À l'ombre d'une vie

9.Elle

Ce regard me paralyse.

J'allais tendre la main pour attraper mon smartphone et voir si le message venait bien de mon amant. Mais face à ces yeux bleus qui lancent des éclairs, je retiens mon geste. Je ne sais plus quoi faire et n'ose même plus lever les yeux.

Pour reprendre contenance, je bois une gorgée de mon jus d'ananas. Je fais en sorte de ne rien laisser paraître. Je deviens une experte en la matière même si j'ai la sensation d'étouffer de l'intérieur.

J'essaie tant bien que mal de prendre part à la conversation, mais j'ai du mal à me détendre. Je me sens toujours épiée. Et avec tout ce monde autour, qui pourtant ne prête pas attention à moi, je ne suis pas sereine.

La soirée passe plutôt bien, tout le monde rit, boit, il y a même un couple qui se bécote dans un coin. Je ne suis pas sûre de savoir qui c'est exactement.

Les discussions s'éternisent. Je remarque sur la pendule du salon qu'il est déjà plus de minuit. Demain la journée va paraître longue, je le crains. Je me vois mal leur dire que je suis épuisée, c'est quand même une journée importante pour mon marie me dois d'être là jusqu'à la fin.

Quand je tourne la tête sur ma gauche, je suis surprise. Je n'ai jamais vu mon époux aussi loquace. Le voir sourire et plaisanter me fait un pincement au cœur. Il y a un moment qu'il n'avait pas invité ses amis, pas depuis qu'il est au chômage du moins.

Je suis heureuse de le voir comme ça, il a l'air tellement heureux. Mais savoir que je vais tout détruire en lui disant que j'ai besoin de m'éloigner de lui, et de notre quotidien me fends le cœur. Je sais que je dois m'éloigner. Je le sens. Pourquoi faut-il qu'il trouve enfin ce qu'il cherche, au moment où j'ai besoin de faire un break ? Et je me sens encore plus mal de penser ça.

Malgré nos différents, il m'a toujours soutenue dans tout ce que j'entreprenais, même les trucs les plus farfelus. Et le jour où il a besoin que je sois là pour lui, je l'abandonne.

Un monstre d'égoïsme. Voilà ce que je suis en réalité. Je ne pense qu'à ma petite personne. La boule qui s'est logée dans mon estomac grossit à vue d'oeil. Tout devient trop ! Trop glauque, trop triste, trop compliqué, trop, trop ,trop...

Je n'ai pas toujours été comme ça, j'ai même été l'inverse toute ma vie.

Toujours à m'occuper des autres, et de faire passer leur bien-être avant le mien. Mais désormais, je veux être égoïste, enfin un peu plus. Est-ce un crime de vouloir faire passer son bonheur en premier ? Ne l'ai-je pas mérité ?

Un énième toast me sort à nouveau de mes pensées. Décidément... Il faut que j'essaie de rester concentrée, sinon ils vont se rendre compte que quelque chose cloche. Et c'est la dernière chose que j'ai besoin.

Je lorgne de nouveau vers l'horloge.
Pfff!!! Quand va finir cette soirée ?

J'en ai marre de sourire comme une cruche. En plus je suis sûre que ça sonne faux. D'ailleurs un coup d'œil au regard bleu acier, me le prouve. Il me transperce, passe de mon téléphone à moi puis à mon mari.

J'esquisse un léger sourire, l'air de rien. La personne en face de moi finit par miner un "il faut qu'on parle".

Cette petite phrase me fais l'effet d'une douche glacée, j'ai chaud, froid les deux à  la fois. Il veut parler... Oui parler, mais de quoi ? Le déni, il est évident qu'il veut me parler de l'aventure que j'entretiens, quoi d'autre ! Je ne sais plus, mon cerveau refuse de suivre l'allure que je lui impose. Plus vite il me dira ce qu'il veut, plus vite je serais débarrasser de ces doutes.

Je fais oui de la tête et me ratatine dans le fond de ma chaise. Je me passe la main sur le visage et remarque que je tremble. Cette situation devient de plus en plus merdique, d'heure en heure. Je prie pour qu'elle s'arrête ou que l'on me foudroie sur place.