3 D é c e m b r e

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ROBERT
Michel Decouis
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I - Mardi 12 Décembre 1981

Ce jour, n'est pas un jour comme les autres. Et ce midi verra, enfin, la fin de bien tristes années. En effet cela fait deux longues années que j'attends sa libération. Deux ans, c'est long surtout après six ans d'enfermement pour un crime qu'il n'a pas commis. Deux ans que Robert, mon frère, pourtant libérable, ne peut sortir au motif, non avouable, du directeur de la prison, qu'il est indispensable à la bonne gestion du centre pénitentiaire. C'est absurde ! Et pourtant, c'est vrai. Deux ans que son avocat se bat contre l'administration de la prison refusant, sous des prétextes bidons, sa levée d'écrou. Voilà ! Ce jour est enfin arrivé et frérot est de retour. Je n'irai plus tous les mardis passer une heure avec lui dans son parloir spécial, statut privilégié obtenu pour ses services rendus. Huit ans que la vie s'est arrêtée pour lui, et j'ai peur. Peur de le voir désemparé devant cette liberté retrouvée. Il redoute, il me l'a dit, d'affronter la vie. Faire quelque chose quand il veut, sans demander l'autorisation. Pire, être obligé de prendre une initiative. La prison, pour les longues peines, vous vide de toute liberté. Tout est ordonné, l'emploi du temps est programmé sans dérogation ni fantaisie. Il n'y a rien à discuter et tout le monde obéit. Aussi, au fil des années, on perd la maîtrise de son temps et ce nouvel ordre, pourtant un carcan, est accepté. Alors, c'est fini, plus de rébellion. Mardi matin la douche à huit heures trente et le parloir à quinze heures quarante cinq. Votre agenda se résume à une semaine. Toutes les semaines se ressemblent sauf, quel bonheur, quand vient la visite annuelle de l'inspection générale des prisons. Mais pour frérot, juste une petite distraction de voir le menu légèrement amélioré car l'inspecteur vient toujours à l'heure du déjeuner, à croire qu'il n'est pas nourri ailleurs. Jamais interviewé, trop dangereux. Que va-t-il dire ?

J'ai peur aussi, de ce qu'il va faire pour régler ses comptes avec ses complices. Ils l'ont dénoncé comme étant celui qui a tiré sur le guichetier de la Poste, et malgré ses dénégations, il fut condamné à quinze ans, ses copains ne prenant que cinq ans. C'est sur leur seul témoignage qu'il s'est pris une si longue peine. Je me souviens du jour de la sentence. Il fallait un coupable aux yeux de l'opinion publique et des jurés, et même sans aveux, le voilà désigné et condamné. Je ne crois pas qu'il ait pardonné à ses complices leur lâcheté, et j'ai peur.

Il est bientôt midi, je vais mettre le couvert, pour nous deux, comme avant, comme si de rien n'était, comme si c'était Jeudi, comme un Jeudi de 1973, huit ans avant. J'arrête la radio qui vante les mérites de je ne sais quel produit miracle effaçant les rides pour me pomponner un peu. Faut cacher le fait d'avoir pleuré et d'avoir peur. C'est quand même terrible ! Il est libre, libre et j'ai plus peur qu'avant. Chercher l'erreur.

Le voilà ! Mais il est venu en voiture, en taxi. Mazette ! Il a dû casser sa tirelire. C'est pour prendre un taxi qu'il ne voulait que je vienne le chercher à sa sortie. Il voulait faire le beau dans son jean et avec le polo vert, offert à Noël. Il a l'air en forme. Il m'avait dit : Le vert, c'est la couleur de l'espérance, je le mettrai à la levée d'écrou.

– Bonjour Marie ! Tu as vu, c'est la quille. Oh que c'est bon ! Quarante kilomètres en taxi comme un richard, et à part le pourboire, cela ne m'a rien coûté.

– Comment tu as fait ?

– Bah ! C'est le dirlo de la tôle qu'à raquer. Ils ont voulu me faire une offre d'embauche. J'ai refusé. Non mais ! Ils m'ont empêché d'être libéré plus tôt. Alors j'ai dit Non Non et Non. Allez vous faire voir ! Je me suis rebellé devant tout le monde et pour s'excuser, y m'a payé la bagnole. Le taxi, pour une course pareille était très content. Pour un peu, ce couillon, il m'embrassait. Mais tu t'es faite belle !

Bibliothèque de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant