Au-delà de la Lune - Tome 2

Chapitre 21

Le doux et idyllique paysage de la station essence a peu à peu laissé place à une terre morte fissurée. Le sol noir craquelé, le silence pesant de la nature en décomposition et les arbres secs bordants la route nous accueillent sur le territoire blessé des vampires. Il semblerait que la vie ait quitté ces terres depuis bien longtemps. Ses habitants morts et immortels n'arrivent paradoxalement pas à revitaliser ce royaume de l'Est. La nature elle-même paraît vouloir dissuader toute personne de venir côtoyer les suceurs de sang. Bien que quelques missions m'aient donné parfois l'occasion de venir en ces lieux, ils me semblent toujours autant obscurs et étrangers. Comment peuvent vivre quotidiennement Idys et Erad ici ?

D'après ce que ce dernier nous a expliqué, les vampires ne sont qu'une minorité dans cette zone. Pourtant, ce sont bien eux qui détiennent les places les plus importantes de ce royaume au détriment des loups-garous. L'Est est le cœur historique des vampires et de leur pouvoir. Étonnamment, cela n'a jamais posé de réels problèmes à Arden qui n'y voit qu'une deuxième sphère d'influence saupoudrée d'une culture ancestrale. Et tant qu'ils restent dociles et fidèles à l'Alpha, pourquoi relancer des nouvelles querelles ? Les guerres des peuples sont tellement loin que la majorité des vampires et loups ne souhaitent vraiment pas relancer les hostilités. Le chaos a régné durant des années et seuls les plus anciens immortels peuvent se le rappeler et veillent ardemment aujourd'hui pour préserver cette paix chancelante.

Évidemment, tout comme les membres de la meute, je ne l'ai pas connu. Toutefois, lorsque je regarde ce paysage charbonneux, j'arrive à ressentir la souffrance qui s'est accumulée ici durant des décennies. Les victimes fantomatiques tombent devant moi pour s'entasser ici, et là, dans des montagnes sanglantes de cadavres désarticulés. Ces terres suintent la mort. Le territoire des vampires a été le principal toucher, car c'étaient eux qui espéraient renverser le pouvoir en place. Le seul problème aujourd'hui, c'est de savoir si la minorité vampirique à cette envie anarchique présente dans un coin de leur tête.

Sous ma cape, mon visage affiche une émotion particulière et fière. Je sens le poids des morts d'Aïda, d'Erad et d'Arden sur mes épaules. Ce royaume risque réellement d'être compliqué, nous avons très peu de temps pour comprendre cet endroit et ses règles. Mais la réussite de cette première étape est très importante pour m'éloigner un peu plus de ses souvenirs pesants...

« Spiris... Je ne raterai pas cette chance que tu m'as donnée, pense-je déterminée. »

Me sortant de mes promesses, j'entends soudainement la voix d'Arden :

« Nous sommes arrivés. Tenez-vous prêts. »

Je replonge mon regard bleuté sur l'espace noir et je revois ce château tout en hauteur surplombé de sveltes tours. Une grande allée difficilement fleurie par des buissons et des arbres aux feuilles rouges encadrent notre cortège. De nombreux gardes costumés sont postés de part et d'autre de ce chemin en pierre.

« Et bien, ils savent accueillir. »

Je me tourne vers cette voix morose et penseuse qu'est celle d'Aïda. À sa remarque, Arden se tourne vers elle et je capte un regard particulier de la louve, puis un discret sourire pour moi de cette dernière. Pourquoi est-ce que je me rends compte de tout cela que maintenant ? J'étais trop concentrée sur Arden pour faire attention à d'autres. Je croyais naïvement qu'elle n'était qu'une suiveuse, un sous-fifre d'Abby, mais je crois que j'avais réellement tort. Son regard a changé depuis son départ. Son aura a pris en puissance, en importance, en place. On dirait une autre femme, et je ne suis pas sûre de savoir si c'est une bonne chose pour l'avenir. Mais une nouvelle fois, mon âme-sœur me prend par surprise :

« Tu te sens prête ?

- Toujours. »

Nous nous regardons et je le surprends à le voir étendre ses lèvres gentiment. Qu'est-ce qu'ils ont tous à me sourire aujourd'hui ? Un garde s'approche de la voiture garée et ouvre docilement la porte. L'Alpha s'engouffre dans l'ouverture et vient galamment me tendre sa main. Le plus gracieusement possible, je sors de mon siège pour venir jouer le rôle de la Luna suprême. Malgré mon visage caché, je tente de faire ressortir toute la puissance et l'honneur de mon titre fictif. Je laisse déborder mon aura tout comme l'Alpha et élégamment, nous remontons l'allée centrale sous les regards curieux de nos hôtes. Entre deux pas, je sens un frisson me glacer la peau. En un coup d'œil, je le sens. Je sens cet oiseau de malheur me fixer. Évidemment, son regard vert n'allait pas rater ce jour important.