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LE GRAND CHARLES
Elimyrtille
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TW de literharry :
Si vous n'êtes pas à l'aise pour lire tous les sujets, je vous conseille grandement d'aller vérifier les TW pour cette histoire qui est sombre. Prenez soin de vous.
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Janvier a éteint toutes les lumières de décembre, et dépose son manteau de neige immaculée sur les toits des maisons, sur les voitures, sur la nature endormie. Tout est silence, le ciel est bas et l'atmosphère est monotone. La lumière, l'effervescence des jours de fêtes est retombée et sa féerie l'a suivi ; Il n'y a pas âmes qui vivent au dehors. Il faut dire que les sentiers sont envahis de cette neige épaisse que la grisaille omniprésente, le manque de soleil n'incitent pas les enfants à sortir leurs luges ni leurs parents à organiser des batailles de boules de neige. À l'intérieur, le sapin tout habillé de boules multicolores et de guirlandes à n'en plus finir, fait grise mine, ses branches vaillantes à son arrivée dans la maison, penchent à toucher le sol. Il faut penser à le démonter. Sabine se tient debout, le nez collé à la fenêtre. Elle est une belle jeune femme de trente ans, bien dans sa tête et dans son corps. Une femme épanouie qui élève avec amour ses deux enfants et qui fait le bonheur de son mari, un homme de cinq ans son aîné qui la vénère comme une déesse. Dans cette famille tout est serein. Mais parfois la vie nous joue des tours. Un mot, un geste, un coup de téléphone et tout s'effondre. Tout ce temps qui a permis de construire un univers qui correspond à ce que l'on souhaite, tout ce temps qui n'a apporté que des choses positives. Tout ce temps qui permet à l'amour de s'épanouir, aux enfants de sourire, de rire, de grandir. Tout ce temps... De grosses larmes ruissellent sur ses joues toutes blanches. Elle a perdu cette flamme qui l'habitait, cette chaleur qu'elle dégageait naturellement, cette joie de vivre qu'elle répandait généreusement autour d'elle. Elle pleure et elle pleure pour le reste de sa vie. Elle ne séchera plus jamais ces larmes-là. Elle se remémore encore une fois cette fraction de vie, ce moment d'inattention, ce tout petit instant où elle était là mais regardait ailleurs. Elle se souvient encore et encore... C'est le premier de l'an, une nouvelle année commence, son vœu le plus cher... Que la vie qui l'a gâtée ne change pas, elle est heureuse. Que rien ne change. Elle prépare sa maison, elle allume un feu et le doux crépitement du foyer la fait sourire, que c'est bon. Elle dépose sur la table une jolie nappe imprimée aux couleurs de fête. En plus de la très gracieuse vaisselle, elle dispose sur la table de belles bougies créées par les écoliers du quartier pour une association d'enfants en difficulté. Le résultat final est très sympa et elle n'est pas peu fière. Sa maison lui ressemble, elle est gaie et chaleureuse. Il est vingt heures, ses invités arrivent. Toujours les mêmes, chaque année pour fêter la nouvelle année. Il y a ses parents bien sûr, ses beaux-parents. Ils s'entendent très bien et passent de belles soirées ensemble à se souvenir des soirées précédentes et à en rire. Et il y a l'oncle Charles... Celui qu'on ne peut éviter, c'est l'ancien. Tous les ans, elle invite Julie, sa meilleure amie, mais celle-ci préfère attendre le départ des invités pour venir faire la fête. Sabine comprend et n'insiste pas. Elle prend les vestes et les manteaux de chacun, embrasse ses parents et beaux-parents avec plaisir, l'oncle Charles, par devoir. On commence les festivités par l'apéro, comme toujours. Pour ce soir elle a élaboré un cocktail spécial qu'elle offre à tous sauf l'oncle Charles qui lui prend toujours son whisky. Elle le lui sert avec un sourire, et elle se demande comment elle fait pour lui sourire. La soirée se passe dans le calme. Sabine est partout et maîtrise complètement toutes les tâches qu'elle avait prévues, et en même temps elle ne quitte jamais ses enfants du regard. Elle surveille. Des rires, des chants, des blagues et quelques moqueries fusent de partout. Mais il est tard, très tard et les enfants sont fatigués, comme les grands d'ailleurs. Sabine est en très grande forme et son mari aussi. Ils couchent les petits. Maxime quatre ans tremblote, il a froid. Une grosse couverture, un bisou magique de maman et le tour est joué, il va s'endormir. Les invités se lèvent, récupèrent leurs vestes et manteaux, félicitent leurs hôtes pour cette excellente soirée. L'oncle Charles ne tarit pas d'éloges sur cette si jolie famille, si accueillante et si raffinée. Sur ces enfants si bien élevés. Sabine en a la nausée mais sourit en remerciant l'oncle de tant de bonté à leur égard. Elle l'embrasse sur la joue en lui disant à l'année prochaine et pense le contraire. Elle le hait, mais c'est oncle Charles, le frère à papa. Elle ne souhaite pas se mettre toute la famille à dos. Quoique ! Le téléphone retentit, c'est Julie, elle précise qu'elle a vu les voitures quitter le pavillon, elle va arriver avec son mari. Les enfants sont fatigués, elle va les laisser à la maison avec papy. Le temps pour Sabine de remettre un peu d'ordre dans sa maison et de préparer quelques petits amuse-bouche sympas pour son amie. Julie est une petite femme timide et introvertie à l'inverse de Sabine. Elles se connaissent depuis toujours. Elles ont usé leurs clarks sous les mêmes préaux. Elles n'ont aucun secret l'une pour l'autre. Du premier baiser à la première relation amoureuse. De la première rupture à la reconquête. Les premiers baisers de leurs maris respectifs. Cependant, il y a longtemps, très longtemps, Julie lui a fait une confidence, cette confidence, pesante, intolérable, insoutenable. Une de celles qu'on ne divulgue pas, même en étant adulte. Une de celles dont on fait la promesse qu'elle sera enfuie à jamais. Elles ont passé autant de nuits à pleurer, que de nuits à danser. Elles ne se sont jamais lâché la main et ont parcouru leurs chemins l'une à côté de l'autre. L'une étant la lumière de l'autre. Et Sabine a promis. Un serment d'adolescente. Elle a regretté tant de fois cette promesse, mais Julie est encore terrorisée. Son petit être entier tremble encore à l'idée de croiser cet homme qui lui a volé son enfance. Elle avait onze ans la première fois qu'elle l'a rencontré. C'était chez les parents à Sabine, il revenait d'un long voyage en Amérique et en racontait les anecdotes. Il parlait fort et haut comme un homme de théâtre. Il était beau, grand, bronzé et fascinant pour des petites filles de onze ans qui le regardaient avec admiration. Il ne ressemblait pas à leurs pères qui pour elles n'étaient que leurs... pères. Il était comme ces chanteurs que l'on voit à la télé. Elles étaient fans. Ah l'oncle Charles, il fascinait autant les grands que les petits. C'est tout naturellement et avec fierté que Julie l'a suivi ce bel été, l'été de ses onze ans. Elle ne pouvait pas comprendre ses attentes et elle les a subis en silence, les dents et le cœur serrés. Depuis ce jour, tous ses étés sont devenus des hivers. Dans son cœur et dans son corps il fait froid, toujours. Ni son mariage avec cet homme doux et attentionné, ni la naissance de ses jumeaux n'ont atténué cette peur et ce froid glacial qui l'habite. Quand elle sait le charmeur dans les environs, elle se terre, s'explique par un mal de tête et son mari ne comprend pas pourquoi. Tous les soirs de l'an, ils ne se rendent chez Sabine qu'après que tous soient partis. Les voilà aux pieds du sapin de son amie. Elle aussi a couché les enfants très fatigués par ce trop pleins d'émotions. Le bruit du bouchon de champagne qui explose couvre les cris du petit dernier, il pleure. Dans l'euphorie de l'instant, la musique, le partage des cadeaux, personne n'entend les soupirs du petit. Le bracelet de breloque, le dernier vinyle à la mode, le super chemisier, les craquantes chaussettes jaune et bleu à pois rouges font bien rire les quatre amis. Ils finissent la bûche de noël quand apparaît, en haut des escaliers, la grande fille de la famille : — Maman depuis qu'il est au lit, Thomas pleure, il crie et tu ne l'entends pas. Viens voir je ne sais pas ce qu'il a. Sabine monte en courant, instinctivement elle a peur, elle ne sait pas de quoi, mais elle a peur. Elle prend le petit dans ses bras et la serre très fort. Pourquoi fait-elle ça ? De quoi elle peur ? Tous l'ont suivi et son mari la regarde, quelque peu emprunté. Julie lui jette un regard qu'elle n'oubliera plus jamais et s'enfuie en courant. Les hommes ne comprennent pas les réactions démesurées de leurs épouses. D'ailleurs qu'y a-t-il à comprendre ? Un petit qui pleure, qui a trop mangé de bonbons et chocolats, qui a mal au ventre. Qu'est-ce qui justifie un tel comportement de la part de leurs deux femmes ? Puis le petit entre deux sanglots explique, raconte, affirme que tonton Charles n'a pas été gentil, qu'il lui a donné une belle voiture, qui était dans le garage. Toute brillante toute rouge, et tonton a ôté son pantalon, et lui a demandé de jouer avec lui. Lui ne voulait plus jouer alors tonton lui a enlevé son pantalon à lui aussi, il lui a fait mal, très mal et lui a fait promettre de rien dire, mais il a encore trop mal. Sabine tremble, de la tête jusqu'aux pieds. Elle serre son fils dans ses bras. Elle croise le regard de son mari, il est effondré. Le mari de Julie est debout contre le mur, il est anéanti pour le petit mais ne comprend pas la réaction fuyante de sa femme. — Je vais aller chez Charles, je vais le massacrer, hurle le père de l'enfant en pleurant. — Que se passe-t-il avec Julie ? Sabine répond moi, s'il te plaît. — Appelle la police hurle-elle, appelez la police, moi j'emmène le petit à l'hôpital. Il faut faire vite. Charles ne doit pas reprendre l'avion et repartir. Tout le monde crie, tout le monde pleure.

— Excuse-moi Sabine, je vais retrouver Julie, je veux comprendre pourquoi elle réagit de cette façon. Je sais que tu sais, je crois que je comprends... Veux-tu que j'emmène ta fille ? Je vous rejoins au commissariat dès que possible. Il s'en va, emmenant la petite fille en larme. Il a compris l'attitude de sa femme et ne sait pas de quelle façon il va aborder son regard douloureux. Il sent la haine envers cet homme l'envahir, il sent la rage monter dans ses entrailles, et il essaie de se débarrasser de ces émotions violentes. Pour le moment, il y a cette petite fille et sa femme, elles sont la priorité. Il faut garder la tête froide pour les aider et les protéger au maximum. Il fait froid, si froid. Sabine a emballé son petit dans une couverture, elle le serre fort contre elle, pour le protéger, mais elle a tellement honte, elle a tellement mal, elle est si effrayée. Son monde parfait s'effondre comme un château de cartes et c'est malheureusement son fils qui en fait les frais. Tout est sa faute, si elle avait dénoncé ce vieux fou, ce pervers. Oui, mais elle aurait trahi son amie... et maintenant ? Que va-t-elle faire ? Et son fils... ? Quel avenir pour lui ? Des millions de questions s'imposent à elle. Elles n'ont pas de réponse. Elles n'auront jamais de réponse. Les événements s'enchaînent, Charles est arrêté. Le procès devient populaire, fait même là une des médias. Julie a accepté de parler de son passé et des moments terriblement malsains quand il était dans les parages. Elle raconte le charisme que cet homme dégageait et de quelle façon il s'en servait pour abuser, dans un premier temps les adultes puis beaucoup plus sournoisement les enfants. De jeunes adultes de son entourage proche viennent à leur tour l'accuser d'attouchement. Un jeune garçon, beau comme un ange, mais terriblement introverti, vient à son tour à la barre. Lui, il a tout subi, et cela pendant deux longues années, sans que personne ne le remarque. Charles, le grand Charles, le beau Charles, celui que tous respectent, celui que tous envient, tant ses histoires de voyage fascinent. Comment un jeune garçon peut dénigrer un si brillant personnage ? Qui va l'écouter ? Qui va simplement le croire ? Charles est un homme remarquable, extraordinaire. C'est un homme de panache. Sabine regarde ce jeune garçon avec les yeux de la mère qui n'a rien vu. Il a le même regard que celui apparu dans les yeux de son fils depuis ce jour de l'an. Il semble ailleurs, apeuré, il ne sourit pas, plus. Il est si beau. Elle sait qu'elle devra affronter ce regard-là, pour le reste de sa vie, elle se détestera toute sa vie de s'être tu. Elle ne voit plus Julie, elle la tient pour responsable, en sachant fort bien qu'elle n'y soit pour rien. Elle est devenue distante avec son mari, qui lui aussi est démuni, dépouillé de son rôle de père. Lui aussi, il s'en veut d'avoir tant admirer cet homme, ce chien. Leur paisible cocon est devenu un vaste manoir où le froid et la grisaille envahissent le moindre recoin.

Curieusement, le petit roule sur le chemin de sa vie, il joue avec ses petits copains, se dispute avec sa sœur. Il ne se débrouille pas mal du tout à l'école. Il apprend la musique, il apprend à nager. De temps à autre, il se réveille en pleine nuit et sanglote dans les bras de sa maman. De temps à autre, c'est elle qui se réveille en pleine nuit et sanglote dans les bras de son fils. Le grand Charles est en prison pour de longues années. On sait que ces gens-là subissent les pires tortures au bagne. Mais lui, il a trouvé le moyen d'être à nouveau le roi, le grand Charles. À force de panache et d'histoires rocambolesques il a asservi toute une cour de prisonniers à sa dominance. Tant de vies bouleversées, tant de routes qui n'ont pas suivi leurs chemins, tant de rêves qui n'ont jamais vu le jour, tant de cartes qui n'ont jamais été jouées. Bien sûr la vie reprend ses droits, bien sûr on fait comme si... Arrive la résilience. Et Charles, le majestueux Charles, règne sur sa cour et se demande encore ce qu'il a fait de mal.

Bibliothèque de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant