Chapitre 5 - Caleb

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Moi qui pensais bien dormir cette nuit, je me suis fourré les doigts dans l'œil. Au début tout allait bien, je crois même avoir rêvé de la jolie jeune femme du cinquième. Enfin je crois non, j'en suis sûr. Et puis une folle dingue m'a réveillé en hurlant à quatre heure du mat. Elle a probablement sorti du sommeil tout l'immeuble. Son cri m'a fait froid dans le dos. Encore une étudiante qui ne tient pas l'alcool. Ils sont bêtes aussi, pourquoi boire au point de s'en rendre malade. J'enfile mon jogging, ma veste à capuche, mes baskets fétiches et je pars rejoindre ma bande. Le point de rendez-vous aujourd'hui c'est le toit d'un immeuble Avenue de l'Europe. Alors, je m'enfonce dans un cul de sac, saute sur les bennes à ordures et grimpe jusqu'au toit. Je passe par un balcon, m'accroche à une gouttière. Je repère les appuis les plus solides, et trouve mon chemin sans trop grandes difficultés. J'ai commencé le Parkour à mes quatorze-ans avec le même groupe de potes qu'aujourd'hui. On en a fait des chutes, beaucoup même. On en fait toujours, mais très rarement. C'est un sport très dangereux, et on ne l'a pas démarré dans de bonnes conditions. On était cinq adolescents paumés et en recherche de sensations fortes. On est tombés sur des vidéos YouTube d'un mec qui sautait entres des immeubles, qui courrait sur des échafaudages fragiles. On s'est mis en quête de faire pareil. Et aujourd'hui, huit ans plus tard on continue. J'arrive à destination et retrouve Théo, Loïc, Diego et Tristan.

‒ Bah alors mec t'en as mis du temps, se moque Diego.

‒ Pas plus que toi avant hier soir, répliqué-je.

On se prend dans les bras, et je salue tout le monde.

‒ Alors, c'est quoi le programme ce soir ? demandé-je en me frottant les mains.

‒ J'ai découvert un nouvel endroit plutôt pas mal à quinze minutes d'ici.

Tristan trouve toujours des nouveaux trajets super stylés. On le suit, tous excités de découvrir ce nouveau parkour.

Quand je rentre chez moi le soir-même, je suis tenté de passer par l'étage du dessous. Juste histoire de voir si... Si quoi ? En fait je n'ai aucune raison d'aller au cinquième. Mais elle était chelou cette fille. J'aimerais bien comprendre ce qui s'est passé et surtout pourquoi elle réagit aussi craintivement à tout. Finalement, j'emprunte les escaliers plutôt que l'ascenseur et passe par le cinquième étage. Je ne sais pas dans quel appart elle vit, mais il n'y a pas l'air d'avoir trop de bruit par ici. Pas de cris strident, pas de coups suspects... Bon... Je n'ai plus qu'à remonter dans ma piaule.

Mercredi soir, aux alentours de dix-neuf heures on se rapproche de l'avenue de l'Europe, là où l'ont se rejoint régulièrement. Depuis samedi soir, on ne s'est pas arrêté, on a enchaîné les parkours et les nouvelles figures. Mais aujourd'hui on décide d'arrêter plus tôt, Théo et Tristan se sont légèrement blessés à la cheville et au tibia. Ce n'est pas grand-chose, mais on ne préfère pas prendre plus de risques que ça.

‒ Désolé les mecs. Si vous voulez vous pouvez continuer sans nous, lance Théo.

Loïc me devance en disant que non. On fait toujours tout ensemble alors si l'un d'entre nous est blessé on arrête le temps qu'il soit de nouveau sur pied. On descend le plus prudemment possible, et on atterri sur les fameuses bennes à ordures que l'on retrouve presque tous les jours. Je saute de la poubelle et fini par une belle roulade arrière quand je percute violemment un des gars. J'ai a peine le temps de me retourner qu'on me hurle à la figure.

‒ Nan mais ça va pas ou quoi ! Vous êtes complètements tarés !! Vous pouvez pas faire comme tout le monde et emprunter la porte pour sortir ? Oh bah nan ! C'est vrai que c'est bien plus amusant de sauter d'un du haut d'un immeuble de quinze mètres de haut !

Il fait quasiment nuit mais je la reconnais immédiatement. La fille du sixième... Je ne peux m'empêcher de sourire.

‒ Et en plus ça te fait rire ? Tu te rends compte que tu aurais pu mourir, dit-elle en insistant sur le dernier mot. Et m'entraîner au cieux avec toi qui plus est ! Crie-t-elle folle de rage.

C'est surprenant la manière dont elle a de m'engueuler en utilisant des métaphores aussi poétiques... Merde, elle a raison sur un point. Ma sécurité ça me regarde. Par contre, on a toujours mis un point d'honneur à faire attention aux citadins autour de nous.

‒ T'as raison putain, je suis un vrai con. Tu as mal quelque part ? Tu as la tête qui tourne ? Tu sens tous tes membres ? Dis-je un peu paniqué.

Elle me regarde bouche bée comme si elle avait un rhinocéros face à elle. Diego se rapproche et lui demande si ça va.

‒ OUI ! OUI JE VAIS BIEN ! Mais vous visiblement, ça tourne pas rond. Vous avez beau défier des immeubles de cinq, six étages, vous concernant, la lumière à l'air de fonctionner seulement au rez-de-chaussée, dit-elle d'un ton las.

Et puis nous voilà tous les cinq à pouffer de rire. Elle est plutôt drôle en fait. Je souris comme un con puis elle nous tourne le dos et s'en va. Je trottine pour la rattraper.

‒ Hey, attends où tu vas ?

‒ A ton avis ? Je rentre chez moi. Pas la peine de faire la morale à un groupe d'ados, qui en plus, se fout de ma gueule.

‒ Hein ? On est pas des ados, dis-je vexé.

‒ Ah bon ? Pourtant vu votre maturité vous en avez tout l'air.

Sourcils froncés, bouches fermée, bras croisés, elle me tourne encore le dos et continue de marcher.

‒ On ne se foutait pas de ta gueule. Tu nous as fait rire.

‒ C'est bien ce que je dis.

‒ T'as une bonne repartie c'est tout. C'était pas méchant.

‒ J'en ai rien à faire. T'as faillit me tuer et te tuer, c'est tout ce que je retiens.

‒ Je suis vraiment désolé. Je sais que c'est nul comme excuse. Je ferai plus attention les prochaines fois.

Abasourdie, elle s'arrête en plein milieu du trottoir. Moi qui disait l'autre jour qu'elle réagissait de manière craintive à tout, je me suis trompée. Elle en a du répondant la demoiselle. Mais alors, que s'est-il passé de si horrible vendredi soir pour qu'elle en vienne à se faire mal ? Elle m'interromps dans mes pensées en reprenant la parole. Oh mais elle me soûle à crier par contre. Elle peut pas baisser d'un ton.

‒ Ah parce que tu comptes te jeter d'un toit encore une fois ? Vous faites ça souvent ?

‒ On ne se jette pas des toits. On fait du Parkour.

‒ Du quoi ? Elle secoue la tête et reprend – peu importe, salut. -

‒ Tu veux que je te raccompagne ?

Sérieusement ? Est-ce que j'ai vraiment dit ça ? Mais je suis con ma parole. Je viens de lui flanquer la frousse du siècle et je lui propose de la raccompagner ? Elle a raison, j'ai pas la lumière à tous les étages.

Elle sort un son qui semble être un rire hypocrite.

‒ Non merci. Je préfère que tu restes loin de moi.

‒ Vraiment ? Pourtant, vendredi dernier tu n'avais pas l'air contre ma présence, dis-je sans réfléchir.

Elle ne dit rien. Alors, con que je suis, j'en rajoute une couche.

‒ Tu étais bien contente que je te prête mon sweat. Et notre proximité n'avait pas l'air de beaucoup de déranger non plus.

Elle me lance un sourire en coin, secoue une nouvelle fois la tête et s'en va sans dire un mot.

‒ Euh, tu nous explique Cal ? lance Tristan. Et au passage, t'es vraiment con, rajout-il.

Mon téléphone vibre. Je regarde le nom qui s'affiche, là j'ai envie de sauter d'un toit. Littéralement.

‒ Monsieur l'inspecteur ? Dis-je sous les regards tendus des mes amis.

Et c'est reparti pour un tour...

‒ Oui je serai là, dès la première heure demain. Bonne soirée à vous aussi.

‒ Ça recommence ? Me demande Loïc.

Je n'ai pas besoin de dire quoi que ce soit, mon regard suffit.

‒ On vient avec toi.

Je sais pertinemment que je n'ai pas mon mot à dire.  

This Unforgettable NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant