Entre deux mondes

Chapitre 6

Sur le chemin en direction du mur, nous marchions le plus naturellement possible. Lilith s'était rendue invisible et Laïa, malgré son air détendu, faisait attention aux moindres sons qui nous entouraient. Le bruit de nos pas permettait de camoufler ceux de la démone.

Pour rendre la situation naturelle, je décidais d'engager la conversation.

- Comment va ta mère ?

La mère de Laïa était un ange également. Depuis peu, elle perdait ses plumes en grand nombre et ne savait pas qu'elle en était la cause. Elle avait consulté de nombreux guérisseurs sans succès et notamment mon père dont la magie n'avait aucun effet. A ce rythme, elle risquait de perdre ses tympans et elle s'était résignée à rencontrer Telthona, la plus puissante de nos guérisseuses. Son âge ou encore sa nature d'immortelle était inconnu de tous. Peu de personnes l'avaient déjà rencontré et ceux qui avaient eu la chance ou la malchance de faire sa connaissance avaient raconté d'elle que le fond de ses yeux était d'un noir dépourvu d'âme, que ses iris étaient argentés et reflétaient la mort, que sa peau avait la texture de l'écorce ,mais la couleur du sang et de la neige. Elle terrifiait bon nombre d'entre nous et suscitait bien des mystères. Certains pensaient même qu'elle n'avait pas toujours eu cette apparence et qu'elle l'avait été victime d'une malédiction. D'autres pensaient que son âme était tellement noircie, qu'elle s'était transformée petit à petit en ce monstre rempli de froideur et de noirceur. Nul ne connaissait vraiment la vérité, mais beaucoup aimaient imaginer des théories à son sujet, elle était source de commérages pour beaucoup d'immortels et leur permettait de trouver en quelque sorte une occupation.

Malgré leur longévité, les immortels pouvaient tomber malades, ou souffrir de malédiction et lorsque plus personne n'était en mesure de les soigner, ils se rendaient chez Telthona. Elle représentait leur ultime espoir.

- Elle va bien, elle doit retourner voir Telthona d'ici peu et elle craint énormément cette visite. La première fois qu'elle est allée la voir, elle est revenue en pleurant. Je ne sais pas ce qui s'est passé et elle n'a pas voulu m'en dire davantage mais ce qui est sûr, c'est qu'elle ne perd plus ses plumes et que normalement de nouvelles devront faire leur apparition d'ici peu.

- C'est une excellente nouvelle, je n'ose imaginer ce qu'elle aurait ressenti si elle avait perdu son ouïe.

- Elle aurait certainement sombré dans la folie comme tous les anges qui ont pu briser leurs tympans.

L'ouïe était leur point fort, et se retrouver du jour au lendemain privée de ce don, brisait tous ceux qui avaient connu ce destin. En le perdant, il perdait l'essence même de leur être et certains préféreraient mettre fin à leur existence que de poursuivre leur vie dans une solitude silencieuse.

- Je suis contente qu'elle ait pu la guérir, j'espère juste que lorsque ça sera terminé, elle n'aura plus besoin de voir ce monstre.

- Fais attention à ce que tu dis Laïa ! Dois-je te rappeler que la dernière créature qui a osé l'insulter a disparu quelque temps après ?

- Je sais, je sais, mais je ne peux que lui en vouloir. Certes, je ne la remercierais jamais assez pour ses soins mais regarde dans quel état elle a mis ma mère. Il ne me reste plus qu'elle et si je venais à la perdre...

- Je sais, mais ça n'arrivera pas d'accord.

- Je l'espère sincèrement.

Je contemplais ma meilleure amie qui était perdue dans ses pensées. Je comprenais sa peine et sa colère, mais grâce à Telthona sa mère était hors de danger et c'était le plus important.

- Nous y sommes ! annonçais-je.

Lilith fit son apparition avec Rhaegal sur son épaule. Quant à Laïa, elle releva la tête et inspecta les alentours à la recherche d'une faille.

- Te rappelles-tu où se trouve la brèche Lilith ? demanda ma meilleure amie.

- Il me semble que c'était plus au Nord.

- Te souviens-tu d'un détail qui pourrait nous aider ?

- Je me souviens d'une rivière ou d'un ruisseau, en tous cas, une source d'eau s'écoulait et il y avait un grand chêne et un rocher d'une drôle de forme.

- Le chêne oublié ! dis-je en même temps que Laïa. 

Un léger rire lui échappa et détendit l'atmosphère.

- Merci pour tout à l'heure.

Son regard était sincère et je devinais qu'elle me remerciait de lui avoir demandé des nouvelles de sa mère. Elle était vraiment tout pour elle et mon inquiétude lui permettait certainement de se sentir soutenue et entourée.

- Vous êtes bien mignonne les filles, mais j'aimerais vraiment rentrer chez moi !

Lilith se tenait, mains sur les hanches et elle nous dévisageait de sa hauteur. Elle était la plus grande de nous trois et je sentais son impatience grandir. Elle avait raison, nous n'avions plus de temps à perdre.

- Suis-nous, c'est par là !

Je me mis en tête de ligne pour les guider car j'étais celle qui connaissait le mieux les lieux, mais en nous éloignant du chemin principal, plus aucune lumière ne venait éclairer les bois mis à part la lune. Malheureusement cette dernière n'éclairait que légèrement et sans pouvoir magique, je ne distinguais pas grand-chose. Pour éviter de rentrer dans un arbre ou de trébucher sur une racine, je ralentissais délibérément le pas. C'est alors qu'une lumière se diffusa derrière moi. Surprise par cette source d'éclairage, je me retournais et distinguais Lilith, qui au creux de sa main, avait fait apparaître une flamme.

Face à notre étonnement, elle nous regarda tour à tour.

- On y verra plus clair comme ça.

Je savais que ce n'était qu'une excuse, car ce soir, elle m'avait prouvé à plusieurs reprises qu'elle n'avait pas besoin de ça pour se déplacer dans l'obscurité. En croisant son regard, elle me fit un clin d'œil et fit un sourire discret.

Elle avait délibérément activé sa magie pour me permettre d'y voir plus clair. Son initiative m'étonna et me toucha. J'étais persuadée lors de notre première rencontre, qu'elle était mauvaise et dangereuse. Mais depuis que je l'avais amené à la boutique, je me rendais compte que j'avais tort sur toute la ligne. Elle semblait attentionnée et très observatrice.

Je la gratifiai d'un sourire et nous poursuivîmes notre chemin.