Entre deux mondes

Chapitre 2

Une animosité bestiale émanait de l'immortelle, elle semblait peu ravie d'avoir été surprise.

Ses yeux jaunes aux reflets d'or et de cuivre ne me quittèrent pas d'un centimètre et sa respiration se faisait pressante. Signe qu'elle était agitée.

Lentement, elle s'approcha. Au même rythme de ses pas, mon cœur convulsait dans ma poitrine.

Ma respiration se fit plus saccadée et je sentais l'adrénaline prendre le dessus face à ma peur qui me tétanisait.

Je reculais d'un pas hésitant sans me retourner pour autant.

Si je parvenais à rejoindre le sentier, peut-être trouverais-je de l'aide ? pensais-je. 

Mais une ronce en décida autrement et me fit trébucher.

Le sol humide transperça le tissu de ma robe et la créature profita de ma chute pour s'approcher rapidement.

Elle s'arrêta à quelques centimètres et posa sur moi un regard animé de curiosité et d'amusement.

- Sa-salut ! dis-je, mais aucune réponse ne suivit. Qu-qui es-tu ?

Feindre la normalité était certainement la meilleure des options, mais le silence qui suivit me fit déglutir.

L'immortelle pencha la tête, ce qui fit cliqueter ses bijoux et un rictus apparut sur son visage.

Elle m'observa quelques instants et scruta chacun de mes mouvements, dans un silence le plus total.

Des rires lointains se firent entendre, brisant le calme qui planait autour de nous. Au son des immortelles qui approchaient, elle prit la fuite et disparut sous un voile magique.

Telle une serrure qu'on venait de déverrouiller, mes poumons se remplissaient d'air et je tentais de me relever encore secouer.

- Tout va bien, Mademoiselle ? Une nymphe à la peau légèrement rose et aux cheveux blancs me regarda, l'air inquiète.

- Co-Comment ?

- Tout va bien ? insista-t-elle.

- Oui, tout-tout va bien merci. Maladroite comme je suis, j'ai glissé.

L'une des deux nymphes m'aida à sortir des bois, tandis que l'autre ramassa mon bouquet pour me le tendre. Je les remerciais et les deux femmes poursuivirent leur route en direction du centre-ville.

Une fois seule, je retournais là où se trouvait l'immortelle quelques instants avant. Cherchant la moindre preuve de son passage. 

Parsemées entre les herbes hautes, de petites écailles attirèrent mon attention. Blanches comme la neige avec de légers reflets bleus, certaines d'entre elles étaient recouvertes de sang et détonnaient avec le vert du sol.

Tel un chemin pailleté, les écailles me guidèrent vers les profondeurs des bois. Puis les traces s'arrêtèrent.

Étonnée, je regardais aux alentours jusqu'à ce qu'un mouvement furtif attire mon attention.

Telle une barrière de verre invisible, une protection magique couvrait une créature dissimulée dans les feuillages d'un buisson.

Si l'on ne prêtait pas attention, on ne pouvait la distinguer, mais en se concentrant, un voile translucide déformait la réalité comme les vapeurs d'un feu ardent.

En posant délicatement ma main sur ce que j'imaginais être un dos, je sentis qu'elle tremblait. Alors, pour l'apaiser, je lui chantais une chanson que ma mère m'avait apprise lorsque la peur m'envahissait. Au bout de quelques minutes, elle retira son sort de protection et je pus, distinctement, observer à quoi elle ressemblait. Elle respirait difficilement et avait les yeux clos. Des ailes blanches de chauve-souris se situaient sur son dos et au niveau de sa tête, il y avait deux cornes grises légèrement incurvées. Au centre de son front, une sorte de gemme bleu ciel semblait être remplie de magie et au niveau de ses pattes avant, des bijoux ornèrent ses écailles. Elle appartenait donc à quelqu'un et à en juger par l'apparence de ses accessoires, je dirais que cette dernière à un lien avec l'immortelle de tout à l'heure. Sa patte arrière, blessée, était taillée d'une vilaine coupure. Elle saignait, mais pas de façon alarmante. Je la pris dans mes bras.

En arrivant à la librairie, j'entendis Laïa qui chantonnait comme à son habitude. En pénétrant dans la salle principale, je la vis sur l'une des échelles qui tentait de ranger un livre en hauteur. Elle portait, l'une de ses nombreuses créations, une robe dans les couleurs marron et blanc avec un corsage dans le dos pour l'ajuster au niveau de la taille. Ses oreilles ailées de part et d'autre de sa tête, caractéristique propre des anges, protégeaient ses tympans du bruit environnant. Depuis toujours, sa peau et ses ailes étaient dépigmentées à certains endroits et lui donnaient son identité qui lui était propre. Dans son dos, de la même manière, l'une de ses immenses ailes présentait une dépigmentation et ses mains étaient entièrement décolorées donnant l'impression qu'elle portait continuellement des gants. Ses cheveux blancs tombaient en cascade sur ses reins et ondulaient en rythme avec ses mouvements.

- Salut Laïa !

- Hey Aerin ! Justement, je t'attendais. Elle descendit de son échelle et se dirigea vers moi.

- Regarde la merveille que j'ai trouvée ! Elle me montra un livre relié, recouvert d'une couverture en cuir et dont les pages étaient décorées d'une peinture artisanale. Le travail du peintre était délicat et méticuleux.

- Effectivement, c'est magnifique !

- Je suis bien d'accord. Elle posa l'ouvrage sur l'îlot central. Qu'est-ce que c'est ? Me demanda-t-elle en désignant la créature ailée.

- Justement, je n'en ai aucune idée. Mais elle est blessée. On a de quoi nettoyer et bander sa plaie ici ?

- Oui, bien sûr. Suis-moi !

Elle me conduisit à l'étage, là où se trouvaient notre bureau et la salle de repos. Dans une armoire, elle sortit les différents produits et pansements qui pourraient nous être utiles.

- Merci ! dis-je. Je posai la créature sur la table et défis le châle qui l'entourait.

Sa patte ne saignait plus, mais elle nécessitait un bon nettoyage.

- Si j'estime que d'ici ce soir ça ne va pas, je la confierais à mon père pour qu'il la soigne.

La créature ne se débattit pas et me laissa la soigner. Une fois l'opération terminée, je la posais sur le canapé et je lui servais une gamelle d'eau. Après quelques minutes, elle lâcha un long soupir et se laissa sombrer dans le sommeil.