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À COUPER LE SOUFFLE
-literharry
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Elle l'a rencontrée dans le métro. Du moins, elle le pense. Elle suppose aussi que c'était le soir, un mardi soir pour être plus précis, et que leurs mains se sont frôlées en tenant la barre métallique. Elle sait qu'elle l'a recroisée un midi, quand elle se rendait dans ce petit restaurant asiatique que Nickolas, son collègue, lui a expressément demandé de tester. Elle avait toujours été maladroite, donc elle a dû lui rentrer dedans par erreur ; elle se souvient qu'elle avait de nouvelles bottines à talons et qu'elle avait pas mal trébuché avec. Elle avait marmonné beaucoup d'excuses sur le chemin qui la séparait de la bibliothèque universitaire où elle travaille. Elle avait touché beaucoup de bras pour éviter de tomber mais elle ne sait pas quelle excuse elle lui a adressée. Elle ne sait pas. Elle suppose juste tout ça, encore une fois. Elle ne peut pas être certaine de ce qu'il s'est passé. La seule chose qu'elle sait catégoriquement c'est que sa tâche de naissance, cachée sur le côté gauche de sa poitrine, l'a picotée et a brillé pendant des heures. C'est la seule chose dont elle peut être sûre. Pour que ça brille si longtemps, elle a dû la toucher, c'est certain. Mais quand... cela reste un mystère.

C'est pour arrêter de penser que Gemma fait la seule chose qu'elle sait faire pour calmer l'anxiété. Dans sa situation, son frère serait actuellement en position chien tête en bas, sur son immonde tapis de yoga bleu et rose, probablement dans un short ridicule et un air tout aussi ridicule placé sur son visage. « Inspire par le nez et expire par la bouche Gem', en six temps. Allez. » Malgré ses quelques heures de yoga, ce n'est jamais la solution vers laquelle se tourne Gemma. Alors, actuellement, elle a mis son legging le plus vieux, un tout aussi vieux t-shirt jaune pâle, si lâche que son épaule est sans cesse dénudée et se retrouve à quatre pattes, la tête tournée vers le bas. « Inspire par le nez en six temps, Gem', et souffle par la bouche, toujours en six temps ». Et Gemma frotte. Elle frotte le sol de sa cuisine déjà propre. Elle frotte, frotte et continue de frotter. À genoux sur le sol, ses gants jaunes caoutchouteux trempés d'eau vinaigrée et l'odeur de l'huile essentielle gommant les pensées qui l'assaillent. Et si on ne se croisait plus jamais ? deux fois sans se reconnaître c'est déjà beaucoup ! Et si elle était morte entre temps ? Renversée par un bus ? Ou bien dans le coma ? Peut-être qu'elle n'a jamais existé et que c'est juste un bug de mon système ? Vingt-six ans sans briller alors il s'est dit pourquoi pas faire mettre quelques paillettes sur ma peau maintenant ? Après tout ce truc n'est pas une science infaillible, pas vrai ?

Et Gemma frotte, frotte, frotte, ses mèches décolorées en blond polaire passant devant ses yeux d'un vert profond. Elle les chasse d'un mouvement rapide du dos de la main, elles reviennent, elle les coince derrière ses oreilles essayant d'éviter que l'eau et le vinaigre blanc touchent ses cheveux. Et elle continue de frotter, jusqu'à ce que ça brille si fort qu'elle doive plisser les yeux en fixant le sol blanc. Et elle continue de frotter, jusqu'à en avoir mal aux genoux, qu'ils soient si irrités que leur rougissement ressemble à du sang. Et elle continue de frotter, jusqu'à ne sentir que l'huile essentielle de citron, partout comme imprimée aux creux de ses pores. Alors seulement, elle fait rouler ses épaules en arrière dans une tentative de se les étirer et elle se redresse. Elle vide son seau d'eau savonneuse et légèrement grise dans l'évier, jette ses gants jaunes dans le bac et part se doucher. Ses pensées se calment avec l'eau, toujours.

Elle la sent une nouvelle fois quand elle est dans son cours de linguistique. Ça la pique légèrement au niveau des côtes alors elle est certaine qu'elle n'est pas loin. Elle redresse sa tête qu'elle avait posée sur ses bras au moment où ce dernier franchit la porte. Mon dieu, ça ne peut pas être lui, si ? Gemma n'a absolument rien contre son professeur qui semble être simplement un peu plus âgé qu'elle, qui a un physique agréable mais ce serait si étrange si c'était lui, puis, honnêtement, elle ne le trouve même pas réellement attirant. Elle n'a rien ressenti pour lui, la première fois. Rien n'a brillé, rien ne lui a brûlé la peau. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi pendant les partiels qui marquent la fin du premier semestre sa tâche de naissance — sa Marque — se réveille-t-elle ? Puis elle la voit, assez grosse, dans son cou, la tâche de naissance du linguiste qui ne brille pas. Les yeux perdus sur celle-ci, elle ne voit pas la chevelure brune foncée se faufiler derrière son prof.

Bibliothèque de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant