Chapitre XVII : Définition d'un ami + +

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(Artiste : sunparades, Twitter)

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(Artiste : sunparades, Twitter)

Les poètes tombent facilement amoureux. Ça expliquerait certainement pourquoi Tighnari n'était pas un poète. Les poètes étaient comme des étoiles dans l'univers qui guidaient les voyages nocturnes dans le désert, ils traçaient les voies à suivre, dépeignaient la réalité, avaient le rôle de voyant et de prédicateur. Tighnari n'écrivait que pour ses recherches, il ne s'armait d'un stylo que pour instaurer son savoir et rien d'autre, il ne se fichait pas des mœurs humains, mais sa vocation l'obligeait à s'atteler à autre chose qu'une dénonciation sensible. Dans la voûte qu'était ce monde, le garde forestier était la lune qui prônait dans le ciel indigo qu'admirait régulièrement Cyno. La lune, toujours seule, elle avait beau briller de toutes ses forces, sembler omnipotente, indépendante et fière, nous ne pouvions nier son existence malheureuse, elle était destinée à naître dans le silence, à vivre loin des autres et à mourir le cœur martelé par la nostalgie de n'avoir jamais aimé. Lorsque qu'il observait cet astre argenté, qu'il contournait ses formes rondes et son éclat mystique, le Général Mahamatra ne pouvait s'empêcher de se remémorer son meilleur ami. Il était censé regarder les milliers d'étoiles animant le paradis sombre qu'il habitait, être admiratif devant le spectacle d'étincelles se produisant sous ses yeux ébahis, les contempler articuler ses pas vers sa prochaine destination, mais en vain, elles pouvaient briller aussi fort qu'un phare dans une mer obscure, il ne détournerait jamais son attention de la lune immense et un million de fois plus blanche et attractive que le reste du cosmos. Comment pouvait-on appeler ce phénomène ? Favoriser ? Privilégier ? Flatter ? Aimer, peut-être ? Il n'osait y déposer un mot précis car chaque signification paraissait trop vide face à ce qu'il ressentait vraiment, c'était d'un ineffable pur, peut-être que même les poètes du monde ne pourraient l'exprimer promptement, eux qui étaient pourtant supposés dévoiler chaque vérité avec la précision la plus terrifiante qu'il soit. Il ignorait tout ce que son cœur lui murmurait quand il s'illustrait le visage de son partenaire, que son image se gravait sous ses paupières un court instant, avant qu'il ne s'alarme et ne se demande, encore et encore, "que cela veut-il dire ?". Il se tordait le cerveau à déceler sa psychologie complexe, il était prêt à se déchiqueter le crâne pour en sortir les raisons les plus profondes, une frustration immense le couvait quand ses idées tournaient autour de ces questions. Lorsqu'il regardait Tighnari, pourquoi le regardait-il ? La plupart du temps il n'avait aucune raison de le faire, la plupart des gens il ne leur décochait même pas le moindre coup d'œil. Que disait son attention braquée sur le plus jeune, ses contemplations téméraires sans se soucier du temps, du paysage, des conflits, des banalités, du froid, de la chaleur, des débris, de sa propre personne, en bref, sans prêter attention au reste de l'univers, et à ne rester absorbé que par la réflexion intense du visage de son ami à ses côtés ? Lorsque Tighnari lui demandait de faire quelque chose, pourquoi l'acceptait-il ? Il pourrait refuser aussi sec, lui dire "non" sans broncher et laisser son libre arbitre prendre le dessus, pourtant, à chaque fois, dès qu'il sentait que le fennec s'apprêtait à lui délivrer une requête, il se tenait toujours prêt à rétorquer "bien sûr, compte sur moi", comme un vulgaire robot programmé pour remplir les attentes de son créateur, il se montrait dépassé par ses instincts qui le poussaient à accepter tout ce que le botaniste pouvait désirer, en temps normal il afficherait un recul respectable et prudent pour manifester son accord, mais quand il était question de cette personne, tout semblait vain, sa vie semblait vaine, elle ne valait rien à côté de lui. Lorsqu'il l'avait vu pleurer, pourquoi avait-ce été si éprouvant de l'observer se déchirer sous ses yeux ? Il côtoyait tous les jours des humains le suppliant de les épargner, exposant leurs raisons comme étant les plus nobles du monde, la plupart voulaient protéger leur famille, se sacrifier pour leurs frères, fournir un logement à leurs sœurs, certains désiraient venger un être cher qui leur avait été retiré bien trop tôt, possédaient une tragédie dans les veines ineffaçable et malheureuse, il pourrait avoir pitié, montrer de l'empathie, et laisser couleur quelques cas en se convainquant d'avoir fait une bonne action, mais même lorsqu'un enfant était mort, même lorsqu'une mère avait été blessée, un mari dépecé, il ne flanchait pas, et traînait sans relâche les criminels devant le jugement impartial qui les attendait. Il avait fini par se convaincre que son mental avait été forgé par toutes ces expériences, et que rien ne pourrait plus le toucher au point de faire frémir ses sentiments, il avait eu tort, il avait été présomptueux, il s'en voulait presque d'y avoir pensé. Le plus dur était que c'était lui qui avait fait pleurer le chercheur, qu'il était l'unique raison de cet état, que tout était de sa faute, encore. Mais cette fois-ci, sa culpabilité lui donnait presque envie de verser quelques larmes, à son tour. Il n'en avait aucun droit, les méchants ne pleurent pas, mais il le désirait sincèrement. D'autre fois, il lui arrivait même de rencontrer des fleurs, et de se demander "les connait-il ?", "les aime-t-il ?" en les dévisageant longuement, il profitait des couchers de soleil dans les vallons désolés et le même processus se répétait "le regarde-t-il ?", "l'apprécie-t-il ?", même lors des nuits sans sommeil il continuait de s'interroger "pense-t-il aussi à moi ?", "possède-t-il les mêmes idées ?", sans parvenir à trouver une quelconque réponse. Alors il continuait de fixer le ciel d'un air vide, une flamme animant ses pupilles pensives, tandis qu'il résonnait toujours ce même mot dans sa tête, jusqu'à en perdre le sens et l'articulation.

Le commandant qui m'aimait - [CYNONARI]Where stories live. Discover now