivement, en même temps que Seishu, qui baissa les yeux avec honte.
   — Nous avons tous eu des comportements allant à l'encontre des coutumes de la bonne société, dit le jeune homme en se forçant à redevenir calme. Mais les choses sont faites et nous ne pouvons revenir en arrière.
   — Hajime votre réaction est excessive, dit Seishu à voix basse. Les adultères font partie de notre société, voyez bien avec vos amis... Il est vrai que les choses sont plus graves pour sa majesté, puisqu'il est notre futur roi, mais nous n'avons aucun droit de jugement.
   Hajime resta silencieux un moment. Il regarda longuement Seishu, qui soutint son regard, alors que Rindo échangeait discrètement un regard avec son amant. Seishu avait raison, personne n'avait le droit de les juger au fond car tout le monde faisait comme eux. Seulement, Rindo était prince et c'était forcément plus mal vu avec lui.
   — Certes, finit par dire son ami. Je suppose qu'aujourd'hui n'était pas la première fois ?
   — Nous avons passé la nuit de la cérémonie ensemble, répondit Haruchiyo.
   — La nuit ? Toute la nuit ?
   — ... En effet, acquiesça Rindo.
   — Oh seigneur...
   — Ne vous est-il jamais arrivé de passer des nuits entières auprès de Seishu ?
   — Dire que non serait mentir... Et que comptez-vous faire ? Haruchiyo vous devez chercher une épouse, et Rindo votre fiancée séjourne actuellement dans votre palais. D'autant plus que vous êtes entourés de gardes.
   Rindo regarda avec perplexité son amant. Il était vrai que Senju était au palais pour quelques temps, il allait nécessairement devoir passer du temps à ses côtés. Mais Senju n'était pas un si gros problème, elle ne faisait pas attention à Rindo. C'était plutôt son frère, Takeomi, qui posait problème. Il ne le laissait jamais tranquille, il se doutait sûrement qu'il n'aimait pas Rindo, ce devait être pour cela qu'il le surveillait autant. Et puis il n'était presque jamais seul à cause des gardes qui l'entouraient en permanence. Il ne pouvait espérer voir seul Haruchiyo, encore moins s'échapper et le retrouver quelque part.
   Pourtant, Rindo ne pouvait se passer de la présence de son... ami ? Amant ? Qu'étaient-ils l'un pour l'autre ? Que ressentait Haruchiyo à son égard ? Rindo était-il sûr de l'aimer ?
   Rindo ne savait pas ce que cela faisait d'aimer quelqu'un, cela ne lui était jamais arrivé et il ne pouvait se fier qu'à ce qu'il voyait autours de lui, et à ce qu'il lisait. Il avait bien l'impression de ressentir pour Haruchiyo tout ce qui était décrit dans ses livres, donc logiquement c'était qu'il l'aimait. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il ne connaissait physiquement Haruchiyo que depuis une semaine. Même s'ils avaient longuement correspondu par lettre ensemble et que Rindo avait tout de suite eu de l'affection pour lui... C'était peut-être trop rapide ? Peut-être qu'il s'emballait...
   Il ne regrettait rien de ce qu'il avait fait avec lui et il mourait d'envie de lui offrir de nouvelles nuits. Cela l'énervait même de se dire qu'il faisait peut-être fausse route et qu'il n'aimait pas Haruchiyo. Mais d'un autre côté, il ne voulait pas prendre le risque de se faire des illusions, ou de précipiter les choses.
   ... Non. En réalité, Rindo savait déjà qu'il l'aimait, il en était sûr. Au fond, il le savait même avant de le voir. Se questionner sur son amour n'était qu'un prétexte pour cacher la peur qu'il ressentait. Il n'aurait jamais pensé qu'aimer puisse faire peur à ce point, et il avait l'horrible impression que son amour n'était pas valable, juste parce qu'il n'avait vu Haruchiyo que depuis une semaine.
   Mais est-ce qu'il fallait une durée précise de temps avant d'aimer quelqu'un ? Est-ce qu'il fallait attendre un certain temps, peut-être une semaine, ou un mois, pour pouvoir être amoureux ? Rindo ne le savait pas. Il n'y avait aucun livre qui étaient des guides pour tomber amoureux. Il ne savait même pas si l'amour en réalité était codé. Peut-être qu'il n'y avait pas de règle. Peut-être qu'il fallait juste laisser venir les choses, les accepter et s'y adapter.
   À ses yeux, l'amour était une douce pluie qui tombait sans annoncer son arrivée. Elle tombait comme cela, arrosait son corps. Et avant de se rendre compte de sa présence, il était déjà trempé. On tombe amoureux comme on s'endort, lentement, doucement, et sans s'en rendre compte.
   Rindo était tombé amoureux de Haruchiyo au travers de ses lettres. En lisant inlassablement les lignes noires d'encre, à travers son écriture inclinée, délicate, élégante, il s'était épris de son âme à travers ses mots, et ses lettres étaient devenues si importantes qu'il passait ses journées à les attendre. Depuis qu'il connaissait son existence, Haruchiyo hantait ses pensées et chaque fois qu'il songeait à lui, son cœur s'accélérait. Et maintenant qu'il l'avait rencontré, c'était encore pire...
   Rindo ne savait plus quoi penser de tout ça. Il avait sûrement besoin d'aide, il demanderait à Seishu ou à son grand frère lorsqu'il en aurait l'occasion. Mais ce n'était pas le moment, pour l'instant il fallait régler cette dispute avec Hajime, et surtout retrouver son chemin dans cette forêt.
   — Trouver une solution à cette situation n'est pas notre priorité pour l'instant, finit par soupirer le jeune homme. J'ai conscience de nos problèmes, je sais bien que Senju vit actuellement au palais, et je sais que Haruchiyo doit trouver une épouse. Hajime, vous ne m'apprenez rien, je sais parfaitement que notre liaison est dangereuse, mais essayez de comprendre... Pourriez-vous arrêter votre relation avec Seishu sans problème ?
   Hajime soupira et se détourna.
   — Non, je ne le pourrais pas. C'est votre relation de toute façon, débrouillez vous comme vous le voulez. Mais je vous préviens Rindo. Votre titre d'héritier du trône ne vous épargnera pas, si vous attirez des problèmes à mon cousin, je n'hésiterai pas à répondre par la force, menaça son ami.
   Rindo acquiesça. Il s'était attendu à cette réaction, et la comprenait. De toute façon, il ne voulait pas attirer de problèmes à Haruchiyo, au contraire il voulait le protéger de tous les dangers de la société. Si la moindre chose venait à se savoir sur eux, cela signerait leur fin et Haruchiyo aurait de très gros problèmes, bien plus que Rindo. Il se ferait très certainement tuer, et si par chance ce n'était pas le cas, il se ferait détester par la société. Rindo voulait le protéger de tout cela.
   — Nous ferions mieux de rentrer, finit par dire Hajime. Les autres sont partis depuis un moment, ils doivent être loin.
   Tout le monde acquiesça.
   — Où sont vos chevaux, demanda Seishu d'un air surpris.
   Rindo se tourna et chercha son cheval des yeux. Mais il n'était plus là, et celui d'Hajime non plus. Oh non... Mais où sont-ils passés ?
   — C'est de votre faute, vous avez détourné mon attention pour une stupide querelle, s'exclama Rindo en se tournant vers son ami.
   — Pardon ?! Vous les avez fait fuir ! C'est de votre faute s'ils sont partis !
   — Ne commencez pas une nouvelle dispute, demanda Haruchiyo. Vos chevaux ne sont sûrement pas loins, ou peut-être sont-ils retournés aux écuries ?
   — C'est sûrement cela, dit Seishu. La nuit tombe, nous ne pouvons pas perdre de temps à les chercher. Nous sommes déjà perdu, si nous restons ici trop longtemps, nous aurons encore plus de mal à retrouver notre chemin.
   — Et comment sommes-nous censés rentrer sans chevaux, lança Hajime.
   — Il nous reste deux chevaux, nous pouvons les partager.
   Ils n'avaient pas le choix de toute évidence, c'était ainsi ou ils devaient rester dans la forêt à attendre que leurs chevaux reviennent.
   — Bien alors allons-y, souffla Hajime en s'approchant de Seishu.
   — Non non non, dit Rindo en l'écartant de son ami. C'est moi qui vais monter avec lui, vous vous avez les mains baladeuses, je ne vous fais pas confiance.
   — C'est vous qui dites cela ?!
   — Vous n'aviez qu'à ne pas vous opposer à ma relation avec Haruchiyo, répliqua Rindo en montant derrière son ami. Cela vous servira de leçon, on ne s'oppose pas au futur roi.
   — Vous êtes aussi puéril que ridicule, dit Hajime d'un ton moqueur.
   — Peu importe, je m'auto-proclame chaperon de Seishu alors désormais je vous ai à l'œil.
   — Très bien alors je m'auto-proclame également chaperon de Haruchiyo.
   Rindo et son ami se dévisagèrent longuement du regard, se défiant silencieusement. Hajime pouvait être très agaçant lorsqu'il s'y mettait, mais lui aussi pouvait l'être et il n'allait pas se laisser faire. Son ami avait osé essayer de s'opposer à sa relation, alors il allait l'empêcher d'être trop proche de Seishu juste pour l'énerver. C'était assez puérile, certes, mais Rindo et Hajime étaient comme cela, et c'était la relation qu'ils entretenaient depuis toujours.
   Les deux jeunes hommes s'installèrent alors derrière leur ami, et eurent le même réflexe d'enlacer leur ami comme pour montrer qu'ils ne se laisseraient pas faire. Bon au moins il n'y en avait pas un plus puéril que l'autre...
   — La discussion ne s'est pas si mal passée, dit Seishu à voix basse.
   — Je suppose... Au moins il ne cherchera pas à mettre fin à notre relation.
   — Oui mais vous devez rester prudent. Je ne sais pas si vous envisagez d'entretenir cette relation sur le long terme mais vous risquez d'avoir de nombreux problèmes si un jour quelqu'un le découvre. Vous pouvez avoir de nombreuses courtisanes sans problème, mais de nombreux courtisans, c'est une autre histoire...
   — Je le sais bien Seishu... Si seulement il était une femme, tout serait tellement plus simple, soupira Rindo en tournant la tête vers son amant.
   — L'aimeriez-vous s'il était une femme ? 
   — ... J'ai bien peur que non...
   — Tout serait plus simple si les hommes que nous aimons n'étaient pas des hommes, dit Seishu avec dépit.
   — C'est sûr, mais nous devons faire avec ce que nous avons. J'ai longuement réfléchi à un moyen pour pouvoir passer du temps avec Haruchiyo, et il m'est venu une idée. Je me disais que peut-être, comme nous aimons tous les deux la littérature, je pouvais le faire venir au palais pour « discuter de lettres » ? J'ai toujours fait cela, j'invite souvent des romanciers et des penseurs, alors sa venue ne serait pas suspicieuse.
   — C'est une bonne idée, accorda son ami. Il pourrait être une sorte d'instituteur ? Ainsi vous pourriez passer beaucoup de temps avec lui. Peut-être même qu'il pourrait séjourner au château.
   — Ce serait vraiment parfait, penses-tu qu'il accepterait ?
   — Il en serait ravi je pense. Mais vous devez d'abord en discuter avec vos parents, pour l'instant ce sont encore eux le roi et la reine.
   — Malheureusement tu as raison... J'en discuterais d'abord avec mon frère pour avoir son avis. Oh mais... Senju vit aussi au palais...
   — J'avais oublié... Vous ne pourrez jamais être avec Haruchiyo devant elle... C'est étrange de dire cela, mais si seulement elle aussi pouvait avoir un amant... ou une amante, peu importe... cela serait une bonne chose pour vous.
   Rindo acquiesça en soupirant. Si Senju avait aussi un.e amant.e, ils pourraient se marier et vivre chacun de leur côté sans faire attention à l'autre, cela serait une situation parfaite. Mais Rindo était presque sûr que sa promise n'avait pas d'amant, et lui était toujours fidèle. Et le pire était son tuteur... Takeomi veillait sur sa petite sœur et il surveillait Rindo dans ses moindres faits et gestes. Il devait sûrement le détester. Si jamais Takeomi découvrait quelque chose, c'était la fin pour Rindo et Haruchiyo ...
   L'idéal, ce serait de se débarrasser de lui...
   Un sourire se dessina sur le visage du jeune homme lorsqu'un visage familier apparut de son esprit.
   — Seishu, je crois bien avoir trouvé une solution.

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Bon le chapitre est plus court que d'habitude mais j'ai pas eu le temps de le rallonger. J'espère qu'il vous plaît quand même :)

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