Bibliothèque de l'Avent

2 2 D é c e m b r e

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L'HISTOIRE DE MANON AU SUPERMARCHÉ
auroredevet
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Aujourd'hui, jeudi 22 décembre 2022, 14h, unité des Alcooliques Anonymes

– Allez-y, Géraldine, c'est à vous.

– Alors voilà, ça a du sens d'en parler pour moi aujourd'hui, parce que ça s'est passé il y a dix ans jour pour jour, le 22 décembre 2012, à seize heures, dans le supermarché où j'étais gérante. C'était le samedi avant Noël, tous ceux qui faisaient leurs courses de Noël ce jour- là se rappellent.

J'étais responsable du super U d'une petite ville dans l'Est de la France. Là-bas, tout le monde se connaît, alors je me cachais. Vous imaginez, la directrice alcoolo... Mais je crois que tout le monde s'en doutait. A cette période, j'en étais à une bouteille de rouge le matin pour tenir, et ça pouvait aller jusqu'à 3 bouteilles par jour. Mais bon, j'arrivais encore à peu près à diriger le supermarché. Enfin, c'est ce que je croyais.

La veille au soir, deux petites jeunes filles débarquent dans mon bureau, polies, propres sur elles, elles devaient avoir la vingtaine.

Elles demandent à me parler quelques minutes. J'étais crevée mais je ne sais plus pourquoi, j'accepte, je les fais s'asseoir, plus par curiosité qu'autre chose. Ah si, parce qu'il y a Murielle qui me presse du regard : les filles sont du coin, je ne peux pas les envoyer bouler. Quand je ne sais pas trop quelle décision prendre, je regarde Murielle. Elle retourne à sa poissonnerie, les filles s'assoient à mon bureau donc, et là, elles se présentent. Elles font partie d'une association qui lutte contre le harcèlement scolaire et elles demandent si elles peuvent faire une intervention de cinq minutes au micro dans le magasin le lendemain. Elles me tendent une paperasse agrafée. Je me retrouve avec un exemplaire dans la main, avec tout bien écrit à l'ordinateur. Tenez, je l'ai là.

Géraldine brandit quelques feuilles fatiguées qu'elle avait sorti de sa poche. Elle les déplia et lissa du plat de la main. Puis elle regarda les autres Membres des Alcooliques Anonymes et reprit :

– Donc les filles sont là, en face de moi, à me regarder, et n'attendent qu'une chose, que je lise ces feuilles.

Elle scruta l'assistance d'un air malicieux." Vous aussi on dirait " lâcha-t-elle, déclenchant quelques sourires.

– Sauf qu'avec la journée à rallonge que j'avais eue, je m'étais levée à quatre heures pour réceptionner les caisses de chocolats, mes yeux n'étaient plus capables de lire grand-chose à cette heure-ci. Franchement, vous vous en doutez, je n'avais qu'une envie, c'est de virer les demoiselles, de m'enfermer dans le bureau et de sortir une bouteille, et pas de l'Evian.

C'est là que je fais ZE boulette.

Je dis oui. Je repense à Murielle qui m'a dit qu'elles étaient du coin, alors j'en rajoute, je sors quelques généralités sur les jeunes qui s'engagent, qui prennent des initiatives dans ce monde qui va à vau-l'eau. Bref, j'improvise, elles voient que je leur porte de l'attention, et sur le coup, j'étais même contente de moi. Ah, si j'avais su...

Géraldine éclata d'un rire froid.

– On arrive donc au lendemain, ce fameux jour du 22 décembre, 16h. J'étais en train de gérer les arrêts maladie à gogo et les fournisseurs qui s'étaient encore trompés. A moins que ce soit moi. Bref. Le magasin était bondé. Je me souviens, cette année-là on avait mis des énormes boules de Noël vert pomme et chocolat, qu'est-ce que c'était moche... mais c'étaient les couleurs de l'époque. Les caddies se remplissaient, les rayons se vidaient. Dans les hauts-parleurs, la chanson de Tino Rossi commençait déjà à me taper sur le système avec ses jouets par milliers ... bref, la magie de Noël au Super U.