44. Mari

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— Mon chéri, ton téléphone n’arrête pas de sonner. Veux-tu que je réponde ?

— Non, je hurle depuis les toilettes.

Il est hors de question que ma mère fouine aussi par là. J'ai déjà du mal avec le fait qu’elle m’aide pour tout et pour rien, gérer mes appels, c’est no way.

Je me rhabille aussi vite que mon corps me le permet et file vers ma chambre. Le temps que j’arrive, le répondeur a pris le relais. Tant pis !

— Qui étais-ce ? me demande le garde chiourme qui me sert de mère.

— Je ne sais pas, je n’ai pas eu le temps de décrocher, lui grommèle-je.

— Sûrement des gens qui veulent te vendre des trucs inutiles ! Ça n’arrête pas en ce moment.

— Si tu le dis !

— Tu ne te sens pas bien ? s'inquiète-t-elle immédiatement de mon ton morne.

— Non. Pourquoi, tu me demande ça ?

— Tu as l’air grognon, ce midi. Et tu es toujours soupe au lait lorsque tu es malade. Tes médicaments te font toujours vomir ?

— Merci de me rappeler que je suis chiant. C'est agréable.

— Attention à tes paroles, jeune homme. N'oublie pas à qui tu t’adresses, souligne-t-elle touchant mon front comme lorsque que j’étais gamin.

— Pardon. Je suis juste fatigué. Je crois que je vais dormir un peu avant de manger. Ça ne te dérange pas ?

— Bien sûr que non, mon chéri. Je te réchaufferai ton assiette quand tu le voudras.

Elle sort d’un pas léger et je souffle de la pause qu’elle m’accorde enfin. Je suis à n’en pas douter un fils indigne mais elle me tape sur le système. Depuis plus de deux mois que je la supporte jour et nuit, je n’en peux plus.

Je commence à sombrer dans le sommeil lorsque je me souviens que l’appelant de tout à l’heure à laisser un message. J'attrape mon smartphone et consulte le répondeur.

Vous avez un nouveau message, aujourd’hui à 11h56 :

Heu ! Salut, c’est moi. Pourrais-tu... me rappeler... dès que tu as ce message....

Je ne pensais plus jamais entendre cette voix. Je suis en état de choc. Pourquoi m’a-t-elle appelée ? Retenait-elle ses larmes ou est-ce moi qui divague ?

Je tape un rapide sms pour lui demander de me rejoindre dans la soirée au restaurant que nous affectionnions avant.

Une forme d’impatience m’étreint le cœur tandis que je sombre dans le sommeil.

Je vais revoir ma femme...

Après une longue après-midi à chercher une excuse pour sortir sans que ma chère maman ne veuille venir avec moi, je passe, impatient, la porte de mon appartement.

J'ai prétexté une sortie avec mon meilleur pote et comme je l’avais prédit, elle a râlé mais m’a laissé champ libre. Je croirai être revenu à l’adolescence, sans les hormones en folie et c’est bien dommage.

Toujours est-il que je suis assis à notre table préférée à attendre que ma femme passe la porte du restaurant. J'aurai bien pris un bon verre de whisky mais évidemment, interdiction de boire. Je vais mourir et je n’ai même pas le droit de picoler autant que je souhaite.

Je commande une limonade et lorsque la serveuse revient avec, elle m’apporte également une femme d’une élégance rare bien qu’amaigri.

— Salut, murmure-t-elle tout en enlevant son manteau.

— Salut, je lui réponds sans répondre à son léger sourire.

La serveuse lui demande si elle un apéritif, ce qu’elle refuse comme elle l’a toujours fait.

Le silence retombe entre nous une fois seul. Aucun de nous ne sait comment entamer la conversation, surtout que je ne sais pas pourquoi elle m’a contacté et pourquoi elle se trouve devant moi ce soir.

Je décide d’attaquer le premier.

— Alors ? Je peux savoir pourquoi tu voulais me voir. Les papiers du divorce à signer et ça ne pouvait plus attendre ?

Elle se râcle la gorge, triture la serviette posée à côté de son assiette et après quelques secondes, se lance enfin.

— Je... je souhaite revenir ! Si... tu veux bien, évidemment, lâche-t-elle sans oser me regarder.

Okay ! Mon hépatite a dû me liquéfier le cerveau en plus du reste parce que je n’y comprends rien. Et son mec ? Son envie d’évasion ? D'avoir une autre vie que celle que je lui offrais ?

— Et quand est-il de...

— C'est fini ! Nous... nous avons rompu, bredouille-t-elle en baissant les yeux.

— D'accord ! finis-je par dire. Et donc, tu rappliques pour aider le pauvre mourant, c’est ça ? Comme c’est généreux de ta part.

Le ton de ma voix la fait sursauter.

— Non, non. Je veux auprès toi. Et t’aider, oui mais pas uniquement parce que tu vas mourir.

— Et pour quelle autre raison je devrais te laisser revenir dans ma vie ?

— Je... parce que... tu es mon mari et que... même si j’ai fait des erreurs, je veux t’accompagner autant que possible. Voilà pourquoi.

Sa réponse me cloue sur place. Je m’attendais à ce qu’elle brode un gentil mensonge mais je vois dans son regard qu’elle est honnête.

C'est surréaliste mais j’ai envie qu’elle rentre.... tellement.

— Si tu reviens vivre à la maison, tu dois savoir une chose avant. Ma mère à elle aussi élue domicile.

— Je survivrai, déclare-t-elle, un timide sourire ourlant ses lèvres.

— Je ne suis pas sûr que ce soit mon cas, vois-tu. Elle est encore plus infernale qu’avant.

— Même pas peur !

C'est sur un rire commun que nous concluons cette conversation.

Ma femme revient...

*

C'était il y a vingt-quatre mois.

Depuis, son retour a été entrecoupé de rendez-vous médicaux, d’affrontement avec ma mère qui n’a, malgré son retour, jamais voulu partir. La chambre d’amis est devenue la sienne sans que l’on puisse y mettre notre véto. Quant à ma femme, après quelques semaines à dormir sur le canapé, a réintégré la chambre conjugale. Les premières nuits ont été compliquées, empreintes de maladresse et de gaucheries. La vie, enfin le peu qui me restait à repris son court. Le bonheur de la savoir près de moi a été plus fort que la mélancolie qu’elle tentait de me cacher.

Les mois ont défilé lentement, nous approchant inévitablement de ma mort. Nos amis sont venus jour après jour même lorsque je n’avais plus la force de rien, la fatigue l’emportant sur les rires. Ils ont été une source inépuisable de courage mais après tous ces mois à me battre, à les écouter me dire que je pouvais lutter encore, je lâche prise.

C'est aujourd’hui que la grande faucheuse m’emmène.

Je suis prêt, j’ai eu plus de temps qu’il m’en été accordé au départ et... je suis prêt.

Ma femme me tient la main, mon meilleur ami est au pied du lit, retenant les larmes qu’il m’a juré ne pas verser et ma mère caresse mes cheveux me murmurant que tout va aller bien.

Je m’éteins lentement, laissant les trois personnes les plus importantes de ma vie gérer la suite.

À l'ombre d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant