CHAPITRE 23

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JUDE

Cette première journée de reprise aura été un vrai calvaire. Je n'ai parlé à personne depuis ce matin, trop occupé à cogiter dans mon coin. Après ma dernière conversation avec River à Halloween, je ne l'ai plus croisé. Je crois qu'il m'évite et il faut avouer qu'il y arrive très bien. Je n'ai pas eu l'occasion de lui parler une seule fois depuis notre aparté à la fête et notre face-à-face me ronge encore.

J'ai besoin de faire le vide, de me ressourcer quelque soit la manière. J'ai besoin de retrouver celui que je suis. Je ne peux plus vivre en permanence avec ces doutes et ces questions qui me donnent mal à la tête. Cette foutue crise existentiel doit prendre fin.

C'est pour cette raison que je me tiens là devant la piano à une heure où je devrais déjà être au manoir. C'est bientôt l'heure du dîner mais je n'avais pas envie de rentrer tout de suite. Alors j'ai décidé de faire un tour dans la salle de musique en espérant y trouver un peu de réconfort. Je me suis toujours senti à ma place derrière un clavier. C'est probablement le seul endroit où je suis réellement moi-même.

Je n'ai pas touché à un piano depuis une éternité et ça me manque terriblement. J'en ai voulu à mon père d'avoir brisé ce rêve que j'avais d'en faire mon métier. Je voulais ce genre d'avenir, pas d'une carrière de business-man ou de politicien. Mais il ne m'a jamais pris au sérieux. J'ai donc préféré arrêté et me tenir loin des touches noires et blanches en pensant que ce serait plus facile. Ce qui n'a pas été le cas, malheureusement.

Mes doigts me démangent et mes muscles sont tendus, presque impatient à l'idée que je joue. C'est comme si mes mains avaient été faites pour ça. J'ignore encore comment j'ai pu abandonner ma passion sans jamais céder à la tentation de m'y remettre. J'étais tellement mal que j'étais persuadé que le remède était de tout laisser tomber.

Seulement, je ne me sens pas plus heureux sans ça. J'ai tous les jours cette envie sourde qui crie à l'intérieur de moi, ce désir de jouer qui me consume. J'ai essayé d'en faire abstraction pendant des mois mais ce soir, j'ai la sensation que le piano est mon seul moyen de retrouver celui que je suis et qui semble s'être perdu. C'est comme si seules les touches du clavier pouvaient me comprendre vraiment et donner les réponses que je cherche.

Je les effleure du bout des doigts et je me sens tout de suite beaucoup plus vivant. Mon corps et mon esprit s'éveillent au contact du piano. J'ai l'impression de retrouver un vieil ami que je n'ai pas vu depuis une dizaine d'année. Un vague de soulagement se répand en moi. Ce piano n'est pas le mien mais il m'apporte le réconfort dont j'ai tant besoin.

Sans plus réfléchir, je fais le vide dans ma tête et joue un premier accord. Je retrouve aussitôt mes habitudes et mon agilité. Je n'ai pas besoin de regarder le clavier pour savoir quoi faire. Je commence à jouer Your song comme toutes ces fois où je l'ai fait pour ma mère.

Cette chanson est l'une de ses préférés et je l'ai appris pour elle. Certains soirs, elle s'asseyait à côté de moi et elle me demandait simplement de lui jouer ce morceau une ou deux fois. On ne parlait pas beaucoup, on en avait pas besoin. La chanson se suffisait à elle-même.

Mes doigts s'activent automatiquement sur les touches, mes cordes vocales se réveillent pour fredonner les paroles et le piano résonne dans la pièce. Je ne m'étais pas senti autant en phase avec moi-même depuis trop longtemps. Les planètes semblent s'aligner de nouveau et je redeviens moi. Je ne chante pas vraiment car ce n'est pas mon truc mais je joue avec tout le talent que j'ai au bout des doigts.

Je joue la partition sans avoir besoin de l'avoir devant les yeux et c'est comme si je retrouvais mon souffle après avoir été en apnée pendant une éternité. Je sais que je suis fait pour ça. J'ai la musique dans le sang et mes mains ont été façonné pour les touches d'un piano. Je me sens tellement mieux quand je suis assis devant un clavier. Je n'ai plus besoin de contrôler quoi que ce soit. Mon coeur joue presque à ma place.

The Pretty BoyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant