En arrivant sur le parvis de la faculté, j'ai constaté que la bruine n'avait pas cessé. La plupart des auditeurs de la conférence continuaient de discuter par petits groupes sur le pavé, serrés autour d'un ou deux parapluie.
J'ai balayé l'étroite place du regard jusqu'à tomber sur les silhouettes que je cherchais. Yann et moi avons marché dans leur direction, et Myriam nous a suivis des yeux alors que nous arrivions jusqu'à elles, avant de tourner la tête à l'opposé.
Yann a fait signe à sa fille de le suivre, dans un sourire qui s'est évanoui lorsqu'il a relevé la tête vers sa femme.
— Je vous laisse régler ça, on va t'attendre dans la voiture, a-t-il annoncé avant de s'éloigner avec Lina.
Myriam ne nous avait alors pas accordé un regard, portant seulement la cigarette à ses lèvres.
Je l'ai observée quelques secondes en silence. Des gouttes de pluie s'étaient accrochées à ses cheveux et à son manteau. Un lampadaire situé dans une rue adjacente découpait son profil en contrejour.
— Je crois que c'est la première fois que je te vois avec une vraie cigarette dans la main, ai-je murmuré.
— J'avais pas ma CE sous le coude et j'avais grand besoin de nicotine. J'ai déjà un mari qui me fait la leçon, tu comptes t'y mettre aussi ?
J'ai hoché lentement la tête en signe de négation. Elle a pivoté son visage loin de moi quelques instants pour souffler la fumée dans la nuit. J'ai attendu un petit moment qu'elle reprenne la parole, ce qui ne s'est jamais produit. J'ai commencé à perdre patience.
— Est-ce que tu as l'intention de m'expliquer ce qui se passe, ou est-ce que je rentre chez moi ? lui ai-je demandé. Non parce que j'ai pas spécialement envie de prendre la pluie pour ne rien se dire.
Myriam a jeté sa cigarette à moitié consumée sur les pavés, écrasant le mégot du bout de sa chaussure.
— Je n'ai pas l'intention d'avoir cette conversation avec toi. Je ne te dois rien, donc je dirais que tu peux partir. Je te le conseille, même, a-t-elle ajouté.
Elle s'était tournée vers moi, scrutant mon visage avec attention comme pour voir si j'allais obtempérer ou la pousser davantage.
— Okay, ai-je capitulé face à l'hostilité palpable. Wow.
J'avais haussé les sourcils tant j'étais abasourdie par ce qui était en train de se produire. J'ai tourné les talons et ai commencé à m'éloigner, tandis qu'un noeud se formait petit à petit dans ma gorge.
— Esmée ! m'a-t-elle rappelée.
Je me suis tournée dans un mouvement las et j'ai vu ses lèvres se mouvoir.
— Je te demande pardon.
Malgré le brouhaha des conversations indistinctes aux alentours, j'avais entendu parfaitement. Elle ne le disait en aucune façon pour me rappeler à elle, elle ne revenait pas sur ses paroles en se rendant compte qu'elle était allée trop loin. Le ton triste et résigné rendait la situation parfaitement claire : elle tenait seulement à ce que ses derniers mots prononcés à mon égard soient ceux-là.
Je l'ai fixée quelques instants, mon regard plongé dans le sien. Le ressentiment que j'avais pu éprouver ces derniers temps n'était rien comparé à la désolation de la voir ainsi.
J'aurais sans doute dû partir comme elle me l'avait suggéré. Néanmoins, si je tenais vraiment à cette femme autant que je l'affirmais, j'étais dans la stricte impossibilité de l'abandonner à elle-même dans cet état de détresse. Quand bien même c'était elle qui me le demandait.
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Drache poétique [gxg]
RomanceLes histoires de destinée, c'est de la connerie, je l'ai toujours dit. Mais ce jour-là, une prof de fac pour qui j'avais craqué trois ans auparavant s'est assise, à côté de moi, à une conférence organisée par l'association queer du coin. Alors je me...