Chapitre 15: Réalité

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Procrastiner n'avait jamais été dans mes habitudes. J'avais toutefois ouvert mes bras à cette méthode réconfortante qui me permettait de m'apaiser sans redouter les conséquences de mes potentielles actions. Si au départ, je la laissais me protéger tel un nourrisson bercé tendrement par sa mère, j'avais fini par sentir son asphyxiante emprise se refermer progressivement sur mon être. Alors, tout en combattant ce fléau que je m'étais infligé par crainte de perdre pied, j'avais tout d'abord saisis mon téléphone et restais quelques minutes à fixer la fiche de contact concernant Embry. Cela faisait des semaines que je ne l'avais pas appelé. Las de débattre sur le sujet de l'imprégnation, de l'entendre se convaincre amèrement qu'il était seul maître de sa destinée, j'avais fini par mettre un terme à ces appels qui me blessaient et où les mots me manquaient. Bien que les membres imprégnés de la meute aient tenté de le comprendre et de le soutenir malgré ses paroles acerbes, Embry ne faisait aucun effort pour retenir ses pensées. Critiquer l'imprégnation, c'était comme s'attaquer à nos imprégnées, alors pourquoi ne pouvait-il pas s'en empêcher? Il savait pourtant qu'elles comme nous, n'avions rien demandé. Alors, peu à peu, tous se contentaient de lui envoyer des messages en lui relatant les futiles bonnes nouvelles qui les entouraient. J'avais été le dernier à persister et à m'infliger ces appels, mais ce n'était plus possible à encaisser. La colère devenait bien trop grande à supporter. Pour la première fois, je lui avais envoyé un message, peut-être bien trop court et concret, voir même quelque peu agacé: «Lysandre ne rentrera pas pour les fêtes de fin d'années. Elle restera en Californie. Ta mère t'attends.»

Libéré de ce premier poids qui me paraissait toutefois si insignifiant en comparaison à ce que j'allais devoir affronter, j'étais sortis de chez moi, la peur au ventre, la gorge nouée, prêt à rejeter mon maigre déjeuner. Tétanisé par la peur, je me raccrochais malgré tout à d'infimes pensées encourageantes qui me permettaient de maintenir mon courage à la surface. Alors que les bourrasques de vent s'écrasaient sur ma peau, telles des morceaux de verres parfaitement affûtés, je vis les arbres nus dont les feuilles dansaient en s'envolant loin de leurs hôtes. Cela me rappelait les paroles de Martha, lorsqu'elle avait évoqué une citation de Picasso qui l'avait grandement encouragée à se perfectionner en détruisant ses créations qu'elle jugeait médiocres afin de donner naissance à des œuvres satisfaisantes. Mais cela m'encouragea également à lui avouer qui j'étais, car le Seth qu'elle avait connu devait mourir afin que le nouveau puisse naître. Tout en serrant les poings, en me répétant avec courage que mon secret ne ferait que nous éloigner, je dirigeais mes pas hésitants vers sa maison parfaitement entretenue. Allait-elle avoir peur de moi? Allait-elle m'accepter pour qui j'étais? Allait-elle me croire? 

Lorsque sa demeure entra dans mon champ de vision, un frisson commença à se rependre le long de ma colonne vertébrale avant de me paralyser chaque muscle qui étiraient ma peau moite et perlée de sueur. Et alors que j'encourageais mes pas qui refusaient progressivement d'avancer, je fus foudroyé par la peur lorsqu'une main se posa sur mon épaule.

- Je t'ai appelé plusieurs fois, m'interpella Quil en me regardant d'un air inquiet.

- J'étais perdu dans mes pensées, répondis-je en sentant mon corps se détendre, bien trop ravit d'échapper à ce que je m'apprêtais à lui infliger.

- Tu vas bien?

- J'étais perdu dans mes pensées, répétais-je quelque peu agacé d'avoir été coupé dans mon élan en sentant également mon faible courage s'envoler.

Tout en scrutant la maison de Martha, je tentais malgré tout de contenir cette peur afin de rattraper mon maigre courage qui, s'il s'échappait, risquait de me faire rebrousser chemin. Mais Martha m'attendait. Elle m'attends, me répétais-je en persuadant mes pas d'avancer. Sans attendre, je frappais à la porte. Il était trop tard pour reculer. Ma peur le savait, et elle grandissait. J'avais même sans doute arrêté de respirer puisque, lorsqu'elle ouvrit la porte, son sourire rayonnant m'accueillit en me faisant expirer bruyamment.

Rumeurs - Seth ClearwaterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant