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Le diable froid
Robert Lavoie
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C'était un mois de décembre particulièrement froid. Personne, dans tout Montréal, ne sortait sans une tuque, deux pantalons et trois foulards, même ceux qui se vantaient d'avoir le sang mélangé au froid d'ici.

Il y avait trois exceptions à la règle. La première se composait de couple au foulard rose et brun qui se baladait dans ce décor solitaire et romantique. La seconde se trouvait dans les vagabonds qui, dans la nuit froide, n'avait que le sol glacé pour dormi. Ils se tordaient dans les ruelles en appelant à l'aide, entourés de seringue- leur seule chaleur. La troisième exception observait les gigotements de la deuxième en espérant que toute la race humaine puisse subir le même sort.
Lui n'avait pas froid. Il avait connu bien des chaleurs, puis l'ultime chaleur, celle qui vous fait exécrer que l'homme ait maîtrisé le feu.
Depuis, son cœur est froid comme les torrents qui pèsent sur les rues où il se balade, à la recherche de vindicte.
Il évitait les nids de poule. Dans leur flaque gelée, on voyait trop facilement son reflet. Et malgré son masque et ses lunettes de ski, les contours de sa face étaient toujours visibles.
Lorsqu'un vagabond, malgré sa douleur, réussissait à le regarder, voir à lui lâcher un : «Aide-moi, ostie d'con ! ». Il suffisait d'un coup d'œil pour que le sans-abri, presque content de son sort, se retourne.

L'homme s'arrêta devant la grande roue. Malgré le froid, une petite file attendait son tour. La plupart de jeunes couples qui voulait réchauffer leur cœur dans l'hiver.

L'un d'entre eux avait l'air particulièrement heureux. Ils frottaient leurs deux nez rouges et par moment la vapeur froide de leurs lèvres se mêlait.

L'homme les regarda sans rien dire. Il reconnaissait le rire de la dernière femme à avoir aimée son visage. Un couple le séparait de ces sans-souci.

La grande roue se vida. L'homme proposa au couple devant lui de passer d'abord, pour qu'il ne soit que deux sur leur siège. Le jeune couple accepta avec plaisir.
Ainsi, sans que les victimes ne fassent attention, le diable s'embarqua avec eux. Même lorsque la roue débuta sa pérégrination, les tourtereaux ne remarquèrent rien. À peine jetèrent-ils un coup d'œil à l'individu , trop couvert pour qu'on en dise quoi que ce soit. Sur la même banquette, ils se rapprochèrent lentement. L'homme masqué observa l'autre homme. Avec sa belle montre par-dessus ses gants et sa tête d'imbécile. Comment pouvait-elle être tombée aussi bas ?

— Coucou Julie, marmonna-t-il. Tu te souviens de moi ?

La femme se tourna vers lui. La voix lui disait vaguement quelque chose, mais ce n'était qu'un fragment de fragment et elle ne fit pas le lien.

— Excusez-moi, monsieur ? Comment connaissez-vous mon nom ?

— Je connais bien plus que ton nom... » Un grognement baveux s'étala sous son masque. « Je connais chaque ligne de ton corps. »

L'homme montra son poing au masqué. « Hey, qu'est ce que tu veux, dude ? »

Le masqué s'avachit un peu plus profondément sur sa banquette. « Calme, toi, dude. Demande à ta blonde, si elle connaît Sébastien. Tu verras.

Les gants roses de la femme se plaquèrent contre ses lèvres. « Sébastien... Larrivé ? »

— En personne, mon amour. »

L'homme se tourna vers sa chérie. « You know this guy ?»

La femme ne dit rien et le froid dans les mécanismes de la roue ralentit sa montée, rendant la tension plus dure.

Bibliothèque de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant